Rapide état des lieux géopolitique de la Finlande

Reading Time: 9 minutes

Il y a 80 ans, la Finlande se voyait amputée de 10% de son territoire national, au terme d’une guerre de quatre mois, concluant sur le traité de Moscou signé entre elle et l’Union soviétique le 12 mars 1940. Cette guerre soviéto-finlandaise, plus connue sous le nom de « guerre d’Hiver », fut le théâtre de la résistance héroïque et acharnée des forces finlandaises face à une Armée rouge bien supérieure en nombre d’hommes, de chars et d’avions[1]. La Finlande ne se résigna toutefois pas et profita de l’invasion du territoire soviétique par l’Allemagne nazie, en juin 1941, pour déclarer la guerre à l’URSS afin de reconquérir les territoires perdus. Malgré son alliance avec le Reich, plus par nécessité pratique que par adhésion idéologique, cette guerre dite « de Continuation » se solda par la défaite des armées finlandaises. Helsinki dû se résoudre à signer une paix séparée avec Moscou en septembre 1944.

Malgré cela, et dans le contexte difficile de l’après-guerre, la Finlande réussit à préserver son modèle démocratique et son système socio-économique. Pendant la guerre froide, le pays s’engagea dans une politique extérieure de neutralité afin de ne pas mécontenter l’Union soviétique[2]. La pierre angulaire de la défense finlandaise fut donc de protéger le territoire national avec une force militaire tout en ne nommant pas directement un ennemi. La coopération avec l’URSS valait mieux que la confrontation. La Finlande devait maintenir ses distances avec l’OTAN et les États-Unis – en refusant le Plan Marshall – et reprendre des relations diplomatiques avec l’URSS – d’abord par le paiement des réparations de guerre – tout en résistant aux pressions soviétiques pour adhérer au Pacte de Varsovie[3]. La politique extérieure finlandaise suivait ainsi la doctrine du président Juho Kusti Paasikivi[4], dite Ligne Paasikivi, qui mettait l’accent sur la neutralité entre les deux Blocs.  

Jusqu’à la fin de la guerre froide, la Finlande s’engagea activement dans la voie de la diplomatie multilatérale et accueillit de nombreuses négociations internationales entre Est et Ouest. Cependant, après la dislocation de l’URSS en 1991, la Finlande choisit de s’ancrer plus à l’Ouest en rejoignant le Partenariat pour la paix (PPP) en 1994, et l’Union européenne en 1995 (en même temps que la Suède). Helsinki opéra ainsi un changement de la neutralité au non-alignement.


Entre OTAN et Russie, la neutralité comme solution ?

Depuis la fin de la guerre froide, la Finlande n’est plus sous la menace d’une crise  pouvant déboucher sur un conflit majeur. Le pays est aujourd’hui davantage menacé par un conflit régional susceptible d’escalade à l’échelle locale. Ainsi, même après la fin de la guerre froide, la Finlande a continué à voir la Russie comme un voisin avec un potentiel militaire important. Le souvenir toujours présent de la guerre d’Hiver et le partage d’une frontière terrestre de plus de 1000 km de long avec la Russie ont largement contribué à déterminer la politique extérieure finlandaise après la guerre froide. C’est la position soutenue par un ancien officier d’état-major finlandais, le général Ermei Kanninen ; « Les menaces qui pèsent sur la Finlande sont déterminées par la position géopolitique du pays… La seule direction réaliste à partir de laquelle une menace pourrait surgir est l’Est, c’est-à-dire la Russie[5] ».

La position finlandaise vis-à-vis de la Russie a encore évolué à la suite de la guerre en Géorgie en 2008 et au conflit en Ukraine en 2014. C’est d’ailleurs réellement l’année 2014 qui marque un virage stratégique de la doctrine finlandaise vis-à-vis de la Russie. Helsinki dénonce le retour d’une Russie « impérialiste » qui tente de construire et de renforcer sa sphère d’influence en employant la force militaire pour servir ses objectifs stratégiques[6]. Pour la Finlande (et la Suède) le virage doctrinal de 2014 a renforcé les doutes et la rhétorique d’un renforcement de l’action de la Russie à l’étranger.  

Toutefois, la Finlande est un État habitué à sa relation asymétrique avec le grand voisin russe. Pour garantir sa sécurité, elle applique la neutralité et essaye de « minimiser la menace », si menace il y a. Pour certains États, comme la Finlande, situés à proximité d’un pays hostile, il est plus avantageux de tenter d’apaiser les tensions et d’assurer sa propre sécurité en se déclarant neutre. Cette posture explique donc le choix de la Finlande de ne pas rejoindre l’OTAN tout en laissant penser qu’en cas d’agression, Helsinki n’hésiterait pas à rejoindre l’Alliance atlantique.

La Finlande estime donc que rester en dehors de l’OTAN constitue un gage important de sécurité. En revanche y adhérer pourrait conduire à des représailles russes. Sa stratégie à moyen terme est d’approfondir sa coopération avec l’OTAN sans y poser sa candidature mais sans y renoncer en cas d’agression. Il s’agit là d’un subtil équilibrage diplomatique et d’une coopération pragmatique afin de dissuader la Russie d’une attaque armée[7].


La Finlande comprend bien que la priorité vitale en matière de politique extérieure de la Russie est de contenir l’expansion de l’OTAN dans la région balte et nordique. Ainsi, à la différence des États baltes et de la Pologne, la Finlande estime que le rapport entre l’utilité et le coût de l’Alliance est quasi nul. Helsinki plaide donc pour un statu quo avec la Russie tout en se posant, à priori, aucune limite quant à un rapprochement avec l’OTAN.

Cependant, si la Finlande est loin de subir une attaque armée ou une déstabilisation, elle peut toujours être exposée à des tactiques de déstabilisation de nature hybride telles les cyberattaques, la désinformation ou l’ingérence dans les procédés électoraux. La Russie dispose également de moyens moins conventionnels pour faire pression sur la Finlande. Environ 65% du pétrole finlandais ainsi que la totalité du gaz naturel consommé par la Finlande provient de Russie. Moscou dispose donc également du levier énergétique si elle devait contraindre la Finlande.

D’autres possibilités de déstabilisations russes existent, telle la manipulation des minorités russophones présentes en Finlande. Cependant cette minorité compte 30 000 ressortissants : elle est donc assez réduite et ne serait qu’une faible courroie de transmission, à l’inverse des minorités présentes en Estonie, en Lettonie ou en Ukraine[8]. La Russie pourrait également faire pression en rompant le régime frontalier et en laissant pénétrer en Finlande un flux de migrants clandestins.
Tel fut le cas à l’hiver 2015 quand les gardes-frontières russes ont laissé passer près de 2000 migrants clandestins : cette rupture du régime frontalier fut interprétée par Helsinki comme un acte hybride d’une puissance hostile[9].


Quelles relations militaires internationales pour la Finlande ?

À une adhésion pure et simple à l’OTAN, la Finlande préfère miser sur l’extension de ses coopérations et sur un maillage de partenariats de défense. Nous pouvons donc identifier plusieurs cadres dans lesquels la Finlande développe ses relations militaires. Tout d’abord dans le cadre bilatéral avec des États comme la Suède et les États-Unis, ensuite dans le cadre européen, avec l’Initiative européenne d’intervention (IEI) et la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), et enfin dans le cadre minilatéral avec la Nordic Defense Cooperation (NORDEFCO).

C’est d’abord avec la Suède que la Finlande coopère le plus en matière de Défense. Ce « tropisme » suédois peut d’abord s’expliquer par une histoire commune, une proximité géographique évidente et des liens culturels forts. Notons aussi que la Finlande compte, parmi sa population, une minorité de 300 000 Finlandais suédophones, soit près de 6% de la population totale[10]. Aussi, la multiplication des manœuvres aériennes et navales russes en mer baltique incitent la Finlande et la Suède à une meilleure coordination dans le domaine militaire. C’est ainsi qu’en 2015, Stockholm et Helsinki ont confirmé la création d’une force navale conjointe, la « Swedish Finnish Naval Task Force » (SFNTG), afin de conduire des missions de surveillance et de « répondre à des crises » dans le Grand Nord et en mer baltique. Le groupe naval sera entièrement opérationnel en 2023 et vise à utiliser conjointement les forces navales des pays de manière rentable. Cette force conjointe fut aussi pensée pour répondre à des impératifs stratégiques suédois et finlandais dans un contexte où, avant 2014, les deux pays avaient réduit leur budget pour la défense[11].

La Finlande coopère également avec les Etats-Unis, principalement dans la conduite d’exercices militaires communs tel Saber Strike et BALTOPS. Cette coopération s’est aussi traduite, dès les années 1990, par l’achat de 62 avions multi rôles F/A-18 qui composent l’intégralité du parc aérien de combat finlandais[12]. La Finlande mise également sur la coopération trilatérale avec la Suède et les États-Unis. Dans cet esprit, les ministres de la Défense finlandais et suédois se sont rendus à Washington en mai 2018 et ont rencontré leur homologue américain, James Mattis, au Pentagone. Les trois hommes ont signé une déclaration d’intention trilatérale en vue d’accroître la coopération militaire et les exercices militaires entre les forces suédoises, finlandaises et américaines[13]. En 2017, la Finlande, la Norvège et la Suède avaient accueilli l’exercice militaire Artic Challenge Exercise 2017 (ACE 2017). Une centaine d’avions de combat des pays de l’OTAN avaient alors opéré dans le ciel nordique.

Membre de l’UE depuis 1995, la Finlande place le projet européen au cœur de la construction de sa politique extérieure. Pour la Finlande, et comme pour les États baltes, l’appartenance à l’UE est un gage à la fois de sécurité militaire et de sécurité économique. Par ailleurs, la Finlande est un des six États membres qui restent encore en dehors de l’OTAN, c’est donc assez logiquement qu’elle cherche à bâtir les capacités de l’UE à soutenir ses États membres sur le plan sécuritaire. Elle préconise fortement le développement de la dimension de défense de l’UE et souligne l’importance de la clause d’assistance mutuelle de l’Union (article 42.7[14]). La Finlande s’investit également dans le développement de capacités de défense commune de l’UE, optant d’abord pour des coopérations dans le domaine de la cybersécurité et de la communication radio[15].

Pareillement, en 2018, la Finlande a annoncé rejoindre l’Initiative européenne d’intervention (IEI), lancée par Emmanuel Macron en 2017 visant « à favoriser l’émergence d’une culture stratégique européenne commune et à créer les conditions préalables pour de futurs engagements coordonnés et préparés conjointement sur tout le spectre de crise ».

Sur le plan de la coopération régionale multilatérale (ou minilatérale), la Finlande est membre de la Nordic Defense Cooperation, la NORDEFCO. Elle en a récemment assuré la présidence tournante en 2017 avec pour priorité la résilience de la société face aux crises militaires.


Les perspectives stratégiques futures finlandaises

Outre la prérogative donnée à la construction d’une coopération régionale forte en Europe du Nord et avec les États baltes, la Finlande, en tant que membre permanent du Conseil de l’Arctique[16], a des intérêts politiques et économiques dans le Grand Nord. Le cercle polaire recouvrant le tiers du pays, Helsinki y voit des opportunités pour développer son économie pour ses entreprises spécialisées dans les domaines de la construction navale et des stations offshore. Sur le plan diplomatique, la Finlande considère la bonne coopération avec la Russie comme un facteur de stabilité essentiel pour la région et pour elle-même. Helsinki étant majoritairement dépendante du gaz et du pétrole russe, le maintien de son approvisionnement en provenance de la région arctique est un enjeu prioritaire[17]. En 2013, la Finlande a publié une stratégie pour l’Arctique se déclinant en trois axes :  

1 – La promotion de l’expertise finnoise dans les domaines des technologies de pointe et de l’innovation afin de saisir les opportunités économiques dans la région.

2 -La coopération internationale dans la zone Arctique à tous les niveaux, bilatéraux, régionaux et européens. Pour la Finlande, le Conseil de l’Arctique compose le principal forum de discussions et de résolution des problèmes Arctiques. Elle est aussi favorable au développement d’une stratégie européenne en Arctique.

3 – La protection de l’environnement avec le souci de promouvoir le rôle des peuples autochtones.

La Finlande va également continuer à promouvoir le multilatéralisme dans la résolution des crises internationales en s’appuyant sur la culture du dialogue propre aux États nordiques. Le pays est un centre d’excellence en matière de résolution de crises, promouvant le respect de l’État de droit, de la démocratie et des droits de l’homme. Le symbole de cette expertise est le Crisis Management Centre Finland (CMC Finland). Les fonctionnaires finlandais sont déployés dans le cadre de missions de surveillance des élections ou de réforme de l’appareil judiciaire d’un État à l’étranger.

Sur le plan militaire, la Finlande veut remplacer la totalité de son parc aérien de F/A-18 Hornet et a lancé un appel d’offres visant à acquérir 64 nouveaux appareils pour un montant compris entre 7 et 10 milliards d’euros. Helsinki a donc sollicité cinq industriels, dont le français Dassault Aviation (Rafale), le suédois Saab (Gripen), l’américain Boeing et Lockheed-Martin (F/A-18 Super Hornet et F35-A), et le consortium européen Eurofigther (Typhoon)[18]. Au début de l’année 2020, la Finlande a organisé la campagne « HX Challenge » visant à évaluer les différents concurrents en lice. Le critère de sélection principal du futur avion de combat est sa résistance au grand froid et sa capacité à faire face à des guerres électroniques.

Sur le plan de la guerre électronique et de la cyberdéfense, la Finlande se prépare pour faire face aux nouveaux défis que posent et que vont poser la 5G et la 6G. Le European Centre of Excellence for Countering Hybrid Threats basé à Helsinki devrait recruter 200 experts dans un avenir proche[19].

Dernièrement, concernant la sécurité maritime, la Finlande va renforcer ses capacités de lutte anti-sous-marine avec l’acquisition de quatre corvettes brise-glaces qui seront projetées dans le golfe de Botnie et dans le golfe de Finlande. Ces corvettes, qui entreront en service entre 2022 et 2028, répondent à deux impératifs : protéger sa frontière maritime avec la Russie et renforcer sa présence militaire en mer baltique[20].


Sources :

[1].  Outre ses lourdes pertes humaines, la Finlande se voit dépossédée, aux termes du traité de Moscou, de 10 % de son territoire et de 20 % de son potentiel industriel. Elle cède également une des plus grandes villes du pays, Vyborg (Viipuri en finnois). Cependant, les Finlandais conservent leur souveraineté et gagnent une reconnaissance à l’échelle internationale. Elle tient tête à une puissance industrielle en infligeant de lourdes pertes à son adversaire soviétique, qui aligne pourtant des effectifs quatre fois supérieurs à la Finlande et est doté de matériel moderne. 
[2]. Beausoleil Antoine, « La Finlande, du neutralisme au multilatéralisme », Le Grand Continent, 4 décembre 2018
[3]. Marin Anaïs, « La dissuasion par la coopération. La Finlande, modèle de résilience face aux défis du « sharp power » russe », Stratégique, n°121-122, 2019, p. 331
[4]. Banquier, diplomate et homme d’État finlandais, il fut Président de la République de Finlande de mars 1946 à mars 1956. 
[5]. Raitasalo Jyri, The Finnish Defence Planning Problematique, Finnish National Defence University, 2017
[6]. Siffre Camille, « Vers une convergence des doctrines stratégiques des pays baltes, de la Suède et de la Finlande autour de la sécurité militaire depuis 2014 », Stratégique, n° 121-122, 2019, p. 87
[7]. Marin Anaïs, op.cit., p. 330
[8]. Environ 25% pour l’Estonie, 30% pour la Lettonie et environ 17% pour l’Ukraine. 
[9]. Marin Anaïs, op.cit., p. 333
[10]. Pour information, le suédois a le statut de langue officiel en Finlande.  [11]. http://www.opex360.com/2015/11/04/la-suede-la-finlande-mettent-sur-pied-force-navale-conjointe/
[12]. Marin Anaïs, op.cit., p. 
[13]. http://www.opex360.com/2018/05/11/suede-finlande-renforcent-cooperation-militaire-etats-unis/
[14]. L’article 42.7 du traité sur l’Union européenne (TUE), dispose « Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies. Cela n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. » ; Iso-Markku Tuomas, « Finland: Pro-European, but only to an extent, European », Council on Foreign Relations, 2016, p.58
[15]. Marin Anaïs, op.cit., p. 341
[16]. Le Conseil de l’Arctique est un forum intergouvernemental traitant des problèmes rencontrés par les gouvernements des États ayant une partie de leur territoire dans l’espace arctique. Il a été instauré en 1996 et ses États membres sont le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède et la Russie.  
[17]. Beausoleil Antoine, op.cit.
[18]. http://www.opex360.com/2020/03/05/hx-challenge-a-priori-le-f-35a-a-laisse-une-impression-mitigee-en-finlande/
[19]. https://www.defensenews.com/smr/nato-2020-defined/2019/12/17/finlands-defense-minister-antti-kaikkonen-on-ai-and-new-fighter-jets/
[20]. https://www.defensenews.com/global/europe/2018/10/19/finland-moves-to-boost-its-naval-power-in-the-baltic-sea-hotspot/

Ronan Corcoran

Étudiant en relations internationales, je m'intéresse aux questions de sécurité et de défense particulièrement dans les zones d'Europe du Nord, d'Europe de l'Est et d'Afrique subsaharienne.

Laisser un commentaire

Fermer le menu