L’héritage sécuritaire de Trump, et l’opposition démocrate

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A l’aune des élections présidentielles américaines se tenant le mardi 3 novembre, il peut être intéressant d’analyser les hypothétiques conséquences de l’élection d’un président démocrate se retrouvant face à un héritage trumpiste singulier, sur le plan de la sécurité et des relations extérieures des Etats-Unis.

Revenir périodiquement sur les grandes « étapes sécuritaires » du mandat de l’actuel président Donald Trump nous permettra de dessiner les contours politiques d’un contexte précis, dans lequel un candidat issu de l’opposition pourrait éventuellement peiner à trouver ses marques.


Processus de paix au Moyen Orient

La mandature de Donald Trump est marquée par la conclusion d’accords historiques entre Israël, Bahreïn, et les Emirats arabes unis, mais aussi par d’autres actes, tel que le Caesar Act promulgué fin 2019 et concernant la Syrie. Omniprésent sur la scène moyen-orientale, Trump ne laisse passer aucune occasion de montrer l’envergure de son influence dans la région.
A l’initiative du nouveau plan de paix américain de janvier 2020, il est au cœur du nouveau partage des frontières israélo-palestiniennes. Le 27 janvier dernier, Trump recevait à la Maison Blanche, les deux candidats israéliens principaux s’affrontant aux législatives, pour leur présenter le plan de paix, énoncé comme « accord du siècle ». Les deux candidats,
Benyamin Netanyahou du parti nationaliste du Likoud, et Benny Gantz, candidat centriste du parti Bleu et Blanc, ont un positionnement sécuritaire semblable vis-à-vis de la question de l’annexion de la Cisjordanie. Ce plan reconnaît l’annexion d’une partie de la Cisjordanie par l’État israélien, en échange d’une autonomie politique palestinienne sur le reste du territoire,
et l’ouverture d’un plan d’investissement de 50 milliards de dollars dans le but de développer des infrastructures dans la ville de Gaza, mais aussi en Cisjordanie, via de nombreux investissements internationaux, dont une partie en provenance d’investisseurs des pays du Golfe.

Joe Biden, sans manquer de saluer les efforts de paix dans la région, qu’il attribue pour sa part au travail entamé sous la présidence d’Obama depuis 2009, reste un candidat s’opposant à toute potentielle annexion du territoire de la Cisjordanie. Il ne souhaite pas revenir sur la décision de Donald Trump de déplacer l’ambassade américaine dans la ville de Jérusalem, mais il est partisan d’une solution à deux États frontaliers. La précédente administration démocrate n’avait pas avancé considérablement sur le dossier du conflit israélo-palestinien. La fin du premier mandat, et le second mandat d’Obama sont marqués par un surinvestissement de la diplomatie américaine démocrate dans les négociations sur le nucléaire iranien, considérées comme la clé de la détente dans la région. C’est à cette partie-là du mandat Obama que Trump s’est attaqué notamment, en sortant de l’accord sur le nucléaire iranien le 8 mai 2018.

Trump, très actif sur la question iranienne, laisse derrière lui des relations à couteaux tirés avec le gouvernement iranien. Depuis la riposte américaine de fin 2019, et l’assassinat de Qassem Soleimani, Trump a continué de renforcer la visibilité de son « action » en Iran en imposant des sanctions économiques au pays, dernièrement en date du 21 septembre dernier. Celui-ci affirmait « Mon gouvernement utilisera tous les moyens à sa disposition pour bloquer les ambitions iraniennes en matière d’armes nucléaires, balistiques et conventionnelles« .

Si Joe Biden remporte l’élection présidentielle en novembre, il récupérera un dossier iranien complexe et tendu, et devra faire face à la potentielle dégradation future et permanente des relations entre les deux pays. Sous les deux mandats successifs d’Obama, la doctrine de la « passivité » avait primé, notamment dans le conflit syrien de 2013. « L’une des décisions les plus importantes du second mandat de Barack Obama a été prise le vendredi 30 août 2013, en fin d’après-midi. Ce jour-là, le président démocrate choisit de ne pas ordonner les frappes préparées contre le régime syrien à la suite d’attaques à l’arme chimique dans la banlieue de Damas, qui ont fait des centaines de morts parmi les rebelles, quelques jours plus tôt. M. Obama préfère demander l’avis du Congrès, au risque d’être réduit à l’impuissance. ». Même si Trump avait encouragé Obama sur ses réseaux sociaux en 2013 à ne pas réagir directement en Syrie, il joue désormais la carte d’une diplomatie dure, avec une politique de « pression maximale » surtout dans le dossier iranien, et cela a plusieurs conséquences sur l’héritage extérieur qu’il laisse derrière lui. Du côté de l’opposition, Biden semble affirmer qu’un accord avec l’Iran est toujours d’actualité à partir du moment où le pays honore ses engagements. « Joe Biden se dit décidé à empêcher la prolifération nucléaire et à parvenir à un accord avec la Russie sur la limitation de ce type d’armement, qui doit demeurer purement cantonné à la dissuasion. ».

Barbara Leaf, ancienne ambassadrice américaine aux Emirats arabes rappelle toutefois que si Joe Biden est élu en novembre, après son investiture en janvier 2021, il devra d’abord faire face à la crise économique, étroitement liée avec la poursuite de la crise pandémique,
et que dans un tel contexte, « les questions liées au Moyen-Orient seront secondaires, même dans l’agenda de politique étrangère ».


L’Amérique et l’évolution européenne

Le sujet du multilatéralisme est au cœur de l’affrontement entre Joe Biden et Donald Trump. Durant son mandat, l’actuel président a mis un frein aux années de coopération outre-Atlantique historiques, notamment à travers les affrontements commerciaux, et l’enjeu de la taxation douanière aux frontières, de plusieurs gammes de produits européens, après
l’affaire Airbus. En Europe, Donald Trump est soutenu par le parti conservateur hongrois, le Fidesz, parti de Viktor Orban. Le continuum d’idées entre les deux partis, se situe selon le chef du parti du Fidesz au Parlement européen, sur le terrain de la sécurité. Les partis conservateurs en Europe saluent les positions radicales du président américain sur les questions d’immigration illégale par exemple.
A contrario, les partis d’obédience social-démocrate, attendent avec impatience que la « parenthèse Trump se referme ». Chez les démocrates en Europe, un espoir fort réside dans le retour d’un multilatéralisme historique entre les deux continent, avec une volonté particulière des pays européens d’avoir à leurs côtés les Etats-Unis dans les négociations du Brexit. Joe Biden élu, serait un intermédiaire important dans les négociations post-Brexit, il jouerait le rôle de l’allié européen outre-Atlantique, pouvant tenir tête à des coalitions de conservateurs. Un tel allié ne serait pas de trop pour une Europe démocrate.

L’enjeu des migrations entre les deux continents est clé. Les partis conservateurs de Hongrie comme nous l’avons rappelé, de Pologne, mais aussi les partis d’extrême droite dans les États démocrates, comme le groupe Identité et démocratie français, ou l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) en Allemagne, soulignent souvent les positions catégoriques de Trump sur l’immigration, notamment quand celui-ci fustige les politiques migratoires européennes. Une administration Biden pourrait rétablir un certain lien de confiance entre les populations européennes et américaines, par des valeurs partagées autour d’une certaine vision de la sécurité. L’alliance transatlantique de 2016 ne sera pas, selon Jeremy Shapiro, ressuscitée par Joe Biden, mais une nouvelle coopération basée sur le partenariat entre l’Europe et les Etats-Unis pourrait voir le jour autour d’un socle de valeurs démocratiques communes.

L’OTAN est lui aussi un sujet qui fâche, puisque comme le rappelle très justement Cyrille Bret dans son article « L’Europe survivra-t-elle à Donald Trump », Trump n’a cessé de remettre en question la participation des Etats-Unis dans le budget de l’OTAN qui selon lui, est trop élevée par rapport aux autres contributions, comme celles de l’Allemagne. Trump
dans son souhait d’expansion des relations bilatérales en Europe, semble vouloir s’affranchir progressivement des grands organismes multilatéraux, comme l’ONU ou l’OSCE.

Joe Biden pourrait montrer un regain d’intérêt pour les organismes multilatéraux, en souhaitant pallier la politique de « la chaise vide » en plaçant notamment les Etats-Unis à la tête de l’OCDE, selon l’économiste Manuel Maleki. Retrouver une stabilité dans les relations
multilatérales peut apparaître vital dans la poursuite des négociations sur l’importation de gaz américain, tout comme sur la fiscalité et la réglementation des GAFA en Europe. Si l’on
se rappelle son discours de 2017, avant de quitter ses fonctions et de laisser sa place à l’administration Trump, Joe Biden énonçait que «les programmes isolationnistes à l’ordre du jour, ont par le passé conduit à des catastrophes. La fermeture des portes et la construction des murs sont une conception erronée de la sécurité.». Il ajoute «Nous devons défendre l’ordre international libéral mis en place au lendemain de la Seconde guerre mondiale».

Après le passage de l’administration Trump pendant quatre ans, un candidat démocrate devra revenir sur la scène multilatérale européenne, instaurer de nouveau un lien de confiance et de coopération pour répondre aux attentes de la nouvelle génération américaine. Joe Biden, assume son positionnement « progressiste » en soulignant l’ouverture et l’importance des relations multilatérales ; il souhaite par exemple adapter sa politique étrangère, ses stratégies de sécurité nationale et son approche du commerce au thème du changement climatique. Un retour dans l’accord de Paris est également envisageable.
En affirmant son souhait de sortir du pétrole, Joe Biden pourrait là aussi « se faire des amis » en Europe, mais complexifier un peu plus les relations entre l’Amérique et la péninsule arabique.

Sur le reste de la scène mondiale, le candidat démocrate déclare ;  « Je n’hésiterai pas, pour protéger le peuples américain, à utiliser la force si c’est nécessaire » – « Je maintiendrai l’effort de défense de manière que les Etats-Unis demeurent la première puissance militaire du monde. ». Le candidat de l’opposition semble donc prêt à relancer la place des Etats-Unis
dans l’OTAN, ce qui n’est pas dans le plus grand intérêt russe, redoutant un OTAN renforcé dans l’avenir, même si c’est à l’heure actuelle un enjeu relativement subsidiaire pour le pays. Biden affirme également vouloir réhabiliter l’alliance militaire avec plusieurs pays, comme la Corée du sud, le Japon et l’Australie.

En clair, ce sont deux visions de l’Amérique bien distinctes qui se feront face le 3 novembre. Le président sortant laisse derrière lui un héritage sécuritaire pesant, sur la scène internationale, qu’un éventuel successeur devra accepter et mettre à profit pour guider le jeu américain peut-être différemment. Entre promesses électorales et réalités politiques, l’avenir
ne cesse de réserver des surprises aux électeurs américains, et aux acteurs internationaux.


Ressources – Webographie

Multilatéralisme démocrate : https://www.publicsenat.fr/article/debat/trump-vs-biden-un-bras-de-fer-en-europe-aussi-185100

Multilatéralisme analysé par Manuel Maleki, cité dans l’article :
https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/commerce-ce-que-changerait-une-administration-biden-pour-leurope-1252094

Article intéressant et gratuit de Jeremy Shapiro, directeur de recherche au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) et conseiller du département d’État durant la présidence Obama : https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/point-de-vue-la-fin-du-reve-americain-de-l-europe-6909684

Sur le libéralisme économique souhaité par Biden, et l’importance de l’ONU : https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/01/18/20002-20170118ARTFIG00195-le-vice-president-joe-biden-met-en-garde-l-europe-contre-poutine.php

Sur les intentions de Biden et l’OTAN : https://www.franceculture.fr/emissions/le-tour-du-monde-des-idees/rompre-avec-lisolationnisme-et-rassurer-les-allies-le-programme-de-joe-biden

« L’OTAN survivra-t-elle à Donald Trump », Cyrille Bret cité plus haut :
https://theconversation.com/lotan-survivra-t-elle-a-donald-trump-128069

Différences de positionnement Trump-Biden sur l’Iran :
https://www.lorientlejour.com/article/1235566/iran-avec-biden-une-rupture-radicale-.html

En savoir plus sur le Caesar Act (article payant) : https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Cesar-Act-Etats-Unis-veulent-accentuer-pression-Syrie-2020-06-17-1201100400

Biden et le Parti démocrate, sur une solution à deux états :
https://www.washingtonpost.com/world/2020/08/19/israel-joe-biden-democrats/

Le maintien de l’ambassade américaine à Jérusalem par une administration démocrate (article payant) : https://www.la-croix.com/Monde/Israel-Biden-dit-maintiendra-ambassade-Etats-Unis-Jerusalem-elu-2020-04-29-1301091907

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