Bilan et perspectives de l’engagement militaire français au Sahel

Bilan et perspectives de l’engagement militaire français au Sahel

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C’est en 2012, avec le renversement du régime démocratique du président Amadou Toumani Touré par un putsch militaire à Bamako et la prise de contrôle des deux tiers du territoire malien par les mouvements terroristes que les acteurs internationaux ont pris conscience du risque de dégradation irréversible de la situation dans le Sahel. À la demande des autorités maliennes, alors que la commune de Konna tombait entre les mains des groupes terroristes le 11 janvier 2013, François Hollande lançait l’opération Serval,et à laquelle a succédé l’opération Barkhane à partir du 1er avril 2014. Aujourd’hui, l’action française est conduite conjointement avec des forces d’ interventions de la communauté internationale et de la force conjointe du G5 Sahel. 

Une intervention pour contrer l’influence des groupes terroristes au Sahel 

En janvier 2012, le nord du Mali est contrôlé par une rébellion touareg menée par le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) s’étant soulevé contre le régime de Bamako. Cependant les groupes mercenaires de la Légion islamique revenus de Libye et les terroristes du Mujao ont pris le contrôle de trois régions du nord (Kidal, Gao et Tombouctou)et ont instrumentalisé les conflits locaux pour embraser le conflit interne. Président de transition, Dioncounda Traoré a fait appel à la France pour enrayer la progression des djihadistes. L’opération Serval est lancée avec pour mission d’empêcher les djihadistes d’atteindre la capitale de Bamako en ramenant la sécurité dans le nord du Mali et en permettant à l’État malien de reprendre le contrôle des territoires perdus. Cependant, pour répondre de manière plus adaptée à cette menace qui s’est régionalisée et pour appuyer les forces armées des pays partenaires de la bande sahélo-saharienne, l’opération Barkhane remplace à partir du 1er août 2014 les opérations Serval au Mali et Épervier au Tchad. 

Pour limiter l’influence des groupes terroristes dans la région, le Conseil de sécurité des Nations unies a créé par la résolution 2100 la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) dont la force militaire appuyée par 56 pays est déployée depuis le 1er juillet 2013. Conscients que l’efficacité sur le long terme de l’intervention internationale repose sur le développement de la sécurité interne des pays, le président mauritanien Aziz a proposé la mise en place d’un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de sécurité et de développement avec trois autres pays : le Mali mais aussi le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Le 19 décembre 2014 est ainsi signée la convention portant création du G5 Sahel et son déploiement contre les mouvements terroristes est décidé en février 2017. 

Quatre Soldats Portant Des Fusils Près D'hélicoptère Sous Le Ciel Bleu

Si le succès de cette force commune à terme, dépendants des financements internationaux, la France a engagé un profond tournant dans sa politique qui promeut une relation aux dimensions partenariales, s’appuyant sur des politiques d’accompagnement et de conseil, en témoigne le discours d’Emmanuel Macron du 29 Novembre 2017 à l’université de Ouagadougou « une amitié pour agir ». 

Les sommets G5 Sahel en proie au bilan 

Le bilan de l’opération est plutôt positif si on le compare  à la situation de l’année 2019 durant laquelle  les armées du Mali, du Niger et du Burkina Faso ont subit  une série de défaites face à une offensive des groupes djihadistes, aboutissant à la convocation, par le Président français Emmanuel Macron, des chefs d’Etat et de gouvernement du G5 Sahel à un sommet organisé à Pau en janvier 2020. Finalement c’est 600 soldats supplémentaires qui ont été envoyés au Sahel, élevant à 5 100 militaires tricolores actifs dans la région, tandis que les membres du G5 exprimaient « le souhait de la poursuite de l’engagement militaire de la France au Sahel » face à la montée d’un sentiment anti-français. Pour améliorer la force de frappe, une « coalition pour le Sahel » a été créée et a pour piliers le combat contre les groupes armés terroristes, la formation et l’équipement des armées du G5 ainsi que le développement et l’amélioration de la gouvernance.

Aujourd’hui deux grandes entités rebelles sont présentes au Mali. Dans la région des « trois frontières », l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) obéit à l’Etat islamique, ce groupe sur lequel se concentrent les opérations armées depuis le Sommet de Pau (13 janvier 2020) a vu ses forces s’affaiblir. Eli Tenenbaum, spécialiste des questions de défense et du Sahel à l’Ifri analyse que les récentes opérations menées sous le commandement de la force Barkhane et de la force conjointe du G5 Sahel ont porté leurs fruits, l’EIGS n’étant plus capable de mener d’opérations de grande envergure. 

En parallèle, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda, monte en puissance. En novembre 2020, le général Marc Conruyt, commandant de la force Barkhane déclarait devant l’Assemblée nationale qu’il s’agissait à ce jour de « l’ennemi le plus dangereux pour la Force Barkhane, pour les forces internationales et pour le Mali ». L’élimination d’Abdelmalek Droukdel, l’émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, par la force française Barkhane appuyée par le service des renseignements américain, le 3 juin 2020 constitue une belle victoire soulignant l’efficacité de l’opération. 

Mardi 30 juin 2020, l’heure était au bilan. Si le sommet du G5 Sahel à Nouakchott, 6 mois après les promesses de Pau, a permis de constater un changement de rapport de force sur le plan militaire, les progrès restent très fragiles au vu de l’effondrement sécuritaire du Burkina Faso et de la forte contestation politique au Mali. La stabilisation de la sécurité et l’aide au développement constituent donc des défis majeurs nécessitant une action coordonnée des initiatives portées par l’Alliance Sahel, l’Agence française de développement et le Partenariat pour la Sécurité et la Stabilité au Sahel européen. 

Le retrait des militaires français : une fausse bonne idée ? 

Si « le sommet de Pau a été celui du sursaut militaire. Celui de N’Djamena sera celui du sursaut diplomatique, politique et du développement afin de consolider les résultats des derniers mois » comme l’affirmait le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian devant le Sénat le 9 février 2021.La France cherche désormais à lever le pied après huit ans d’engagement. Emmanuel Macron l’a annoncé, la France va « ajuster son effort » et cela passe par deux solutions. D’une part, l’internationalisation des forces d’intervention ?, incarnée par le groupement de forces spéciales européennes « Takuba », d’autre part, la sahélisation, c’est-à-dire le transfert de l’actionaux armées nationales  par les francaises françaises et européennes mais pour l’heure sous-entraînées et sous-équipées. 

En parallèle, la présence des militaires est vécue comme pesante par qui ?, Casques bleus comme soldats français ont plusieurs fois été dénoncés comme étant des « forces d’occupation » et plusieurs manifestations ont déjà été organisées, notamment en marge du sommet de Pau. Début janvier 2021, ? un soldat, une unité de Barkhane a été accusé ? d’avoir commis une bavure lors de frappes aériennes contre des djihadistes, l’opération ayant fait une vingtaine de morts, y compris des civils maliens, de quoi raviver le sentiment anti-français ambiant. 

Si l’opération Barkhane risque d’être réduite, dans les prochains mois, deux députés (Mme Sereine Mauborgne et Mme Nathalie Serre) ont présenté mercredi 14 avril 2021 un rapport parlementaire sur l’intervention française au Sahel, en défaveur d’un retrait des troupes car selon elles, “il est évident qu’en cas de départ de Barkhane, l’ensemble de l’édifice construit en faveur de la stabilisation s’effondrerait au détriment premier des populations locales”. En effet, si le général Oumarou Natama, commandant de la force conjointe G5 Sahel, déclarait que le départ de la force Barkhane serait « prématuré et hasardeuse pour le G5 Sahel ». L’ancien colonel Michel Goya et le ministre des affaires étrangères français avançaient quant à eux que l’opération ne pourrait se prolonger indéfiniment dans le temps. 

Le départ immédiat de la France n’apparaît pas comme la solution à privilégier par de nombreux acteurs, la variable alternative ne serait autre qu’un renforcement des capacités des forces armées maliennes à travers une formation et des outils de guerre, ce qui prendrait des mois, voire des années. 

Pour Jean-Yves Le Drian, il faut allier diplomatie, politique et développement. En ce sens, la France considère que ses partenaires sahéliens n’en ont pas assez fait notamment pour appliquer l’accord de paix signé avec l’ex-rébellion du Nord. Seidik Abba dans son livre « Pour comprendre Boko Haram » écrit : il « faut articuler la solution militaire aux questions de développement. Cela permettrait aux jeunes de ne plus être la proie des groupes terroristes » et investir dans le développement implique également une bonne gouvernance, ces enjeux reposent essentiellement sur les gouvernements concernés qui ne peuvent pas compter sur le seul soutien international sur quoi d’autre peuvent-ils compter ? pour résoudre de manière pérenne le conflit. 

En outre, la France se voit ainsi dans l’impossibilité d’entamer des négociations avec les terroristes, prise de position n’étant pas partagée par tous et pouvant conduire à des frictions, l’évolution du conflit qui apparaîtra dans les prochains mois pour l’opération Barkhane. 

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