La « politique arabe » de la France a-t-elle toujours été non alignée ?

La « politique arabe » de la France a-t-elle toujours été non alignée ?

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En novembre 1969, la France signe un important contrat de vente d’armes à la Libye, pays ennemi des Etats-Unis. En 1973, Georges Pompidou est le premier à évoquer au sein de l’Europe des neuf les « droits légitimes des Palestiniens ». Si ces informations paraissent afficher la France dans le camp des non-alignés, d’autres événements permettent de penser le contraire. La France se range aux côtés des Etats-Unis lors de la première guerre du Golfe contre l’Irak ou lors de l’intervention militaire internationale de 2011 en Libye. Nous pouvons alors légitimement nous interroger sur la question suivante : la « politique arabe » de la France a-t-elle toujours été non alignée ?

Le terme de « politique arabe » peut paraître assez vaste mais il fait référence à une expression renvoyant à la politique mise en place par le général de Gaulle à la fin de la guerre d’Algérie (1954-1962). Nous ferons référence au monde arabe selon la définition que propose le Ministère des Affaires étrangères dans sa section Afrique du Nord Moyen Orient (Algérie, Arabie saoudite, Bahreïn, Egypte, Emirats arabe unis, Irak, Iran, Israël/territoires palestiniens, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Oman, Qatar, Syrie, Tunisie, Yémen). 

La « politique arabe » : est donc une expression renvoyant à la politique mise en place par le Général de Gaulle à la fin de la guerre d’Algérie (1954-1962). Elle se base sur trois piliers :

  • L’indépendance de la France et sa proximité avec le mouvement des non-alignés c’est-à-dire au-delà du bilatéralisme URSS – Etats-Unis. L’idée est en fait de laisser une possibilité pour des pays de sortir du bilatéralisme de la guerre froide, en témoignent les relations entre la France et Hassan II au Maroc, avec le Shah en Iran, Bourguiba et Ben Ali en Tunisie ou Saddam Hussein en Irak.
  • Une mise à distance de la France vis-à-vis d’Israël et des Etats Unis. Valéry Giscard d’Estaing avançait le : « droit à l’autodétermination du peuple palestinien » comme Chirac, lors de sa visite à Jérusalem en 1996 faisait part de ses sympathies propalestiniennes.
  • Une volonté de positionnement comme « intermédiaire obligé », Jacques Chirac disait « après avoir détruit un mur à l’Est, l’Europe doit désormais construire un pont au Sud ».

Pour retracer les grands traits de la politique arabe à partir de 1962, vous trouverez ci-dessous la chronologie des événements :

La France entretient une politique étrangère sur deux phases : une première de 1962 à 2005 qui s’assure gaulliste, donc indépendante et autonome vis-à-vis des Etats-Unis. A partir de 2005, elle se range du côté des Etats-Unis. La France aurait certainement souhaité asseoir davantage son influence limitée en raison de la disparition de certains « gaullismes arabes » sur laquelle elle s’appuyait : l’Iran avec la révolution islamique, l’Irak avec la guerre du Golfe. D’autres pays se voient sédimentés comme les autocraties vieillissantes de Tunisie et d’Egypte. Ceci conduit la France à s’aligner à nouveau vers les Etats-Unis qui disposent d’une influence importante dans la zone et de moyens d’actions militaires conséquents. Cependant, la France tisse aussi de nouvelles relations économiques, commerciales et diplomatiques avec les pays du Golfe Persique (Koweït, Irak, Bahreïn, Oman, Qatar, Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis), sachant que ces derniers entretiennent une relation tendue avec les Etats-Unis.

La France manque-t-elle de clarté dans son positionnement diplomatique vis-à-vis du monde arabe ?

La France souhaite asseoir son influence dans le monde arabe et se détache des Etats-Unis (1962-2005)

La volonté de retisser les liens politiques, culturels et historiques après la guerre d’Algérie

La France souhaite rompre avec le passé : la France a toujours entretenu des liens forts avec les pays arabes (deux mandats de la France en Syrie et au Liban, deux protectorats au Maroc et en Tunisie, l’Algérie appartenant à la France jusqu’en 1962), elle souhaite tourner la page de la décolonisation qui a marqué les mémoires algériennes et se défaire de la crise du Suez dans laquelle elle a pris parti pour Israël.

A travers le discours du Caire de Jacques Chirac en 1996 ou le processus euro-méditerranéen de Barcelone fin 1995, elle commence à exprimer sa volonté de tisser à nouveaux les liens du passé. La France a soutenu le pouvoir militaire lors de l’interruption du processus démocratique en Algérie en 1992 et se place comme grand frère du Liban. En effet, depuis 1978, l’armée française fait intervenir 700 soldats dans le cadre de l’opération FINUL des Nations Unies. La proximité entre Chirac et l’ancien premier ministre libanais Rafiq Hariri témoigne aussi de ce lien fort franco-libanais.

Une ambition qui se poursuit dans le but de s’affirmer comme puissance médiatrice et intermédiaire des conflits dans la zone

La France souhaite avant tout se placer comme messager de la paix dans la région. Déjà le 2 juin 1967, le communiqué du conseil des ministres affirmait que « l’Etat qui emploierait les armes n’aurait ni le soutien ni l’approbation ni l’appui de la France ». 

La France s’affiche clairement indépendante lorsqu’elle s’oppose à l’intervention des Etats-Unis en Irak en 2003. Dominique de Villepin est alors applaudi lors de son discours à l’ONU, ce qui ne se produit pourtant que très rarement. L’initiative diplomatique « E3 » (regroupant les ministères des Affaires étrangères français, britannique, allemand et le Haut représentant de l’UE) témoigne de cette démarche, elle vise à offrir un « anti-modèle » des résolutions des défis sécuritaires aux pays du Moyen-Orient.

La France manque pourtant de moyens et d’influence, ce qui la conduit parfois à revoir ses positions. En effet, la France se désolidarise de Saddam Hussein et se range du côté des Etats-Unis lors de la première guerre du Golfe de 1990-1991. Elle est aussi absente des accords d’Oslo de 1993 qui posent les bases du processus de résolution du conflit israélo-palestinien entre Israël et la Palestine. 

Limitée dans ses capacités d’influence, la France assure une politique étrangère paradoxale vis-à-vis des Etats Unis depuis 2005

La France ne parvient à exercer qu’une influence relative au Moyen-Orient et s’aligne partiellement sur les Etats Unis

La chute des régimes partenaires sur lesquels elle s’appuyait limite ses capacités d’influence française dans le monde arabe : c’est le cas des gouvernements d’Iran avec la révolution islamique, d’Irak avec la guerre du Golfe et les autocraties de Tunisie et d’Egypte sont de plus en plus vieillissantes. De nouvelles puissances émergent, à savoir l’Arabie Saoudite grâce aux chocs pétroliers de 1973 et 1979 et la Turquie avec Erdogan.

La France à partir des années 2000 adopte une position ambiguë vis-à-vis des Etats-Unis. Tout d’abord en Syrie, en 1999 où Chirac est le seul président occidental à se rendre aux funérailles d’Hafez el-Assad en soutien à Bachar al-Assad. En revanche, en 2004, la France vote la résolution 1559 du Conseil de Sécurité à l’encontre des intérêts syriens au Liban. Ensuite en 2005, la France incrimine la Syrie d’avoir assassiné le premier ministre libanais Rafiq Hariri. Finalement, en 2008, les contacts et visites bilatérales entre Nicolas Sarkozy et Bachar el-Assad témoignent de l’alignement de la France sur les Etats-Unis lors de la lutte contre le régime syrien. Également en Libye, le positionnement français est ambigu : en 2007, Nicolas Sarkozy reçoit Kadhafi à l’Elysée. En 2011 : l’opération Harmattan est lancée aux côtés de la coalition internationale pour renverser Kadhafi.

Le Moyen-Orient est finalement perçu comme une menace plus que comme un allié. La montée de Daesh inquiète, la France compte plus de mille ressortissants partis faire le djihad en zone syro-irakienne. Les livres blancs sur la Défense de 2008 et 2013 accordent une place prépondérante au terrorisme. Aussi, les caricatures de Mahomet en France soutenues au nom de la liberté d’expression par Emmanuel Macron fin octobre 2020 conduisent à d’importantes manifestations devant l’ambassade de France à Gaza et certains pays arabes appellent au boycott des produits français. 

La France choisit de s’orienter vers les pays du Golfe, dont les relations avec les Etats Unis se sont pourtant dégradées

La France développe alors des relations avec les pays du Golfe persique et notamment avec le Koweït, le Qatar et les Emirats Arabes Unis. 50 % du matériel militaire des Emirats est français, 80 % pour le Qatar. En 2009, la première base militaire de la France dans un pays arabe est inaugurée aux Emirats Arabes Unis. Sur le plan diplomatique, François Hollande a effectué seize voyages présidentiels dans les pays du Golfe durant son quinquennat (Arabie Saoudite, Qatar, Jordanie, Israël, Liban). Sur le plan culturel, en 2017, le Louvre Abu Dhabi est inauguré.

La France conserve malgré tout ses relations avec les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Libye, Tunisie) :  le Maghreb reste le premier partenaire commercial de la France de la zone devant le Golfe, et le nombre d’ambassades est encore important.

Bibliographie :

• Aglaé Watrin-Herpin, Frédéric Charillon (2017). Entretien avec Frédéric Charillon – la politique étrangère de la France au Moyen-Orient sous la Vème République. Les clés du Moyen Orient. https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Frederic-Charillon-la-politique-etrangere-de-la-France-au-Moyen.html

• Chagnollaud, J. (2016). Une politique à l’épreuve de ses contradictions. Confluences Méditerranée. 96(1), 9-12. https://doi.org/10.3917/come.096.0009

• Chemillier-Gendreau, M. (2016). La France doit-elle agir seule ?. Confluences Méditerranée, 96(1), 39-45. https://doi.org/10.3917/come.096.0039

• Dalle, I. (2016). Les relations entre la France et le monde arabe. Confluences Méditerranée, 96(1), 13-28. https://doi.org/10.3917/come.096.0013

• Hervé Gardette (2017). La France a-t-elle besoin d’une nouvelle politique arabe ?  Du grain à moudre, France Culture.
https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-a-moudre/la-france-a-t-elle-une-politique-arabe

• Hervé Gardette (2018). Les politiques arabes de la France. Politique, France Culture. https://www.franceculture.fr/emissions/politique/les-politiques-arabes-de-la-france

• Le Monde Diplomatique, Guerre du Golfe (1990-1991)
https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/guerredugolfe

• Manon-Nour Tannous (2017). Chirac, Assad et les autres : les relations franco-syriennes depuis 1946. Presses Universitaires de France.

• Ministère des Affaires Etrangères, section Afrique du Nord Moyen Orient.
https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/archives-diplomatiques/s-orienter-dans-les-fonds-et-collections/cartes/article/afrique-du-nord-et-moyen-orient

• Ministère des Affaires Etrangères, Relations bilatérales, Libye. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/LY/relations-bilaterales#:~:text=Dans%20l’ensemble%2C%20les%20%C3%A9changes,de%20la%20France%20en%202016.

• Ministère des Armées, (2020). Daman : la contribution française à la FINUL. https://www.defense.gouv.fr/operations/liban/daman/dossier-de-reference/daman-la-contribution-francaise-a-la-finul

• Olivier Hanne (2017). La France au Moyen-Orient.
http://www.geoculture.org/medias/files/la-france-au-moyen-orient-1.pdf

• Rémy Leveau (1997). Mythes et réalités de la politique arabe, Politique étrangère, 62-3, pp.355-370. https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1997_num_62_3_4672

• Samaan, J. (2013). Les États-Unis dans le golfe Persique : la Realpolitik d’Obama en action ?. Hérodote, 149(2), 22-36. https://doi.org/10.3917/her.149.0022

• Yves Henri Nouailhat (2004). Les divergences entre la France et les Etats-Unis face au conflit israélo-arabe de 1967 à 1973. Relations Internationales. Presses Universitaires de France, N°119 pp.333-344
https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2004-3-page-333.html

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