BREXIT : La politique extérieure britannique à travers le prisme de ses relations avec le continent européen

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« Comprenez bien qu’entre l’immensité de l’océan et vous – le Continent – nous choisirons toujours l’océan », Winston Churchill au général de Gaulle. Au regard de l’actualité récente, les relations entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne ne peuvent qu’être complexes. Une fois devenue île, elle ne pouvait que s’éprendre de son « splendide isolement », d’en faire une force et surtout un destin. L’adhésion à l’Europe n’a jamais été évidente et s’est faite, pour certains, sur un malentendu et à contrecœur. Souvent décrite comme un partenaire arrogant et de mauvaise foi, la Grande-Bretagne s’est résignée à rejoindre en 1973 la Communauté économique européenne (CEE). Un peu plus d’un an après son adhésion, elle menaçait déjà de la quitter. Or, contrairement aux discours traditionnellement entendus sur l’insularité britannique et son inappétence pour ce continent – théâtre des affrontements entre les nations -, l’histoire britannique s’est faite avec l’Europe. La gestion et la participation à l’équilibre des forces européennes a permis à la Grande-Bretagne de garantir la sécurité de son empire. À travers cet article, ISD vous propose d’en apprendre davantage sur l’histoire des relations militaires et politiques entre la Grande-Bretagne et le Continent.

La Grande-Bretagne, une puissance – traditionnellement – tournée vers les océans ?

« Faire face à l’immensité des océans, c’est tourner le dos aux vicissitudes terrestres » comme le disait le poète français Lucien Becker. Ainsi en était de la politique britannique depuis la perte en 1558, de Calais, une de ses dernières enclaves terrestres européennes. Par son histoire et sa géographie, la Grande-Bretagne est naturellement tournée vers les océans, et ce n’est pas un hasard si elle fut la première puissance mondiale pendant plus d’un siècle avec un Empire colonial à l’origine d’une mondialisation et d’une marine réputée implacable. Ce pays marchand qui est aux origines de la démocratie libérale occidentale a toujours eu une vision pragmatique des relations internationales. D’abord une vision pragmatique de la colonisation, la Grande-Bretagne cherchait uniquement à tirer un maximum de bénéfice économique et commercial de cette entreprise et non pas de s’engager dans des aventures universalistes et « civilisatrice » contrairement à la France. Comme pour la colonisation, l’intégration européenne se voulait tout aussi pragmatique, Londres était favorable à l’économie et au marché européen mais rejetait entièrement l’Europe politique.

Cependant, rappelons que pendant longtemps, la Grande-Bretagne a été une véritable puissance européenne. André Siegfried commençait ses cours de civilisation britannique à la Sorbonne par la phrase désormais célèbre : « L’Angleterre est une île et je devrais m’arrêter là ». En ce sens, il pensait avoir tout compris à la politique extérieure britannique. Toutefois, du duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, au sulfureux roi Henry VIII, l’Angleterre fut à cheval sur les deux rives de la Manche. Ce n’est que pendant la période des Tudor que la Manche devient une frontière de séparation efficace. Auparavant, Londres était bien plus liée à Paris, à la Flandre et aux villes hanséatiques qu’à l’Écosse, l’Irlande ou le Pays de Galles. Le commerce anglais était européen avant d’être atlantique et restait important même lorsque la Grande-Bretagne toisait moins le Continent. L’insularité se manifeste dans le sillage des défaites de la guerre de Cent Ans et du boutage anglais hors du Continent. Les Îles Britanniques n’en deviennent pas unies pour autant. De la période médiévale à l’Union de 1707, Écosse et Angleterre se sont affrontés à plusieurs reprises et l’Acte de 1707 est dicté par la raison – du fait notamment de la faillite des aventures coloniales écossaises.

La politique européenne de la Grande-Bretagne : la garantie de l’équilibre des forces

Aux horizons du XVIIe siècle, la Grande-Bretagne semble larguer son ancrage continental. Or, la survie d’une île relativement petite au large de l’Europe aurait été compromise si toutes les ressources humaines et matérielles du Continent avaient été mobilisées sous l’autorité d’un seul et même monarque. C’est en ce sens que la politique extérieure britannique relève, dès cette période, d’une formidable constance. La Grande-Bretagne était le seul pays dont sa raison d’État ne l’obligeait pas à chercher une expansion en Europe. Son intérêt national était celui de préserver l’équilibre européen, d’empêcher le continent de tomber sous l’hégémonie d’une puissance unique qui aurait, a fortiori, menacé la sécurité de l’île. Toutes les guerres de la Grande-Bretagne sur le Continent relèvent de cette logique. La politique britannique consistait à jeter tout son poids, le cas échéant, dans le camp du plus faible afin de rétablir l’équilibre. Face aux quelques colosses cherchant à unifier l’Europe, Londres a été d’une énergie jamais défaillante pour tenir en échec ces aventures hégémoniques. Face à Louis XIV, Guillaume III a dressé la Ligue d’Augsbourg contre la France, Napoléon a été tenu en échec par une coalition d’États européens orchestrée par Londres, face à la Russie, la Grande-Bretagne s’est alliée avec la France, enfin face à l’Allemagne la Grande-Bretagne s’est alliée à la France et à la Russie.

Winston Churchill notait bien tous les mécanismes de cette politique d’équilibre : « Si les circonstances étaient inversées, nous pourrions être tout aussi proallemands et antifrançais ». Dans ce sens, la politique britannique n’était pas idéologique, et les alliances avec les États du Continent pouvaient changer rapidement si Londres jugeait son allié trop imposant, c’était tout le sens de la formule de Lord Palmerston, Premier ministre britannique de 1855 à 1865 : « L’Angleterre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents, elle n’a que des intérêts permanents ». La Grande-Bretagne devint l’élément régulateur de l’équilibre en Europe. Cette notion d’équilibre et cette crainte d’un « supercontinent européen » expliquait la période d’euroscepticisme des années Thatcher, voir, d’une certaine manière jusqu’à l’actualité récente. En septembre 1988, elle adressait une réponse cinglante à Jacques Delors, apôtre du fédéralisme européen, lors de son discours de Bruges : « We have not successfully rolled back the frontiers of the state in Britain, only to see them reimposed at a European level, with a European super-state exercising a new dominance from Brussels ».

Le « particularisme » britannique entre mentalité insulaire et rémanents de l’idée impériale ?

Si la période Thatcher apparaît comme une cassure dans l’esprit public britannique, l’âge d’or impérial appartient bien au passé. Au lendemain des deux guerres mondiales, ce qui pousse la Grande-Bretagne vers l’Europe, c’est la fin de son empire quand ses ancrages lointains se défont (Inde, Australie etc.). La Première Guerre mondiale sonne le glas de la période hégémonique de 1815 à 1914, la Seconde Guerre mondiale consacre le déclin de la Grande-Bretagne contrainte à nouveau de se saigner à blanc en Europe. Néanmoins, en 1994 l’insularité britannique est vaincue avec l’ouverture du tunnel sous la Manche. Au fond, après ces évènements, la Grande-Bretagne – peut-être à contrecœur – se redécouvre européenne. Il est important de noter, qu’elle fut le laboratoire de l’Europe par excellence, la première à reconnaître la fonction parlementaire, la première à décapiter et la première à faire l’amère expérience d’une dictature idéologique sous Cromwell. Dès le XVIIe siècle, contrairement au reste de l’Europe, la Grande-Bretagne est la seule puissance européenne à ne pas dévier d’une stratégie globale qui est celle de l’équilibre des puissances. De plus, elle se distingue par sa stabilité, si l’on excepte l’épisode Cromwellien, particulièrement aux XVIIIe et XIXe siècles.

Au fond, ce rejet de l’Europe, d’une partie des Britanniques, n’est-il pas simplement l’incompréhension d’un continent qui n’a pas eu la même histoire ? Pour les Britanniques, intégrer la CEE à ses débuts n’apparaissait pas comme une évidence. En effet, l’île n’avait que très peu souffert des affres des deux guerres mondiales à la différence des continentaux ramenés à zéro par la guerre civile européenne. Du moment que l’empire par-delà les mers fournissait la puissance militaire et économique aux Britanniques la Grande-Bretagne ne pouvait se sentir sauvée ou réinventée par la construction européenne. Mais très vite après la guerre, son empire colonial perdu, traversant une difficile crise économique sous les années Edward Heath – Premier ministre britannique de 1970 à 1974 –, la Grande-Bretagne se résolvait à entrer dans la « maison de retraite » européenne. De plus, voyant les succès de reconstruction économique des pays touchés par la guerre au sein de la CEE, la Grande-Bretagne a changé d’avis et a pu considérer le caractère intéressant d’un appui de son économie défaillante par l’Europe. Dans les années 1960, elle s’est cependant heurtée à l’hostilité du général de Gaulle qui voyait en la perfide Albion une puissance maritime et insulaire, uniquement attachée à des intérêts économiques et tournée vers les États-Unis. L’historien britannique Vernon Bogdanor résume bien la situation : « For centuries we lived in splendid isolation, protected by the Navy and the Empire. Now, of course, that period of isolation has long gone, but perhaps it still retains some of its impact upon the British people, who do not want ties with the Continent ».

La Grande-Bretagne, État impérial par excellence, avec une véritable stratégie mondiale, une habile gestion de ses vastes possessions et l’imposition de l’anglais comme langage planétaire, a constamment cherché à freiner la dissolution de ses institutions dans l’Union Européenne. Contrairement à d’autres membres insulaires de l’UE, Irlande, Malte, la mentalité insulaire britannique combinée à l’héritage impérial a fait de cette île une nation non habituée à recevoir des ordres mais plutôt à en donner. La relation entre la Grande-Bretagne et l’Europe reste un paradoxe géopolitique résumé par la formule : « Britain is part of Europe, but not in it ».

BIBLIOGRAPHIE :

De Villepin Dominique, Mémoire de paix pour temps de guerre, Paris, Grasset, 2016

Kissinger Henry, Diplomatie, New York, Fayard, 1994

Moreau Defarges Philippe, « Et si l’Europe, libérée de la perfide Albion, perdait sa boussole ? », Politique étrangère, 2015, p. 75-86

https://brexitcentral.com/britains-relationship-europe-geopolitical-paradox/

https://www.bbc.com/news/uk-politics-26515129

Willetts David, « How Thatcher’s Bruges speech put Britain on the road to Brexit », Financial Times, 31 août 2018

Ronan Corcoran

Étudiant en relations internationales, je m'intéresse aux questions de sécurité et de défense particulièrement dans les zones d'Europe du Nord, d'Europe de l'Est et d'Afrique subsaharienne.

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