L’eau est une ressource rare et inégalement répartie entre les territoires. Face à l’accroissement démographique dans les régions arides telles que la région du Sahel, cette ressource naturelle est devenue un enjeu géopolitique majeur. Très souvent source de tension, l’or bleu est également utilisé comme un outil de pouvoir dans certaines zones, comme autour du lac Tchad.
L’eau, une ressource inégalement répartie
Bien que la Terre soit recouverte à 71% d’eau, l’eau douce n’en représente qu’une infime partie. Cette ressource naturelle vitale et de plus en plus rare est surtout mal répartie entre les territoires. Ainsi, 5 pays disposent de la moitié des réserves mondiales en eau (la Russie, la Chine, le Canada, l’Indonésie et les Etats-Unis), tandis qu’environ 1,2 milliard d’êtres humains résiderait dans une région où l’eau douce fait défaut.
Ce manque d’eau est particulièrement flagrant dans le triangle qui s’étend de la Tunisie au Soudan et au Pakistan. Or, ce triangle est au cœur de guerres de ressources centrées pour la plupart autour du fameux or bleu : Israël et la Palestine se disputent l’accès à l’eau, les relations de la Turquie, la Syrie et l’Irak connaissent des tensions autour de l’Euphrate. De leur côté, l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte sont en conflit autour de l’eau du Nil et de ses affluents. Parce qu’ils se sont fortement multipliés au cours des deux dernières décennies, et qu’il reste fort à parier que cette tendance perdure dans les années à venir, les conflits liés à l’eau ont été placés pour la première fois en 2015 en première position sur la liste des risques futurs par le forum économique mondial de Davos. Les ressources naturelles, renouvelables ou non renouvelables, sont souvent au cœur de conflits complexes qui mêlent à la fois des facteurs historiques et géographiques. Leur rareté avive les tensions (c’est le cas de l’eau mais aussi de la terre), et leur abondance les convoitises. La rareté de l’eau, ironiquement, est plus fortement constatée dans les régions fortement peuplées. Selon l’ONU, ce sont 25 pays sur le continent africain qui seront en état de pénurie d’eau en 2025. Une pénurie qui s’explique par la surexploitation des nappes phréatiques, dans lesquelles l’eau est puisée, mais aussi par l’augmentation des besoins.
Les bassins versants, cristallisation des conflits liés à l’eau : l’exemple du lac Tchad
Au cœur des conflits liés à l’eau, les bassins versants sont une illustration parlante des tensions qui peuvent éclater autour de la gestion des sources d’eau. Un bassin versant est une zone traversée par une ou plusieurs frontières, et qui procure des ressources à plusieurs nations ou pays, grâce au bassin en lui-même, mais aussi par les parties terrestres, souvent propices à l’agriculture. Ces bassins transfrontaliers ne sont pas placés sous la protection d’une autorité internationale, et aucun système judiciaire n’est à même de résoudre les éventuels litiges. En effet, ils répondent à des politiques, cultures ou encore à des niveaux de développement différents.
Le lac Tchad, situé au centre nord du continent africain, illustre les enjeux liés aux ressources en eau. Son bassin actif borde quatre pays, le Tchad, le Nigéria, le Niger et le Cameroun, et alimente pas moins de 40 millions d’habitants. Très peu profond, il a perdu depuis les années 1960 environ 90% de sa superficie, mettant en danger la sécurité alimentaire des populations qui le bordent. En effet, l’assèchement du lac Tchad a vu la qualité des terres environnantes se dégrader, et les stocks de poisson diminuer drastiquement. Coupé en deux, le lac Tchad est désormais composé d’une zone nord, aride, et d’une zone sud qui diminue petit à petit. Ce phénomène a entraîné le déplacement des populations, qui ont suivi l’eau pour pouvoir continuer de pêcher, cultiver et élever leurs troupeaux. C’est le cas par exemple de près de 60 000 Nigérians qui, entre 1980 et 1994, ont suivi le recul des eaux du Tchad jusqu’à l’intérieur des terres camerounaises, déclenchant de fortes hostilités entre les deux peuples. Au Nigéria, ce sont près de 4000 personnes qui ont été victimes des affrontements entre agriculteurs et éleveurs entre 2016 et 2019.
Le lac Tchad est l’une des zones les plus dangereuses et instables au monde : oasis pleine de ressources pour qui parvient à la contrôler, elle est devenue le foyer d’action du groupe terroriste Boko Haram. Cette zone de confluence lui offre en effet la possibilité de se replier et d’intervenir dans quatre pays, accroissant par là sa mainmise sur la région. Caché dans les nombreux îlots qui constituent la zone du lac Tchad, Boko Haram dispose également d’une population jeune et privée de moyens de subsistance : selon une étude publiée par l’université de Leeds en 2014, la plupart de ces jeunes représentent une grande part des recrues du groupe terroriste. Des recrues qui connaissent bien mieux la région marécageuse que les autorités nigérianes par exemple, et qui représentent donc un avantage considérable.
Certains avancent que la paix dans la région du lac Tchad passe par l’eau : c’est en tout cas aujourd’hui l’un des leviers majeurs des tensions multiples qui secouent la région.