Les opérations homo

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Après l’annonce en fin d’année du possible retour de 150 jihadistes français sur le territoire national, Pierre Henri Dumont et Marie-Christine Verdier-Jouclas, députés, ont pris des positions marquantes sur la question des assassinats ciblés. Le député Dumont en appelle à  « l’élimination » de ces jihadistes tandis que sa collègue réprime cela largement. Ce sujet et cette altercation marquent depuis le débat public. En raison de cela et des légendes qui circulent sur cette pratique, il convient de rappeler certains éléments sur les assassinats ciblés commandités par la République française.

Les opérations « Homo » –pour « homicides »– ont pour but d’éliminer une ou plusieurs personnes avec l’aval, voire à la demande, du chef des armées, le Président de la République. Ces opérations militaires sur lesquelles pèse bien souvent la loi du silence (par le secret défense par exemple) ont toujours existé sous la Vème République. Pour comprendre ces actions militaires, nous nous intéresserons d’abord à leurs raisons d’être, puis à leurs exécutants.

Des raisons d’être variables

Deux éléments incitent les chefs d’Etat à recourir à cette solution radicale.

« Il est bon que ceux qui, partout dans le monde, pourraient être concernés sachent que la France réagira toujours à une agression contre l’Etat ou ses ressortissants »[i], Par ces paroles, l’ancien coordonnateur national du renseignement appuyait les propos d’un député se félicitant que la France traque les personnes s’étant attaquées à elle. Voilà la démonstration de la première raison d’être de ces opérations : dissuader les ennemis de la France et venger ses ressortissants morts.

La doctrine des « high value target » est une stratégie de la « décapitation » qui consiste en la « neutralisation de leaders clés »[ii], c’est un élément ancien qui est plus ou moins présent selon les présidences.  Ces opérations ont un impact considérable sur les conflits et notamment dans la lutte contre le djihadisme (par exemple la désorganisation d’AQMI par la neutralisation d’Abou Zeid via un raid aérien le 22 février 2013).

Des exécutants singuliers

En France, les opérations homo sont le plus souvent clandestines. Pour cette raison, ce ne sont pas les forces spéciales « classiques » qui opèrent mais des unités spécialisées regroupés au sein du Service Action de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

La DGSE est l’un des services de renseignements français, elle est sous la tutelle du Ministère des armées (à la différence de la DGSI qui dépend elle du Ministère de l’intérieur) et est capable d’« empêcher la survenance d’un événement non désiré par tout moyen, y compris militaire »[iii]. Cependant contrairement au fantasme populaire issu des films et séries, il est important de rappeler que ses membres « sont des agents de l’Etat agissant sous les ordres de l’autorité politique pour la défense des intérêts de la République. »[iv]. Composé de militaires, ces derniers sont issus à 80 % de l’Armée de Terre[v]. Même si le chiffre exact reste confidentiel, cette unité d’élite compterait 900 personnels[vi].

Dans le renseignement, il existe des collaborations entre différents pays. Cela est dû à la pluralité des renseignements humains, des technologies, etc. Cependant, les opérations homos échappent à cette règle. Même si « le ʺdroit de mortʺ des services spéciaux […] est un élément de stabilité dans le monde »[vii], ces opérations dépendent du « régalien le plus pur » et ne font pas l’objet de collaborations. C’est en quelque sorte un droit discrétionnaire » des Etats.

En conclusion, nous pouvons dire que ni la popularité accordée par les propos du député Dumont ni la réprobation de la députée Verdier-Jouclas ne bénéficient à ces opérations. Ces dernières, réalisées par des agents de l’Etat sur ordre de l’autorité politique afin de préserver les intérêts supérieurs de la France, ont tout intérêt à rester dans l’ombre.

A l’approche des élections européennes, il est intéressant de noter que, même si la France collabore avec ses partenaires dans le domaine du renseignement, les services sont loin de la fusion comme le montre le cas des opérations homo. Etant l’un des domaines les plus discrétionnaires des Etats, et les intérêts de chacun variant, seule une Europe politique pourrait justifier une collaboration accrue.


[i] Audition d’Ange Mancini par la Commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée Nationale. 5 février 2013.

[ii] Philippe Gros, Jean-Jacques Patry et Nicole Vilhoux « Serval : bilan et perspectives », Fondation pour la recherche stratégique, note n°16/13, juin 2012.

[iii] Audition de Monsieur le Préfet Erard Corbin de Mangoux par la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée Nationale. 20 février 2013.

[iv] Audition de Monsieur le Préfet Erard Corbin de Mangoux par la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée Nationale. 20 février 2013.

[v] Terre information magazine, n°285,‎ juin 2017, p. 44-45

[vi] Jean-Dominique Merchet, « Le Service Action va être « repyramidé », L’Opinion, 14 janvier 2016.

[vii] Claude Silberzahn, « Au cœur du secret. 1500 jours aux commandes de la DGSE 1989-1993 », Fayard, 1995.

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