France, Allemagne, Royaume-Uni : le E3, des négociations sur le nucléaire iranien à l’ère post-Brexit

France, Allemagne, Royaume-Uni : le E3, des négociations sur le nucléaire iranien à l’ère post-Brexit

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Le Brexit pose de nombreuses questions, dont la nature des futures relations diplomatiques entre l’Union Européenne (UE), ses États-membres, et le Royaume-Uni (RU). Dans ce cadre, le Royaume-Uni doit notamment penser sa relation avec ses deux principaux partenaires européens, la France et l’Allemagne. Chatham House think tank britannique, a publié un article dans lequel il s’interroge sur l’avenir de la coopération entre deux États membres de l’UE, la France et l’Allemagne, et un État membre sorti, le Royaume-Uni. Notre article vise à revenir sur les différents éléments de réflexion fournis par Chatham House.


La naissance du format E3

A la suite d’une initiative conjointe, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont travaillé en format E3 (European 3) en 2003, dans le cadre des négociations sur le nucléaire iranien qui ont abouti à l’accord de Vienne (aussi appelé JCPoA). Ce format présente l’avantage d’être flexible et réactif, notamment en comparaison avec les processus décisionnels de l’Union européenne (UE) en matière de politique étrangère et de défense. Les trois États européens ont alors pu se positionner comme des acteurs clé des négociations avec l’Iran.

En 2004, l’UE a néanmoins dû être associée dans un format E3+UE, afin de légitimer le format E3, et d’apaiser les contestations venant des autres États membres de l’UE qui critiquent ce « directoire des ‘Grands’ » et se sentent mis à l’écart. L’UE était alors représentée par Javier Solana, Haut représentant.

La France, le Royaume-Uni et l’Allemagne continuent de travailler en format E3 sur le dossier iranien. En janvier 2020, les ministres des Affaires étrangères du E3 annoncent leur décision de déclencher « une procédure contre l’Iran » prévue dans le JCPoA « afin de contraindre Téhéran à revenir au respect de ses engagements en matière nucléaire ». Avant cela, les chefs d’État et de gouvernement du E3 s’étaient exprimés dans une déclaration commune pour appeler l’Iran à la désescalade.

Prenant de l’ampleur, le format E3 s’est progressivement intéressé et saisi d’autres sujets, comme le conflit syrien ou encore la liberté de navigation au Sud de la Chine. L’article de Chatham House recommande par ailleurs au Royaume-Uni d’ « engager le E3 dans plus de domaines, tout en gardant un mode de coopération flexible et adaptable, qui résiste aux évolutions futures ».

La coopération diplomatique doit se réfléchir et plusieurs directions sont présentées par l’article (problématiques régionales, comme le voisinage européen ; sujets thématiques, comme la non-prolifération ; le multilatéralisme, pour accroître la coopération dans les institutions internationales ; la gestion de crise, comme ils ont déjà pu le faire dans le cas de la crise du nucléaire iranien).


Le E3 face aux évolutions des relations diplomatiques internationales

Le E3 a fait face à deux défis qui se sont présentés quasiment simultanément : le retrait des États-Unis de l’accord de Vienne et le Brexit. À l’occasion de la décision de Donald Trump de sortir les États-Unis de l’accord, les chefs d’État et de gouvernement du E3 s’expriment à nouveau conjointement sur leur détermination à continuer à appliquer le JCPoA.

Le Brexit en revanche pose plusieurs problèmes politiques, à commencer par la « relation future avec l’UE dans le domaine des relations extérieure, de la sécurité et de la défense ».
“Preserving E3 cooperation and ensuring it is unaffected by the post-Brexit negotiations remains a political challenge.”

Dans un temps où le Royaume-Uni n’est plus membre de l’UE, le E3 est perçu par le think tank britannique comme une opportunité pour les trois pays : le Royaume-Uni pourrait continuer à influencer les positions européennes, mais la France et l’Allemagne auraient également toujours accès aux processus décisionnels britanniques. Le couple franco-allemand pourrait d’ailleurs avoir besoin d’un partenaire tiers en l’absence de consensus parmi les 27 États membres de l’UE.

La décision du Royaume-Uni de ne pas continuer les négociations avec l’UE dans le domaine de la politique étrangère pourrait donc ne pas nuire au format E3. Au contraire : un cadre RU-UE minimal laisse « plus de place pour un rôle spécifique du E3 ». Dans le cas contraire, où l’on constaterait un rapprochement RU-UE, cela ne remettrait pas en cause la coopération diplomatique en format E3, qui permet de combler les lacunes liées à l’essence même de l’UE, des décisions qui exigent l’unanimité.

“Even if a closer UK–EU relationship were to develop in future, it would not necessarily reduce the value of the E3 since the logic that prompted its creation still stands: the current EU foreign policy framework is ill-suited to fast decision-making and does not tackle all issues of interest to the E3.”

Chatham House invite néanmoins le Royaume-Uni à se méfier : approfondir ses relations avec le couple franco-allemand pourrait nuire aux relations bilatérales conduites avec les autres partenaires européens, critiques depuis plusieurs années de ce format de travail. Le futur du E3 dépend donc principalement de deux facteurs : le « développement de l’UE comme acteur » sur la scène internationale en matière de sécurité internationale et l’évolution des relations transatlantiques. Les élections présidentielles à venir aux États-Unis pourraient jouer un rôle clé dans la définition de l’avenir du E3, soit en encourageant ce format, soit en faisant pression sur le Royaume-Uni pour qu’il s’éloigne de ses partenaires européens.


Le format E3 perçu d’Allemagne et de la France

La France et l’Allemagne sont favorables à la coopération diplomatique en format E3, surtout dans un contexte d’apparentes difficultés au sein du couple franco-allemand et, plus globalement, de tensions intra-européennes. Pour eux, le Royaume-Uni est un « partenaire crucial, sans lequel ils ne peuvent pas mener une action européenne crédible sur des sujets de sécurité internationale ».

Au regard du Brexit, l’Allemagne s’est montrée particulièrement volontaire à continuer à associer l’UE – rien de surprenant pour le pays qui pousse continuellement l’intégration européenne, notamment sur les sujets de politique étrangère (l’Allemagne est notamment un des pays à l’initiative de la Coopération structurée permanente, lancée en 2017). De plus, si l’Outre-Rhin préférerait une forme institutionnalisée de coopération diplomatique, elle concède que le format E3 permet d’éviter l’absence totale de coordination multilatérale.
On parle alors de « minilatéralisme » : un multilatéralisme entre un nombre réduit de pays.

Le Format Normandie, créé à l’occasion de la médiation franco-allemande face au conflit diplomatique opposant la Russie à l’Ukraine, est une autre illustration de format minilatéral.
Given ongoing intra-European tensions, the EU’s poor track record on joint and ambitious foreign policy action and the need to keep the UK engaged, the E3 is likely to remain a valuable framework for France and Germany for the foreseeable future.”

Un autre défi se posent aux trois États partenaires : celui de justifier la légitimité d’une telle collaboration sur des sujets de sécurité européenne, quand le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’UE.


Une politique étrangère en cours de redéfinition

Si le Brexit pose la question des relations extérieures du Royaume-Uni, il pose aussi plus généralement la question de la position du Royaume-Uni sur la scène internationale. Le pays où le soleil ne se couche jamais doit repenser ses relations politiques et diplomatiques avec l’ensemble du monde. La France et l’Allemagne craignent notamment une coopération plus dense du Royaume-Uni avec ses partenaires Five Eyes (États-Unis, Canada, Nouvelle-Zélande, Australie), au détriment du E3.

Les jalons de la politique étrangère et de sécurité du Royaume-Uni devraient être posés dans l’Integrated Review, papier qui devrait être publié d’ici la fin de l’année, visant à définir la position britannique sur la scène internationale pour les dix prochaines années.


2020 est donc une année charnière pour le Royaume-Uni et pour le format E3. La crise sanitaire et économique mondiale, les élections américaines et la fin de la période transitoire du Brexit sont autant d’éléments qui détermineront la nécessité de ce format, ou à défaut, le volontarisme politique à l’égard du E3.


Sources :

L’article ici résumé est le suivant : Alice Billon-Galland, Thomas Raines, Pr. Richard G. Whitman, « The Future of the E3: Post-Brexit Cooperation between the UK, France and Germany », 28 juillet 2020, Chatham House. https://www.chathamhouse.org/publication/future-e3-post-brexit-cooperation-billon-galland-raines-whitman

« Nucléaire : la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne déclenchent une procédure contre l’Iran », 14 janvier 2020, France 24. https://www.france24.com/fr/20200114-nucl%C3%A9aire-la-france-le-royaume-uni-et-l-allemagne-d%C3%A9clenchent-une-proc%C3%A9dure-contre-l-iran

Tensions en Iran : la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni appellent à la « désescalade », 8 janvier 2020, Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/tensions-en-iran-la-france-l-allemagne-et-le-royaume-uni-appellent-a-la-desescalade-20200106

« Déclaration conjointe du Président de la République française, de la Chancelière fédérale d’Allemagne et du Premier ministre du Royaume-Uni », 6 janvier 2020, Elysée. https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/01/06/declaration-conjointe-du-president-de-la-republique-francaise-de-la-chanceliere-federale-dallemagne-et-du-premier-ministre-du-royaume-uni

« Donald Trump annonce le retrait des Etats-Unis de l’Accord sur le nucléaire iranien », 8 mai 2018, Le Monde. https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/05/08/donald-trump-annonce-le-retrait-des-etats-unis-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_5296297_3222.html

Sur le sujet des négociations diplomatiques sur l’Iran, voir les articles du sociologue Florent Pouponneau, notamment :
– Pouponneau, Florent. « Les dynamiques propres de l’Union européenne dans le système international. La politique européenne envers le programme nucléaire iranien », Politique européenne, vol. 41, no. 3, 2013, pp. 118-142.
– Pouponneau, Florent. « Luttes nationales et politique étrangère. Analyse d’un changement de la « position de la France » dans la crise du nucléaire iranien », Gouvernement et action publique, vol. vol. 2, no. 3, 2013, pp. 461-486.

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