L’importance militaire du Canal de Mozambique et de la zone Indo-Pacifique pour la France

Reading Time: 5 minutes

Le canal de Suez est connu à l’échelle mondiale pour être la route maritime la plus courte entre l’Europe et les pays entourant l’océan Indien. Cette voie de navigation joue un rôle important dans le commerce mondial et elle est une des routes les plus utilisées de nos jours. Nous nous sommes rappelés de l’ampleur de son rôle lors de son obstruction temporaire pendant quelques jours en 2021 quand le porte-conteneur Ever Given s’est échoué, bloquant le trafic maritime pendant presque une semaine. On a estimé que cette épave a retardé des échanges commerciaux à hauteur d’environ 9,6 milliards de dollars avec chaque jour de stationnement. Pourtant, le Canal de Suez n’a pas toujours été le plus important goulot d’étranglement au monde. Avant son ouverture au XIXe siècle, il existait un autre passage stratégique bien plus vieux qui a servi de lien entre l’Europe et l’Asie : le Canal de Mozambique. Connu comme le “goulot d’étranglement oublié » de l’océan Indien, le Canal de Mozambique a joué à partir du XIe siècle un rôle clé comparable à celui du canal de Suez dans le commerce mondial.

1 600 kilomètres de longueur et 419 kilomètres de largeur à son point le plus étroit, le Canal de Mozambique a été établi comme un poste de traite par des commerçants persans pendant le XIe siècle, notamment pour la traite d’esclaves. Étant la voie de commerce nautique principale dans l’Océan Indien avant l’ouverture du Canal de Suez en 1869, ce poste fournissait une voie entre l’Afrique orientale et le Moyen-Orient. A partir de 1498, elle avait une fonction importante pour l’Empire portugais car elle lui assurait un moyen de transporter des esclaves d’Afrique vers d’autres colonies de l’océan Indien et de l’Europe. Cette route a également été utilisée par l’explorateur Vasco de Gama pendant son voyage en Inde dans le XVe siècle. Jusqu’en 1869, c’était la voie de commerce principale dans l’océan Indien, permettant une connexion de la région indo-océanique jusqu’en l’Europe.

Toutefois, le destin du canal a été radicalement modifié après l’ouverture du canal de Suez en 1869. La voie maritime, qui était pendant plusieurs siècles le lien naval le plus important entre la région Indo-pacifique et l’Europe, n’avait plus qu’une fonction secondaire. Le nouveau canal de Suez, plus rapide et moins coûteux, a rapidement pris sa place. Aujourd’hui, l’importance du Canal de Mozambique est moins liée à son importance en tant que route maritime, mais est plutôt due à sa position stratégique dans la région Indo-pacifique, ce qui donne une nouvelle dimension à cet espace en tant que zone géopolitique et géostratégique émergente.

La France possède la plus grande Zone Économique Exclusive (ZEE) du monde, avec une bande de mer de 151 000 km² située dans la zone Indo-pacifique. Cette zone est d’une très grande importance pour la République, qui se définit comme un « État insulaire” en raison de ses nombreux territoires et départements d’outre-mer. Des investissements français de 320 milliards d’euros ont été faits en 2018, ce qui fait de cette zone un centre d’activité géographique et économique en pleine croissance. 

La France a aussi une grande présence militaire dans cette zone et la région est divisée en plusieurs domaines de responsabilité. Ce positionnement permet la protection des territoires français, mais a aussi d’autres objectifs comme le provisionnement d’aide en cas de catastrophes naturelles ou encore la lutte contre les trafics illicites. 60% de toute la présence militaire permanente de la France à l’étranger se concentre dans la zone indo-pacifique. Dans la zone autour du Canal de Mozambique, appelée la zone sud de l’Océan Indien, la protection nationale et régionale est assurée depuis deux bases français situées La Réunion et Mayotte.

Depuis les années 1990, la France s’est impliquée de plus en plus dans la zone indo-Pacifique, par voie de dialogue avec des Etats dans la région, le renforcement de partenariats militaires ou encore la participation dans des exercices maritimes. Un exemple pertinent est l’exercice naval bilatéral,Varuna 2021,entre l’Inde et la France qui a eu lieu du 25 au 27 avril 2021. Cette démonstration fait partie d’une série d’exercices navals bilatéraux réalisés par les militaires des deux pays afin de promouvoir la sécurité maritime dans la région indo-pacifique. 

Le 3 mai 2018 à la base navale de Garden Island à Sydney en Australie, Emmanuel Macron a donné un discours, introduisant pour la première fois le concept de la France en tant que “pouvoir Indo-Pacifique” (“Indo-Pacific power”), faisant référence à “un vrai nouvel ordre géostratégique” entre la France, l’Australie et l’Inde face aux objectifs communs dans la zone indo-pacifique. 

En effet, la puissance militaire de la France dans la zone indo-Pacifique est sans précédent. La ministre des Armées, Florence Parly, a concrétisé l’aide militaire apporté de la France depuis la Réunion et Mayotte pour se rendre au Mozambique afin de former les militaires à lutter contre le terrorisme dans le pays le 12 janvier 2021. Cet intérêt français pour le canal du Mozambique doit également être considéré dans le contexte de l’insurrection au Mozambique (dans la province de Cabo Delgado), ce qui représente une grande menace pour les importants intérêts économiques français au Mozambique. Les Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) ont encouragé la coopération militaire dans la région. Le contingent de la Légion étrangère française stationné à Mayotte (connu sous l’acronyme DLEM) fait partie des FAZSOI et peut être déployé à court terme. Le contingent DLEM a été déployé au Mozambique en 2019, pour aider à atténuer l’impact du cyclone Idai.

L’importance géostratégique de l’Océan Indien pourrait aussi engendrer des conflits militaires potentiels, un facteur important que la France suivra de près. L’émergence du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD) entre les Etats-Unis, l’Inde, le Japon et l’Australie en est un bon exemple. Le QUAD ne concerne pas seulement les capacités militaires de chaque pays, mais se concentre également sur des systèmes de valeurs plus granulaires. La Chine a qualifié avec un certain mépris le groupement QUAD d' »OTAN asiatique », tandis que les États-Unis estiment qu’il trace clairement la frontière entre les systèmes de gouvernement démocratiques et autocratiques dans la région indo-pacifique.

Une deuxième question qui peut être abordée dans ce contexte est l’accord sur les sous-marins AUKUS. Dans le cadre de l’AUKUS, le Royaume-Uni et les États-Unis se sont engagés à coopérer avec l’Australie pour l’aider à acquérir la technologie des sous-marins à propulsion nucléaire, notamment l’intelligence artificielle et les capacités de frappe sous-marine à longue portée. L’Australie est l’un des principaux concurrents de la Chine dans la région indo-pacifique et cette démarche est interprétée par la Chine comme un effort pour contenir et limiter son influence. L’affaire AUKUS a également mis en évidence les différences avec les États-Unis sur Taïwan, la mer de Chine méridionale et les conflits relatifs aux îles Senkaku. Les tensions commerciales entre l’Australie et la Chine couvent depuis des mois et ont de nouveau été mises en évidence lors d’une réunion de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève le 21 octobre 2021.

Dans un monde qui évolue de plus en plus vers un avenir plus durable, l’importance de l’économie des océans (l’économie bleue) ne cesse d’augmenter. Cela relève de plusieurs enjeux tels que le transport maritime, l’aquaculture, les services de protection marine, la gouvernance des océans et le tourisme marin. Dans ce contexte, il est inévitable que la région de l’océan Indien occupe une place de plus en plus importante dans la liste des priorités géostratégiques de la France.

Sources:

Laisser un commentaire

Fermer le menu