UE-Chine : des Relations post-pandémie 1/3

UE-Chine : des Relations post-pandémie 1/3

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Les premières étapes de la crise

La crise du coronavirus constitue bien un événement structurel dans les relations sino-européennes, puisqu’une prise de conscience générale s’est développée, et ce jusqu’au plus haut niveau de la diplomatie de l’Union. Ainsi, nous avons pu voir ces derniers mois de nombreux discours, souvent différents, de la part de chefs d’Etat. Si ceux-ci veulent formuler et véhiculer une idée bien précise de la situation que nous avons vécue, et que nous vivons encore, ils n’en sont pas moins révélateurs de la tension existante sur la scène internationale, en particulier entre l’Union européenne et la Chine. Désormais, comment envisage-t-on ces relations, avec la pandémie de coronavirus ?

La fin d’une illusion

L’Union européenne a toujours été plutôt passive sur certaines questions d’ordre stratégique, y compris lorsque cela allait à l’encontre de ses propres intérêts. Elle n’a jamais eu de comportement agressif, tout au contraire des Etats-Unis, notamment pour les questions commerciales. L’exemple en est de la volonté de celle-ci de toujours envisager le dialogue avant de formuler quelques sanctions. Cependant, cette attitude que l’on a souvent qualifiée de naïve, l’a desservie. Et elle se veut aujourd’hui affranchie de toute candeur.

Ainsi, les prises de positions fermes et assumées de la part de l’UE et de ses États membres n’ont pas toujours été quelque chose de courant lorsqu’il s’est agi de hausser le ton face à la Chine. D’une part, parce qu’on ne parle pas à un géant démographique comme à n’importe quel autre pays. D’autre part, parce que l’Europe « puissance » comme on l’imagine mieux aujourd’hui a tardé à s’affirmer. Plus encore, les rapports avec la Chine s’envisageaient différemment selon chaque pays, mais une pensée particulière était commune à tous. Beaucoup avaient été influencés par un courant de pensée venu des Etats-Unis. Cette pensée consistait à croire que le développement économique de la Chine, lié à son ouverture au multilatéralisme et à l’économie de marché capitaliste, allait irrémédiablement conduire à la création d’une fissure dans son système autoritaire opaque. Cette fissure allait alors permettre l’apparition, grâce à l’amélioration du niveau de vie de la population chinoise, de son accès à l’éducation et aux produits occidentaux, de velléités démocratiques. Celles-ci, loin d’être banales dans un pays où les droits humains sont presque ignorés, viendraient tant de cadres du Parti que des couches inférieures de la population. 

Dès lors, la Chine n’aurait d’autre choix que d’accepter une transition vers un régime démocratique, long, mais qui aboutirait à créer la plus grande démocratie du monde. De cette manière, l’idée occidentale de la Chine qui avait largement cours dans les années 1990 et 2000 venait du fait que le capitalisme amenait indubitablement à l’amélioration des conditions de vie et donc à la démocratie. Cette idée était très répandue en Allemagne. C’était donc penser que la Chine adopterait un mode de vie à l’Occidentale. 

Mais c’était aussi se méprendre sur les volontés de Pékin, ainsi que sur la force du modèle que promeut et utilise le PCC. Excès de zèle, suffisance ou arrogance, l’Occident s’est trompé et n’a pas su comprendre la Chine, à tout du moins pas à temps. Il est d’ailleurs flagrant de voir que, malgré ses faux pas, la Chine connaît mieux l’Europe que nous ne la connaissons. Il est à noter que l’UE y trouvait aussi certainement son compte : la Chine avait besoin d’attirer les capitaux, les Européens de produire moins cher et de trouver de nouveaux marchés. Il était plus simple d’envisager que l’ouverture économique – donc pacifique – allait mener à un changement de régime en Chine.

Ceci aurait évité de prendre des sanctions trop rapidement et de menacer les échanges et les projets européens. C’est que « laisser la Chine tranquille » paraissait comme l’option la plus satisfaisante, jusqu’au temps où elle trouverait sa voie naturelle. Grave erreur.

Le temps de cette illusion semble entériné. L’Europe paraît avoir changé de cap. Bien que les échanges et les liens demeurent importants, il est affiché que la crédulité européenne est finie. La désillusion s’est accélérée lorsqu’en 2018, Xi Jinping a réussi, entre autres, à faire modifier la Constitution et à se donner les pleins pouvoirs. Il était clair que le régime n’allait pas évoluer, mais au contraire, qu’il deviendrait plus centralisé et autoritaire encore. En France, les comportements ont changé plus tôt, notamment à partir de l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Celui-ci avait plaidé tout au long de sa campagne présidentielle en faveur d’une Europe plus forte face à la Chine et aux Etats-Unis, pensant par là la fin de l’inaction européenne. Josep Borell, le haut représentant pour l’Union aux Affaires étrangères, a parlé de « rééquilibrage des relations », mais a averti « nous n’avons aucun intérêt à mener une croisade antichinoise ». Le résumé est donc simple : sans en faire un ennemi à proprement parler comme l’a été la Chine sous l’administration Trump — quid avec Biden? — l’UE plaide pour une relation d’égal à égal dans tous les domaines. 


Les débuts de la crise en Chine

L’épidémie ayant eu pour origine la province du Hubei en Chine, plus particulièrement la ville de Wuhan, a été vue comme une maladie chinoise sans importance : elle ne dépasserait pas les frontières du pays. Ainsi, même si dès fin janvier des cas de contamination avaient été détectés sur le sol européen, elle était toujours considérée comme mineure. En février, l’Union avait donc mis en place un système d’aide à la Chine, qui était confrontée à un nombre croissant de contaminations. Que cela soit par la voix d’Ursula von der Leyen à la Commission ou par les Etats membres eux-mêmes, des masques, gants, protections sont envoyés à Wuhan et dans le reste du pays. L’UE en profite pour faire une publicité de ses valeurs et de sa générosité : « solidarité avec la Chine », « protection de la santé pour tous » sont les raisons qui ont activé ce plan d’aide, selon la commissaire à la santé. L’Union pouvait donc bénéficier d’un certain élan de soft power, puisqu’elle se permettait d’intervenir par des actions plus ou moins humanitaires. Démonstration de puissance européenne ? Pas tellement. D’une part, l’UE n’avait pas intérêt à ce que la Chine soit embourbée dans une crise sanitaire, puisque nombre de ses entreprises sont implantées en Chine, et notamment à Wuhan. D’autre part, si l’épidémie venait à se rapprocher de l’Europe, de lourdes conséquences suivraient. Mais, qui ne tente rien n’a rien : un peu de communication pour montrer la générosité européenne est un bon moyen de surfer sur ce succès. Toutefois, cette publicité reste très limitée, aux paroles des officiels européens notamment : elles ne sont que peu reprises dans les médias, et aucun pays membre ni l’UE ne fait ouvertement état de ces aides. Il n’y a en un mot pas de plan de communication sur ce que l’UE a fait pour la Chine, tout le contraire de ce que celle-ci a pu mettre en œuvre lorsque la situation sanitaire s’est inversée.

La stratégie de la « diplomatie du masque », ou la Chine démasquée

À partir de mars 2020, les conditions ont drastiquement changé et, alors que le virus est « contrôlé » selon les autorités chinoises, il s’est répandu à une vitesse vertigineuse en Europe. Italie, Espagne, France et Royaume-Uni sont parmi les pays les plus touchés, à différents stades. Et c’était désormais la Chine qui venait en aide aux Européens. Comme nous l’avons mentionné, à la différence de l’Union, la Chine a déployé un effort considérable pour vanter cette aide donnée en urgence aux pays européens durement touchés, quitte parfois à délibérément oublier la situation du mois précédent. 

Dès lors, c’est à force de coups médiatiques et diplomatiques que la Chine a orchestré l’aide apportée à l’UE. En effet, cette dernière manquait cruellement de masques, et si dans un premier temps la Chine était dans la même situation, elle pouvait compter sur ses nombreuses usines pour y pallier. Problème : l’UE ne dispose pas de la capacité de production chinoise, ce qui l’a fait grandement dépendre de ses exportations, et particulièrement au début de la pandémie. Et à la Chine de prendre l’avantage de la situation : les médias européens, avec les chaînes publiques chinoises, ont largement diffusé les images de stocks de masques et de matériel médical expédiés à destination de l’Europe. D’abord sous forme de dons puis d’achats de matériel médical, il a été envoyé tout cela très rapidement, ce qui manquait grandement aux hôpitaux. Que cela soit par des photos ou vidéos publiées sur les sites des représentations chinoises en Europe, par le discours de Pékin qui faisait état des remerciements des pays ayant bénéficié de cette aide, ou par les Etats eux-mêmes les dévoilant, la Chine a organisé tout un mouvement d’autocongratulation. Nombre de médias ont appelé cela la « diplomatie du masque », ces efforts sans précédent de Pékin pour fournir du matériel médical et en faire la publicité à outrance.

C’est le premier point où l’UE a réalisé sa dépendance par rapport à la Chine. D’abord, parce qu’elle fournissait du matériel médical de première nécessité grâce aux nombreuses usines qu’elle possédait, et parmi elles, étaient des sociétés européennes qui y avaient été délocalisées. Ensuite, parce que l’Europe n’a pas su anticiper une telle crise et que la Chine s’est révélée être la seule partenaire en mesure de fournir ce matériel en grande quantité à l’échelle de l’UE. Elle a ainsi fourni des respirateurs à l’Italie lorsque celle-ci était le premier pays européen durement affecté par la crise, puis à l’Espagne et à la France. Ces dons étaient d’autant mieux accueillis que ni la Commission ni le Conseil européen n’ont pris de mesures efficaces dès le début de la crise, faisant que les Etats membres se repliaient sur des décisions internes, et agissaient en ordre dispersé.

D’autre part, Xi Jinping a lui-même situé ces initiatives dans la droite ligne des nouvelles routes de la soie, allant jusqu’à les qualifier de « routes de la soie sanitaire ». Parallèlement, Pékin profitait du fait que dix-sept pays européens (dits 17+1) aient rejoint la Belt and Road Initiative pour échanger sur les connaissances liées à la Covid-19. Par le biais d’activités diplomatiques, la Chine organisait des rencontres entre officiels, professionnels de la santé et chercheurs. La Serbie en est l’exemple-type. Aux portes de l’UE, ce pays a demandé l’aide de la Chine alors que l’UE la lui avait refusée. Saisissant l’opportunité, Pékin avait alors souligné la relation privilégiée des deux pays. Des affiches avaient même été plaquées dans Belgrade à l’effigie de Xi Jinping, le remerciant pour son aide. Critiquée et prise de cours, l’UE avait accepté le déblocage de fonds pour la Serbie. 

L’événement a donc été pour l’UE une double « prise de conscience », grâce à la crise liée au coronavirus. Elle a noté – explicitement cette fois – qu’elle était dépendante économiquement et matériellement, qu’il y avait et qu’il y a toujours une inégalité entre les entreprises européennes et chinoises, mais aussi que la Chine mène activement une politique d’influence aux portes mêmes de l’UE. Il résulte donc de cela que, outre l’urgence sanitaire, l’enjeu est géopolitique : l’Europe de l’Est est « terrain de bataille » des influences de la Chine et de l’UE.

Une « agressivité chinoise »?

Toutefois, la Chine ne s’est pas arrêtée là. Au sein des démocraties européennes, et plus généralement en Occident, beaucoup de critiques ont été formulées sur la gestion de la crise, ou le décompte peu transparent des morts et des infections. De même, l’ingérence chinoise au sein de l’OMS a été perçue à la fois comme une tentative de déstabilisation du modèle occidental — puisque l’OMS est vue par Pékin comme une institution héritée d’un ordre mondial dominé par les Etats-Unis — mais également comme un essai éhonté de manipuler l’organisation en sa faveur. Particulièrement, en France, en Allemagne où des membres du Parlement et des journalistes ont mis en avant l’opacité du système chinois, et l’aspect intéressé des donations. 

Pour contrer cela, l’empire du Milieu a joué sur son dense réseau diplomatique. Ambassadeurs, consuls ou même chefs de la diplomatie chinoise : tous ont été sollicités pour défendre corps et âme le modèle chinois. Et par modèle, nous entendons tant le modèle en tant que système, que l’exemple qu’a été la Chine pour arrêter la propagation du virus sur son territoire. Ces actions se sont concrétisées par des communiqués et des paroles extrêmement agressives, dénonçant, dénigrant et parfois accusant certains États d’une gestion particulièrement mauvaise de la crise. 

En effet, Pékin voulait donner un certain discours et une image précise de la Chine pendant cette période, afin d’influencer l’opinion publique. Bien sûr, ce climat hostile est alimenté par les vives tensions entre Etats-Unis et Chine. Cette dernière a même explicitement entendu que l’origine du virus ne serait pas chinoise, mais américaine ; idée largement reprise par les chancelleries chinoises en Europe. Cette attitude des diplomates les fait qualifier de « loups combattants », et est tout à fait défendue par Pékin, et le ministre des Affaires étrangères Wang Yi. Elle n’est pas nouvelle, mais procède de l’affirmation de la Chine sur la scène internationale et de son nationalisme. À Paris, l’Ambassade chinoise publiait régulièrement des diatribes, allant jusqu’à infantiliser les gouvernements occidentaux et incriminer les personnels soignants. Conséquence : l’Ambassadeur lui-même a été convoqué au Quai d’Orsay. 

Cependant, la ligne diplomatique est définie à Pékin et elle doit obligatoirement être reprise par ses représentants à l’étranger. Aussi, à sa décharge, Pékin n’a jamais eu à gérer de crise internationale d’une telle ampleur, surtout lorsqu’elle est accusée d’en être l’épicentre. De ce fait, la position qu’on lui donne sur la scène internationale n’est pas révélatrice d’un comportement agressif ex nihilo, mais plutôt d’une position délicate où la Chine tente maladroitement de se défendre et de gérer à l’échelle du monde à la fois la crise mais également son image. Ainsi, si la position de Pékin est perçue comme agressive en Occident, c’est parce que les méthodes utilisées ne sont pas conventionnelles, qu’elles résultent d’une politique un peu hâtive mais aussi d’une connaissance partielle des rouages internes, notamment en Europe. Ces politiques sont aussi le fruit de la volonté de Pékin de mettre en avant son régime et son modèle. Toutefois, quel pays n’en ferait pas autant ? Aucun, si ce n’est, peut-être, avec plus de diplomatie et de transparence.


L’importance de l’opinion publique et l’agacement européen 

N’oublions pas que, dans ce jeu « d’influence », les opinions publiques européennes jouent un rôle clé. En particulier, celles-ci ne sont pas que les réceptacles d’une certaine politique intérieure, mais en sont aussi les instigatrices, démocratie oblige. La Chine est peu à peu devenue un catalyseur des peurs européennes. La crise n’a fait qu’accentuer le phénomène. Commode ou non pour les pro-européens, le fait est accompli. Ajoutons que cette opinion publique est aussi dans le viseur de la Chine, envers qui sont dirigées les opérations de communication de celle-ci depuis le début de la crise.

Pourtant, l’effet de la communication chinoise semble avoir montré des effets mitigés voire contre-productifs. D’une part, il s’est révélé que le matériel chinois n’était pas exempt de défauts, et ce dans de grandes proportions. D’autre part, le flot continu d’invectives et de propagande de Pékin a fini par agacer tant dans l’opinion qu’au sein des gouvernements. Alors qu’ils se battaient contre la pandémie, les citoyens européens ont reçu de la Chine des discours la gratifiant, sans humilité, et niant sa responsabilité dans l’apparition du virus. La réaction a été immédiate dans l’opinion publique. En novembre, 63 % des sondés ont une image négative de la Chine, en France, en Allemagne et en Suède, lorsqu’il oscille entre 15 % et 20 % d’opinions favorables dans les mêmes pays : la chute est considérable: elle perd en France près de quinze points par rapport à 2018 ! Mais les effets réels se mesureront sur le temps long : les effets de la crise ne peuvent pas encore être totalement pris en compte — manque de recul —, et la Chine souffrait avant la pandémie d’une image assez défavorable dans l’UE. De plus, les données recueillies montrent des tendances paradoxales sur la Chine. 

Les citoyens ne sont pas les seuls : les Etats conspuent également l’activisme chinois. Outre la convocation de l’Ambassadeur chinois en France, les chefs d’Etats européens ont demandé à la Chine une plus grande transparence, que cela soit dans la transmission des données liées au coronavirus sur le territoire chinois, ou aux importations qui étaient en cours en Europe. Les institutions européennes, elles, avertissent de ce changement de situation et de la dangerosité du comportement chinois. 

Mais quelle a été la réaction européenne?

En résumé

Si l’Union européenne paraît avoir de longue date compris les agissements de la Chine sur la scène internationale, il semble que la crise liée au coronavirus ait révélé bien plus aux yeux des Européens que les années précédentes. Même si Pékin a eu besoin d’aide au début de la pandémie, la situation s’est vite retournée en défaveur de l’UE. De plus, la politique d’affront menée par Pékin, à la fois pour vanter ses mérites et défendre ses valeurs, s’est traduite par une guerre d’influence en Europe de l’Est et par des invectives répétées, relayées par les postes diplomatiques chinois. En outre, les populations n’ont été que peu réceptives à cette propagande, et cela a plutôt desservi Pékin. L’Union européenne s’est pourtant retrouvée plus d’une fois en porte-à-faux, et, après avoir été submergée par les événements, s’est ressaisie.


Bibliographie

Articles de presse:

Articles de recherche:


L’antenne International Security and Defense rappelle que les propos tenus dans cet article n’engagent que son auteur.

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