Lundi 8 novembre, après un an d’opération, une dizaine d’arrestations ont été réalisées par les autorités portugaises. Premier coup d’éclat de l’opération Myriade, qui travaille depuis décembre 2019 à démanteler un réseau de trafiquants de diamants, d’or et de stupéfiants. Récit d’un trafic qui s’est appuyé sur la présence onusienne en République Centrafricaine.
UNE SITUATION DÉCRIÉE DEPUIS 2019
Tout commence donc en Centrafrique. Depuis 2014, la MINUSCA, une opération multidimensionnelle des Nations unies, y est déployée afin de protéger les populations civiles face aux risques humanitaires et à la crise politique qui déstabilise le pays depuis 2012. En septembre 2021, ce sont près de 15 498 civils, experts, militaires et volontaires qui sont déployés sur le territoire. Parmi les pays contributeurs, se trouve le Portugal.
Début décembre 2019, Lisbonne alerte sur un possible trafic en Centrafrique, qui s’appuierait sur l’aide logistique apportée dans le pays. Une situation depuis longtemps décriée par Bangui, comme l’affirme le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement centrafricain Serge-Ghislain Djore. Pourtant, ces mises en garde ne sont pas adressées par les Nations unies, poussant les autorités portugaises à mettre en place leur propre opération.
Lors de sa conférence hebdomadaire du 10 novembre, la MINUSCA affirme avoir appris “par voie de presse (…) les allégations visant des militaires portugais précédemment déployés au sein de la mission”. Son porte-parole, Vladimir Monteiro, se dit prêt à apporter tout le soutien nécessaire aux autorités portugaises. L’ONU, pourtant, était avertie depuis un an.
UN TRAFIC BIEN RODÉ DE DIAMANTS DE SANG
A l’heure actuelle, tous les inculpés sont des commandos ou ex-commandos et ont, à un moment ou à un autre, fait partie des 180 militaires détachés par le Portugal en Centrafrique. La Centrafrique a de nombreuses fois fait les gros titres dans la presse internationale pour ses diamants de sang, issus de zones de guerre. Ces pierres précieuses sont malheureusement connues car elles permettent aux forces armées sur le continent africain de financer leur effort de guerre. Selon la définition de l’ONU elle-même, les diamants de sang sont des “diamants bruts utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires, en particulier des tentatives visant à ébranler ou renverser des gouvernements légitimes”. En 2000, l’Afrique du Sud lance le processus de Kimberley, un forum tripartite visant à prouver aux consommateurs que les diamants qu’ils achètent n’ont pas servi au financement de conflits armés.
Preuve en est aujourd’hui que ces pierres précieuses et leur trafic n’ont pas disparu : ce sont ces pierres précieuses que les commandos inculpés dans l’Opération Myriade ont achetées en Centrafrique, avant de profiter d’un faible contrôle douanier pour les transporter hors du pays.
Les diamants étaient cachés dans des tubes à cigares, ensuite rapportés dans les effets personnels des militaires. L’aéroport militaire de Figo Maduro contrôle très peu les avions militaires, et les diamants de sang ont ainsi pu être transportés jusqu’à Lisbonne. Le voyage de ces diamants ne s’arrête alors pas là : transitant dans des véhicules civils jusqu’en Belgique, ils sont blanchis à Anvers, plaque tournante de l’industrie diamantaire en Europe. L’argent ainsi tiré de ce trafic est rapatrié au Portugal, et placé sur des comptes bancaires par des hommes de paille, qui ont reçu 50% du profit de l’opération. L’argent est ensuite investi dans de la crypto-monnaie : le tour est joué.
QUELLE EST L’AMPLEUR DE CE TRAFIC ?
Un trafic bien rodé, qui a permis aux trafiquants impliqués de faire passer près de 27 millions d’euros depuis le continent africain jusqu’en Europe. La mission Myriade, mise sur pied par les autorités portugaises afin de mettre un terme à ce trafic, était constituée de 320 inspecteurs et experts, qui, déployés dans différentes villes du Portugal, ont mené leurs premières perquisitions le 8 novembre.
Certaines de ces perquisitions ont été réalisées à la caserne de Carregueira, dans l’agglomération de Lisbonne. Elle abrite un régiment de commandos, dont la devise, Audaces Fortuna Juvat (“La chance protège les audacieux”) semble tomber à point dans cette histoire. Aujourd’hui, la chance de ces commandos a cependant tourné : alors que 10 militaires ont été interpellés, et 30 suspects inculpés pour association de malfaiteurs, contrebande de diamants et or, trafic de drogue, contrefaçon et passage de fausse monnaie, ou encore fraude informatique, les premières auditions ont eu lieu au Portugal, afin de tenter d’éclaircir leur mode opératoire.
En effet, ce qui n’était au départ qu’un petit trafic se révèle bien plus complexe que cela. Le juge criminel de Lisbonne, Carlos Alexandre, a procédé aux interrogatoires des 11 suspects dès leur arrestation. Seuls 5 ont accepté de contribuer à l’enquête. Paulo Nazaré, 25 ans, est le chef désigné du trafic. Il refuse de contribuer et de donner le nom de généraux et diplomates soupçonnés par les autorités portugaises d’avoir contribué au trafic.
Si l’opération a été baptisée “myriade”, c’est bien parce que les autorités portugaises s’attendent à faire de nouvelles découvertes concernant ce trafic. Avant tout, le rôle joué, indirectement ou pas, par l’Organisation des Nations unies laisse perplexe. De nombreuses questions sont aujourd’hui soulevées par l’opération Myriade : d’autres pays ont-ils contribué au trafic qu’elle a permis de démanteler ? Le porte-parole de la MINUSCA, Vladimir Monteiro, n’était-il vraiment pas au courant de ce trafic, comme il semble l’affirmer ? Quelles forces armées en Centrafrique ont potentiellement profité de ce trafic ? Autant de questions auxquelles les auditions à venir permettront, on l’espère, de répondre.
Sources:
RFI, “Centrafrique : le gouvernement réagit suite à l’arrestation de militaires portugais de la MINUSCA”, 11 novembre 2021. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20211111-centrafrique-le-gouvernement-r%C3%A9agit-suite-%C3%A0-l-arrestation-de-militaires-portugais-de-la-minusca
Courrier International, “Corruption. Des militaires portugais soupçonnés de trafic de diamants et d’or en Centrafrique”, 9 novembre 2021. https://www.courrierinternational.com/article/corruption-des-militaires-portugais-soupconnes-de-trafic-de-diamants-et-dor-en-centrafrique
Conférence de presse hebdomadaire de la MINUSCA, 10 novembre 2021. https://minusca.unmissions.org/sites/default/files/11_-_point_de_presse_hebdomadaire_de_la_minusca_-_10_novembre_2021.pdf
Communiqué de presse AG/1125, Nations unies, 1er décembre 2000. https://www.un.org/press/fr/2000/20001201.ag1125.doc.html
Résolution 2149 du Conseil de sécurité des Nations unies, 10 avril 2014. https://www.un.org/press/fr/2014/CS11349.doc.htm