État et perspectives des relations entre Paris et Washington

État et perspectives des relations entre Paris et Washington

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C’est en mai 2017, à l’occasion d’un sommet de l’OTAN, que démarre la relation tumultueuse entretenue par Emmanuel Macron et Donald Trump. Tout juste élu, le président français joue la carte de la séduction et impressionne son homologue américain. Après d’une poignée de main longue de 19 secondes, Donald Trump est prévenu, il aura face à lui un adversaire redoutable.

La lune de miel n’aura duré qu’un temps. Si le président français a essayé de jouer la carte psychologique avec son homologue américain, les résultats se sont révélés décevants. Force est de constater que cette stratégie s’est heurtée à l’inflexibilité de Trump et à sa vision étriquée du concept « America first ». Défendeur de l’unilatéralisme, l’ancien président américain n’a pas renoncé à sa ligne directrice, la conséquence, une multiplication des points de friction que Joe Biden devra dénouer point par point.

Si l’élection de Joe Biden a été un vrai soulagement pour les dirigeants français qui misent sur un réalignement au moins partiel des intérêts et des valeurs défendues par les États-Unis, le chantier est vaste et les enjeux sont importants.

L’OTAN et « l’armée européenne », sujets de discorde 

Le 9 novembre 2018, Donald Trump usait de son moyen de communication favori, Twitter, pour adresser un tacle au président français « le président Macron vient de suggérer que l’Europe construise sa propre armée pour se protéger des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie. Très insultant mais peut-être que l’Europe devrait d’abord payer sa part à l’OTAN que les Etats-Unis subventionnent largement ! » juste avant que son Air Force One n’atterisse sur le sol français pour participer aux commémoration de la fin de la Première guerre mondiale. 

Mardi 6 novembre 2018, Emmanuel Macron appelait à la création d’une « véritable armée européenne », la veille de la première réunion à Paris d’une coalition de 9 pays signataires de l’initiative européenne d’intervention (IEI), comprenant la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, l’Estonie, l’Espagne et le Portugal. Le projet initié par la France vise à intensifier les échanges entre les états-majors et à assurer une meilleure coordination afin de permettre à l’Europe de se défendre seule sans dépendre totalement des États-Unis.  

À cette époque, la position de défense européenne macronienne ne s’arrêtait pas là. La politique de défense européenne connaissait en parallèle deux avancées majeures : la coopération structurée permanente met en place un programme d’équipements militaires communs rassemble 25 États membres et le Fonds européen de défense auquel avait été alloué un budget de 13 milliards d’euros sur la période 2021-2027.  Les projets d’Emmanuel Macron ne s’arrêtent pas là, si le président rêve d’une Europe de la Défense autonome, ses ambitions se heurtent à de profonds désaccords avec les partenaires européens qui restent attachés à la protection de l’OTAN Ces projets sont surtout freinés par de faibles perspectives de moyens, la France étant le seul pays de l’Union Européenne à être doté de l’arme nucléaire depuis le Brexit. 

Yves Boyer, chercheur  associé à la Fondation pour la recherche stratégique, explique ainsi que « Trump a tapé du poing sur la table, mais cette idée d’un partage du fardeau est très ancienne puisqu’elle date de 1967. En réalité, les Américains tiennent mordicus au maintien de l’Otan, qui leur offre une présence stratégique militaire importante en Europe » et voit donc ces projets d’indépendance comme une menace à la souveraineté militaire américaine. 

L’élection de Joe Biden se présente comme une brèche entrouverte pour Emmanuel Macron qui tentera sûrement de prêcher sur l’importance de l’autonomisation de la défense européenne auprès de son homologue américain. 

L’avenir : nationalisme ou multilatéralisme ? 

Depuis son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron se positionne comme le promoteur d’un nouveau multilatéralisme, tandis que Donald impose sa vision de la politique étrangère en se retirant des accords et institutions multilatéraux, qui imposent selon lui, des normes contraires à leurs intérêts. 

Fervent supporter du nationalisme, Donald Trump a dès le début de sa prise de fonction quitté plusieurs accords internationaux dont les Accords de Paris et l’Accord de Vienne, de quoi provoquer la frustration d’Emmanuel Macron. Point de friction majeur, lors du centenaire de l’armistice, le chef de l’Etat français n’a pas hésité à adresser un pique implicite à la stratégie de son homologue américain en déclarant que « le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme. Le nationalisme en est sa trahison ». 

Joe Biden a hérité d’une Amérique isolée et  aux relations détériorées avec ces alliés historiques. En rupture avec son prédécesseur et conscient de l’enjeu sous-jacent, Joe Biden avait martelé pendant sa campagne sa volonté d’assurer un retour des États-Unis sur la scène internationale. 

Le président nouvellement élu n’aura pas attendu bien longtemps : vendredi 19 février 2021, lors du G7 qui se tenait par visioconférence, Joe Biden a affirmé le retour de l’alliance transatlantique : « Je vous parle aujourd’hui comme président des États-Unis, au tout début de mon administration, et j’envoie un message clair au monde: l’Amérique est de retour. L’alliance transatlantique est de retour » a-t-il déclaré, encore faut-il savoir quels sont les objectifs motivant le retour des États-Unis sur le devant de la scène. 

La vision du multilatéralisme de Biden, énoncée dans les textes essentiels de sa campagne, « The Biden Plan for Leading the Democratic World to Meet the Challenges of the 21st Century », « Biden for President July 11, 2019 » et « Why America must lead again. Rescuing US foreign policy after Trump »,  est loin de celle de l’ONU, de sa Charte et des principes et buts essentiels qu’elle proclame. Tout simplement il n’en parle pas, cela ne signifie pas qu’il n’en tiendra pas compte, mais à l’évidence Le multilatéralisme n’est pas une exigence principale dans sa vision du monde. Mais que signifie le multilatéralisme dans le langage bidenien ? En réalité son objectif est simple : Joe Biden  souhaite reconstruire la crédibilité internationale américaine et rassembler le monde dit libre derrière les Etats-Unis. Plus encore, Biden dit vouloir forger un programme d’action pour faire face aux menaces sur les valeurs communes. Une action commune qui vise explicitement à organiser une confrontation face à la Russie et contre les ambitions de puissance de la Chine, en témoignent ces attaques lors du sommet du G7 du 19 février 2021. 

Lors de sa première intervention devant ses partenaires européens, Joe Biden en a profité pour attaquer la Russie en l’accusant « d’attaquer nos démocraties » et en prenant une position ferme et tranchée envers la politique diplomatique de Vladimir Poutine en déclarant que ”[celui-ci] cherche à affaiblir le projet européen et notre alliance de l’Otan. […] Il veut saboter l’unité transatlantique et notre détermination, parce qu’il est beaucoup plus facile pour le Kremlin d’intimider et de menacer des États seuls plutôt que de négocier avec une communauté transatlantique forte et unie ». Tout en prenant position contre la Chine en appelant ses partenaires à s’unir pour lutter contre les « abus économiques de la Chine ». 

Si les chefs d’État et de gouvernement du G7 ont proclamé vouloir faire de 2021 « un tournant pour le multilatéralisme » qui mettrait fin à l’ère Trump, cette action stratégique commune des pays d’un monde libre visant à garantir la continuité d’une domination globale n’est pas sans conséquence sur les politiques qui seront conduites. De même, dans ce contexte de volonté d’émancipation de l’Europe portée par Emmanuel Macron, les différends pourraient se cristalliser et aboutir à des points de friction rappelant la relation sur le fil qu’ont entretenue le président français et Donald Trump sur la fin de son mandat. En bref, le multilatéralisme est rétabli mais les Etats-Unis n’hésiteront pas à défendre leur position quitte à conserver d’une certaine manière la ligne de conduite adoptée par Donald Trump envers certains pays. 

Premières interventions placées sous le signe de la rupture 

Donald Trump, élu « pour représenter les habitants de Pittsburgh, pas de Paris », avait fait part de sa volonté le 1er juin 2017 de se retirer de l’accord de Paris, mais les règles de procédure l’obligeait à attendre 3 ans à compter de l’entrée en vigueur du texte (4 novembre 2016) avant de pouvoir entamer les démarches officielles. Cette décision ayant été critiquée par les responsables européens et par une partie des démocrates, Joe Biden avait fait du retour des États-Unis dans les Accords de Paris l’un des éléments centraux de sa campagne. C’est chose faite, le vendredi 19 février 2021, les États-Unis ont fait leur retour officiel dans les accords de Paris sur le climat même si John Kerry, envoyé spécial de l’administration américaine pour le climat a mis en garde : le chemin est encore long et de nombreux sujets sont à aborder en perspective du sommet mondial sur le climat de Glasgow, prévu en novembre 2021. 

De même, Joe Biden a pris l’engagement de rejoindre l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien et le Plan d’Action Global Conjoint (JCPOA) qui en détermine les délimitations tout en posant des conditions qui excèdent le périmètre de l’accord. Selon le, il faudrait que Téhéran revienne au respect de cet Accord et ce ne serait que par la suite que l’administration dans sa perspective de hard-nose diplomacy travaillerait avec ses alliés pour renforcer l’accord afin d’empêcher l’Iran de continuer ses activités nucléaires menace pour l’ordre mondial. 

Notons que cela converge avec la position prise par Emmanuel Macron en 2018, suite à la décision de l’administration de Trump, de se retirer de l’accord. En effet, pour la France et ses partenaires européens, l’objectif était de maintenir l’accord en exigeant un nouvel accord ou un élargissement de celui-ci sur la question des missiles et des interventions iraniennes dans les conflits régionaux, contraintes supplémentaires sans rapport avec le nucléaire. Ces positions jugées agressives expliquent pourquoi l’Iran après avoir strictement respecté l’Accord de Vienne pendant 3 ans et 9 mois a fini par renforcer le processus de production d’uranium enrichi.  

Ce dossier, au cœur de toutes les préoccupations, a déjà fait l’objet d’une discussion entre Biden et Macron. Lors de leur premier entretien téléphonique, dimanche 24 janvier, les chefs d’État ont constaté « leurs convergences et leur volonté d’agir ensemble pour la paix et la stabilité au Proche et Moyen-Orient, en particulier sur le dossier iranien et sur la situation au Liban » selon l’Elysée. Si les idées convergent vers le même objectif, il est plus prudent d’attendre les mesures qui seront discutées avant d’affirmer  une réconciliation totale sur le sujet. 

Quelles perspectives en Syrie ? 

Le 19 décembre 2018, Donald Trump annonçait le début du rapatriement des troupes engagées en Syrie, soit 2000 soldats, après avoir proclamé sur Twitter la défaite de l’État Islamique (EI) en territoire syrien. Une décision critiquée par son homologue français qui déplorait l’absence de coordination dont faisait preuve l’administration américaine avec ses alliés. Florence Parly, ministre française des Armées, avait pour sa part déclaré, « nous ne partageons pas du tout l’analyse selon laquelle le califat territorial serait anéanti. Le risque, en ne finissant pas ce travail, c’est de laisser perdurer des groupes et que ces groupes reprennent leurs activités et qu’au-delà du califat territorial, ils puissent agir sur un territoire qui est au moins aussi grand que celui l’Europe ». 

La première action militaire de l’administration Biden était attendue. Le jeudi 25 février, les États-Unis ont frappé des infrastructures utilisées par des milices pro-iraniennes en Syrie en réponse aux récentes attaques contre des intérêts occidentaux en Irak. 

Cette intervention illustre-t-elle une volonté des Etats-Unis d’accroître / de rétablir leur intervention militaire en Syrie ou démontre-t-elle seulement une volonté de défendre les troupes américaines en Irak ? 

Cette décision s’analyse comme un signal envoyé à l’Iran et ses mandataires dans la région à la suite des attaques des groupes armées pro-iraniens plutôt que comme une volonté de réengager des soldats sur le sol syrien. Il reste que la menace terroriste est toujours présente dans la région et que le retour en force des États-Unis dans l’Alliance transatlantique et à l’OTAN pèsera sur les choix militaires du pays et son engagement dans les prochaines années. 

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