Bilan : quelles perspectives pour les relations entre Washington et Moscou ?

Bilan : quelles perspectives pour les relations entre Washington et Moscou ?

Reading Time: 5 minutes

Vieux ennemis, Washington et Moscou voient leurs relations atteindre leur niveau le plus bas depuis le début des années 1980. L’administration Biden fait ses débuts en affichant des positions fermes à l’encontre de la Russie tandis que Moscou privilégie ses intérêts aux dépens d’un renouvellement de ses relations avec les pays occidentaux, position renforcée par un durcissement de son régime sur la scène intérieure.

Ce contexte américano-russe dégradé ne permet pas d’imaginer un « reset » comparable à celui qui a été mis en place sous le premier mandat du président Barack Obama. Cependant, des axes de coopération existent et rien n’exclut une tentative de dialogue entre les deux premières puissances nucléaires. 

A l’origine : une politique étrangère russe perçue comme agressive

Vladimir Poutine l’avait annoncé dès son arrivée au pouvoir en 1999, la Russie entend renouer avec sa puissance d’antan grâce à une politique de puissance exacerbée dont l’annexion de la Crimée et la déstabilisation du Donbass en 2014 constitue l’apogée. Dès lors, la Russie tente d’étendre son ambition au-delà de l’espace postsoviétique en intervenant en Syrie et en renforçant ses relations avec plusieurs pays du Moyen-Orient dont la Turquie. Une importante coopération politique et opérationnelle est née sur le terrain syrien entre Moscou et Ankara, appuyée par une relation d’armement reposant sur la vente de systèmes de défense antiaérienne S-400. Une action visant indirectement les Etats-Unis, principal acteur diplomatique et militaire dans la région.

S’appuyant sur ces points forts, à travers la « diplomatie de défense » qui se matérialise par  la vente d’armes et de sociétés militaires privées, le dialogue est renoué avec plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. De même, dans le domaine de la défense, on peut observer depuis plusieurs années un renforcement de la convergence entre Moscou et Pékin, redistribuant les cartes en mettant à mal les intérêts américains, dont les relations avec la Chine ne sont pas meilleures qu’avec la Russie.

Au regard de ses multiples attaques tout aussi frontales qu’indirectes, Moscou est devenu un « compétiteur stratégique » selon la Stratégie de défense nationale publiée en 2018, redouté et combattu sur la scène internationale.

L’ingérence russe à l’origine de l’antagonisme avec les Américains

Sujet mondial de discorde, les allégations d’ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine de 2016 ont profondément accentué la méfiance américaine à l’égard de Moscou. Si les faits ne sont plus contestables depuis le rapport Mueller publié en mars 2019, les conséquences ont une portée incontestable dans le débat américain comme le soulignait Antony Blinken le 24 juillet 2017 sur la chaîne Public Broadcasting Service « nous sommes désormais obnubilés par ce que la Russie a fait ou n’a pas fait durant les élections, par les collusions avec Moscou qui ont eu lieu ou pas durant la campagne », devenant l’un des terrains d’affrontement entre démocrates et républicains.

Décidé à afficher sa fermeté vis-à-vis de la Russie, Joe Biden n’a pas hésité à imposer par décret des sanctions financières le 15 avril envers Moscou et à expulser 10 diplomates russes en représailles de la cyberattaque « SolarWinds » qui avait visé une centaine de sociétés et agences gouvernementales américaines et de l’ingérence autorisée par Vladimir Poutine à des mandataires des services de renseignements dans l’élection présidentielle américaine de 2020. Si le texte du décret annonce une « situation d’urgence pour écarter la menace russe », les restrictions sont conséquentes et visent particulièrement la dette publique russe. A compter du 14 juin, les institutions financières des Etats-Unis ne pourront plus acheter directement la dette émise par la Russie. Indirectement, Washington attaque les activités russes, les entreprises visées ayant participé à la construction du pont de Crimée et des personnes participant à l’occupation de la presqu’île. En parallèle, 83 000 soldats étaient dénombrés en Crimée par Kiev le 12 avril.

Cependant, Microsoft a révélé le 27 mai 2021 une nouvelle attaque informatique attribuée à Nobelium, groupe affilié au service de renseignement extérieur russe. Selon Tom Burt, vice-président de Microsoft chargé des questions de sécurité, plus de 3000 comptes de messageries électroniques et 150 organisations ont été ciblés y compris des organisations critiques de la Russie. Ces cyberattaques répétées de Nobelium « augmentent les risques de dommage collatéral dans les activités d’espionnage et sapent la confiance dans l’écosystème technologique » selon Tom Burt. Pourtant, les sanctions américaines ne semblent pas avoir d’effet pour dissuader ce type d’activités. La seule solution est donc le renforcement des défenses américaines, l’administration Biden a ainsi  signé en mai un décret visant à améliorer les capacités du pays, des agences publiques comme du secteur privé en matière de cybersécurité.

Une volonté affichée de renouer le dialogue

Vindicatif pendant sa campagne présidentielle, Joe Biden n’avait pas hésité à traiter Vladimir Poutine de « voyou du KGB ».Aujourd’hui élu, le président sait qu’il doit composer avec le dirigeant russe. Le premier appel entre les deux dirigeants était ainsi l’occasion d’opérer un virage par rapport à l’attitude de son prédécesseur, Donald Trump, Joe Biden ayant décidé de confronter son homologue au sujet de l’empoisonnement d’Alexeï Navalny, leader de l’opposition russe et de la cyberattaque SolarWinds. Par la même occasion, les dirigeants ont convenu de prolonger de cinq ans le traité New Start, accord de l’ère Obama, signé en 2010, expirant le 5 février qui limite les arsenaux nucléaires stratégiques russes et américains à 1550 ogives et bombes chacun.

Malgré les divergences, les deux puissances semblent ouvertes à la reprise d’un dialogue constructif. Le 17 mars, Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, annonçait le rappel d’Anatoli Antonov, ambassadeur à Washington, pour évaluer l’état actuel des relations russo-américaines afin d’empêcher « leur dégradation irréversible » selon Maria Zakharova. De même, alors que les Etats-Unis pointaient ouvertement du doigt la présence de troupes russes à la frontière ukrainienne, réaffirmant leur soutien à l’Ukraine, mi-avril, Joe Biden a décidé de s’entretenir avec Vladimir Poutine et lui a proposé une rencontre dans un pays tiers, qui doit  avoir lieu le 16 juin.

Mercredi 19 mai à Reykjavik, se tenait la première rencontre entre Sergueï Lavrov et Antony Blinken, chefs de la diplomatie russe et américaine. Cette entrevue aux allures de répétition avant le possible sommet proposé en juin par Joe Biden avait pour objectif d’ouvrir la voie au dialogue. En effet, selon Serguei Lavrov, les Etats-Unis et la Russie « comprennent la nécessité de mettre fin au climat malsain qui s’est formé dans les relations entre Moscou et Washington ces dernières années », même si les deux hommes d’Etat sont conscients des nombreuses divergences qui les opposent. Pour autant, Washington semble prêt à apaiser les tensions en décidant de ne pas sanctionner l’entreprise chargée de superviser le gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l’Allemagne ainsi que son directeur général Matthias Warnig, proche de Vladimir Poutine. Malgré ces réticences face au gazoduc, les Etats-Unis ont fait passer en priorité leurs relations avec leurs alliés européens et notamment allemands, ce qui revient dès lors à laisser le champ libre au gazoduc.

Ainsi, partant sur les bases d’une relation bilatérale dégradée, les deux puissances ouvrent petit à petit la voie à un dialogue tout en maintenant des positions fermes sur un certain nombre de sujets. Les dirigeants devront se saisir de chaque opportunité pour espérer coopérer, tel est le cas de la relance de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA) qui avait été mis à mal par les sanctions imposées par l’administration Trump.

Laisser un commentaire

Fermer le menu