Comment la France lutte-t-elle contre l’orpaillage illégal ?

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En Guyane française, les militaires sont déployés au sein de l’opération Harpie, lancée en 2008 et renforcée en 2017. Ils luttent contre l’orpaillage clandestin, qui entraîne violences et dégradation de l’environnement dans cette région d’outre-mer.

Qu’est ce que l’orpaillage illégal ?

L’orpaillage illégal est l’exploitation des alluvions aurifères : les orpailleurs sont des chercheurs d’or, qui utilisent un filtrage progressif du sable d’un cours d’eau. Il en extraient ainsi des paillettes d’or.

L’orpaillage est illégal pour de multiples raisons. En effet, cette pratique entraîne des violences, ainsi que la destruction de l’environnement. L’usage de cyanure entraîne la pollution des cours d’eau exploités : ce produit toxique est un danger pour les populations dépendant de cette eau.

En Guyane, l’orpaillage illégal repose sur un système mafieux, qui fait appel aux “garimpeiros”. Ces travailleurs clandestins, le plus souvent d’origine brésilienne, se portent au nombre de 10 000 en décembre 2020. De plus en plus de mineurs gonflent les rangs des orpailleurs.

Le prix de l’or ne cessant d’augmenter, cette pratique devient dès lors particulièrement lucrative pour les réseaux impliqués. Cette rentabilité est accompagnée, régulièrement, par des épisodes sanglants : en mars 2022, une enquête a été ouverte sur le secteur de Dorlin, afin de faire la lumière sur six homicides présumés. Des violences qui génèrent un climat d’insécurité en Guyane et contre lesquelles les forces armées luttent depuis 2008. Non seulement, la criminalité augmente là où se trouvent les orpailleurs illégaux, mais avec elle vient une délinquance aux multiples facettes : drogue, protistution et trafic d’armes y sont monnaie courante. 

Le Parc amazonien guyanais comptait en 2021 près de 150 sites d’orpaillage clandestin. Au total, ce sont 400 sites qui couvrent le territoire guyanais. Dans un rapport du Sénat publié en décembre 2020, le nombre de tonnes de stock d’or primaire exploitable en Guyane était estimé à 120 tonnes. A cela s’ajoute l’or secondaire, que les orpailleurs peuvent trouver dans les alluvions et dépôts fluviaux de la région.

Source : ©Jody AMIET / AFP

Quelles sont les opérations de lutte contre l’orpaillage illégal ?

En effet, en 2008 a été lancée l’opération Harpie. Faisant intervenir conjointement les forces de gendarmerie et les forces armées de Guyane (FAG), cette opération compte près de 1000 militaires. Il s’agit d’une opération dite du “haut du spectre”, c’est-à-dire qu’elle est menée en temps de paix et sur le territoire national.

Elle fait en réalité suite aux opérations Anaconda, lancées en 1997, et qui ne faisaient intervenir que la gendarmerie nationale française. L’opération Harpie vient renforcer ces opérations, en faisant intervenir à la fois l’armée de Terre et l’armée de l’Air. Le 9e Régiment d’Infanterie de Marine et le 3e régiment Etranger d’Infanterie sont les principales forces engagées.

D’autres acteurs sont impliqués dans la lutte contre l’orpaillage illégal, en soutien à l’armée : des agents d’ONG, du Parc amazonien en Guyane, ou encore des douanes et de la Police aux frontières, prêtent ainsi main forte.

Dès octobre 2017, l’opération a été améliorée, laissant dès lors place à l’opération “Harpie 2”. Cette rénovation du dispositif de lutte contre l’orpaillage illégal a pour but de surpasser la simple réponse sécuritaire. Les autorités ont en effet à cœur de mettre en place une réponse globale articulée autour de trois axes majeurs : économique et environnemental, sécuritaire et judiciaire, et, enfin, diplomatique. Pour répondre aux objectifs de cette nouvelle opération, un état-major de lutte contre l’orpaillage illégal a été créé. Il travaille en étroite collaboration avec le préfet de région (actuellement Thierry Quefellec) et le procureur de la République.

Des moyens variés pour lutter contre l’orpaillage

La lutte contre l’orpaillage dispose de moyens divers. En soutien aux forces au sol, des moyens aériens sont mis à la disposition de l’opération Harpie. Trois avions de transport Casa, cinq hélicoptères Puma et quatre hélicoptères Fennec viennent ainsi porter assistance dans la lutte contre l’orpaillage. Deux radars de contrôles aériens permettent d’apporter une vue aérienne de la région afin de repérer plus facilement les possibles sites d’orpaillage clandestins.

Des moyens spécialisés sont de plus utilisés par les forces sur place : parmi ceux-ci, la compagnie cynophile permet de repérer les caches de carburant, d’explosif et de mercure utilisés pour l’orpaillage. En 2020, un total de 280 000 litres de carburant ont ainsi été saisis par la compagnie.

Enfin, la lutte contre l’orpaillage clandestin s’appuie sur les civils de la défense : une compagnie de réservistes composée de locaux, ainsi que les conducteurs de pirogues permettent aux soldats déployés en Guyane de lutter contre les orpailleurs. 

Ultime atout de la lutte contre l’orpaillage, et qui illustre bien l’importance accordée à cette mission, des opérations commando peuvent être menées à bien, et l’intervention de plongeurs de combat du génie est souvent mise à profit pour pénétrer en toute discrétion par les voies fluviales.

Toutes ces ressources entraînent un coût annuel de 55 millions d’euros dédié à la mission Harpie.

Quels bilans ?

La lutte contre l’orpaillage clandestin a fait de nombreuses victimes parmi les militaires engagés. En mars 2021, Sébastien Lecornu, alors Ministre des Outre-mer, était auditionné par la Cour des Comptes. Le rapport qui en résulte fait état de huit militaires morts sur le territoire national dans la lutte contre l’orpaillage illégal. Parmi eux, trois sapeurs du 19e RG ont perdu la vie lors de la fouille d’un puits en juillet 2019. Quatre militaires ont été tués par les orpailleurs entre 2012 et 2018.

Selon le bilan présenté par le Gouvernement en 2016 devant le Sénat, les sites d’orpaillage clandestins auraient diminué de 60% en Guyane grâce à l’opération Harpie entre 2014 et 2016. Toutefois, ce bilan est mitigé : les sites sont en effet réinvestis une fois détruits par l’armée, et les modes opératoires des orpailleurs ont été adaptés, devenant plus mobiles. Les patrouilles militaires ont donc été augmentées : en  2019, elles étaient au nombre de 1 500, permettant la saisie de 1 824 grammes d’or et de 46 kilos de mercure.

La même année, 3 135 huttes ont été détruites, ainsi que 427 moteurs, 320 groupes électrogènes et 319 motopompes. 

Un terrain difficile pour les militaires engagés

La lutte contre l’orpaillage clandestin présente de nombreuses difficultés, rencontrées par les forces militaires déployées sur le terrain. Les distances à parcourir, sous des températures élevées, sont immenses et requièrent le plus souvent des moyens aériens : dans son rapport de 2020, le Sénat pointe le nombre insuffisant d’hélicoptères engagés dans la mission. Les communications sur place sont difficiles, et les patrouilles limitées, car elles doivent être supportées par des gendarmes et des médecins.

Enfin, beaucoup d’actions sont menées sur les frontières de la Guyane : leur tracé incertain rend difficile la conduite efficace de ces opérations. 

Récemment, les conditions de rémunération des militaires engagés dans l’opération Harpie ont fait grand bruit. Le taux de majoration étant plus faible que pour les autres opérations en outre-mer, il n’est pas en adéquation avec un coût de la vie plus élevé (de 40%). De plus, les indemnités de service en campagne sont fiscalisées, contrairement à celle de l’opération Sentinelle, qui est pourtant, elle aussi, une mission menée sur le territoire national.

L’opération Harpie permet sans aucun doute de maintenir l’orpaillage illégal à un niveau très bas. Mais les moyens financiers accordés à l’opération, au vue des difficultés inhérentes au terrain, ne permettent pas de limiter la réutilisation des sites d’orpaillage après saisie ou destruction. Harpie ne permet donc pas d’éradiquer cet orpaillage clandestin. Elle reste toutefois une mission plus que nécessaire, et qui permet de sauvegarder autant que faire se peut la forêt amazonienne de Guyane, en y protégeant également les populations.

Sources :

Rapport de la Commission des Affaires Etrangères et de la Défense. https://www.senat.fr/rap/r20-295/r20-295-syn.pdf

Rapport du Sénat, décembre 2020. http://www.senat.fr/rap/r20-295/r20-2951.html

Audition de Monsieur Lecornu, 17 mars 2021. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/ceorpguy/l15ceorpguy2021004_compte-rendu

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