La lune est-elle encore un enjeu géopolitique ?

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Le 30 mai dernier, le lancement de la fusée Falcon 9, destinée à envoyer deux astronautes vers la Station Spatiale Internationale (ISS), a été un événement historique de la conquête spatiale. Il a concrétisé le retour des États-Unis dans la course car, depuis neuf ans, le pays n’avait pas envoyé d’hommes dans l’espace depuis son sol. Les américains prennent alors leur indépendance vis-à-vis de la Russie, jusque-là seul pays habilité à transporter des hommes vers l’ISS. Le décollage consacre aussi l’importance prise par les nouveaux acteurs privés avec le succès déterminant du premier vol habité de la société Space X. Le décollage de la fusée Falcon 9 n’est qu’une première étape vers l’objectif annoncé par les États-Unis de retourner sur la lune. 51 ans après le hissage du drapeau américain sur notre satellite, la lune est redevenue un enjeu géopolitique au cœur des convoitises.


Pourquoi aller sur la lune?

Entre raisons scientifiques mais surtout stratégiques et économiques, ce sont ses ressources et sa dimension symbolique qui font de la lune un objectif à atteindre pour beaucoup d’acteurs. L’idée d’envoyer des hommes sur la lune relève avant tout de la démonstration technologique. Être  capable de faire décoller une fusée signifie aussi posséder des missiles et avoir la capacité de tirer à longue distance, et donc trouver sa place parmi les grandes puissances militaires. L’important est donc d’étaler aux yeux du monde son pouvoir militaire et industriel.
Un autre intérêt est l’importance des ressources naturelles lunaires. Les terres rares, par exemple, sont indispensables à la fabrication de nombreux objets à haute technologie tels que les téléphones portables. L’hélium 3 est aussi une ressource présente sur la lune et qui permettrait de produire de l’énergie nucléaire en grande quantité tout en réduisant les déchets. Notre satellite pourrait également devenir une sorte de station essence pour les fusées allant vers Mars grâce à l’eau, toujours sous forme de glace, présente dans les cratères lunaires, qui pourrait être transformée en carburant.
Tout un modèle économique pourrait voir le jour sur la lune qui intéresse particulièrement les grandes entreprises privées. Le temps est donc à une ruée vers l’or lunaire. De plus, des intérêts symboliques tels qu’envoyer pour la première fois une femme sur la surface de la lune sont une source de motivation pour plusieurs acteurs de la course spatiale. En effet, les 12 astronautes des missions Apollo étaient des hommes. De plus, aucun d’entre eux n’est resté sur la lune plus de 75 heures. De nombreux défis restent donc à accomplir en ce qui concerne la lune qui est un terrain de la démonstration de force.


D’un monde bipolaire à un monde multipolaire : la rivalité autour de la lune n’est plus le seul fait de États-Unis et de la Russie

Durant la Guerre Froide, la lune était un enjeu géopolitique majeur dans la rivalité entre les deux superpuissances. La course spatiale que menaient les États-Unis et l’URSS était une arme idéologique destinée à montrer sa supériorité technologique et susciter la peur dans le camp ennemi. L’impossibilité pour l’URSS de rattraper la course après les succès des missions Apollo a consacré sa défaite dans un profond désordre économique et politique. La monde d’après-guerre Froide est un monde unipolaire. La course à l’espace n’est donc plus importante car le monde reconnaît la seule superpuissance américaine. Aujourd’hui, le monde est multipolaire. Plusieurs puissances entendent établir leur influence sur des parties du monde et montrer leur pouvoir. D’abord, les acteurs traditionnels de la course spatiale entendent garder leur place dans un monde qui change.

Le spectre géopolitique spatial est toujours dominé par les américains. Ils doivent garder une longueur d’avance et montrer qu’ils sont toujours dominants dans ce domaine et premiers en termes de technologie militaire. Le problème est d’accomplir quelque chose qui n’a pas déjà été fait. Le prochain objectif est donc la planète Mars. Donald Trump, engageant le retour sur la lune en 2017, précisait qu’il était question de reconquérir la fierté américaine dans l’espace. Il a ainsi ordonné à la Nasa de retourner sur la lune d’ici 2024. Pour le président, la course spatiale contribue à la tentative de réaliser son slogan «Make America Great Again». L’importance de cet aspect de la politique extérieure américaine se concrétise par des chiffres: 40 milliards de dollars sont dépensés chaque année pour ses programmes spatiaux. Ils financent notamment le programme lunaire Artémis qui a pour objectif de mettre en orbite la station Gateway autour de la lune, et ainsi établir une présence américaine permanente autour du satellite de la terre.

Les russes sont toujours présents dans la course spatiale même s’ils sont des acteurs moins importants. Ils prévoient un alunissage en 2025 grâce à la mission Luna 27. L’engin devrait constituer la première base d’une station servant à la recherche scientifique et technologique.

La géopolitique spatiale se voudrait être le miroir de la géopolitique terrestre. La course à l’espace oppose désormais essentiellement les États-Unis et la Chine. Il ne s’agit pas d’une compétition idéologique contrairement à la Guerre Froide mais économique, nourrie par la guerre commerciale.

La Chine est celle qui a relancé la course spatiale en 2014 par le succès de son alunissage robotique, le premier en 37 ans. En janvier 2019, un autre achèvement historique made in China est le premier alunissage sur la face cachée de la lune, prouesse technique qui a officiellement formulé son désir d’y envoyer des astronautes. En accomplissant un exploit spatial qui n’a jamais été réalisé auparavant, les chinois entendent démontrer leur pouvoir technologique et leur entrée dans la course spatiale. Ces événements historiques marquent la fin de la domination américaine sur la conquête de l’espace. Si le budget spatial de la Chine est cinq fois inférieur à celui des États-Unis, la rapidité avec laquelle le pays innove dans ce milieu fait de lui un réel concurrent. Cette rivalité est tangible dans la rhétorique. Les chinois ont souligné que l’objectif du programme spatial n’était pas de laisser derrière eux des drapeaux et des empreintes de pas mais d’établir une présence humaine permanente sur la lune d’ici 2036. La Chine entend devenir une superpuissance et reconnaît que le succès spatial en est un élément déterminant. Cette participation à la course est donc issue d’enjeux de politique extérieure liés à la rivalité avec les États-Unis mais aussi de politique intérieure. L’image des Taïkonautes a séduit la population chinoise et contribue à écrire l’identité nationale.

La rivalité spatiale se joue donc essentiellement entre la Chine et les États-Unis dans une démonstration technologique et économique. Cependant, on ne peut parler de monde bipolaire comme au temps de la guerre froide car les acteurs étatiques sont multiples.

L’Europe occupe une place à part dans ce qu’elle refuse d’appeler la course spatiale. Le vieux continent bénéficie d’un grand pouvoir technologique et se présente comme pacifiste. L’Agence Spatiale Européenne (ESA) est une association de 22 pays qui connaît des tensions internes à propos de l’idée d’envoyer des hommes sur la lune. Cependant, l’objectif officiel est de créer un village lunaire dans lequel cohabiteraient les différentes puissances présentes dans l’espace. La stratégie européenne est donc la coopération avec tous les acteurs: à la fois la Chine et les États-Unis.

Le Japon est aussi un participant de la course spatiale qui vise la lune depuis de nombreuses années. En 2007, le succès de la mission Kaguya a souvent été définie comme la plus grande mission lunaire depuis le programme Apollo.

Depuis dix ans, l’agence spatiale indienne a engagé de multiples missions dans l’espace. Le pays a tenté un alunissage en septembre 2019 qui a échoué du fait de la perte de communication avec le vaisseau juste avant de se poser sur la lune. L’Inde espère toujours devenir le 4ème pays sur notre satellite. L’objectif est de défendre les intérêts du pays dans l’espace. Le lien entre course spatiale et pouvoir a été souligné par le nom donné à la mission lunaire de 2017: «Shakti», signifiant «pouvoir» en hindou.

Les pays sont de plus en plus nombreux à prendre part à la course spatiale entre nations. Le Luxembourg, Israël, le Brésil et l’Iran ont aussi lancé des missions. D’autres nouveaux acteurs ont prévu ou proposé des missions lunaires comme l’Allemagne, la Corée du Sud et même la Corée du Nord avec une mission prévue pour 2026 mais dont l’organisation et le financement n’ont pas encore été clairement prononcés. Aujourd’hui, on ne peut être une grande puissance et rester à l’écart des ambitions spatiales. Si les acteurs se multiplient c’est que davantage de pays entendent démontrer leur puissance et que le risque d’appropriation est réel.


Le risque d’appropriation de la lune

Du fait de ces différents intérêts, il y a un risque d’appropriation de la lune par les plus grandes puissances mondiales et d’un refus d’accès pour les pays moins développés. Dans les stratégies géopolitiques actuelles, l’espace extra-atmosphérique est très utilisé (drones, satellites…) et il y a une tendance à l’appropriation des espaces libres, déclarés biens communs de l’humanité. Comme pour les eaux internationales, il est interdit de s’approprier l’espace lunaire depuis le traité de 1966 mais il est autorisé de s’y rendre, d’utiliser et de commercialiser ses ressources.

Le 6 avril, en pleine pandémie, Trump a signé un décret consacrant le droit des Américains à exploiter les ressources spatiales et notamment celles de la lune. Le président n’exclut pas une coopération internationale mais les termes du décret s’opposent au Traité de la Lune, accord signé en 1979 par moins de 20 pays, qui stipule que toute exploitation des ressources lunaires dans un but non-scientifique doit être effectuée sur la base d’une coopération internationale. La Russie y voit une tentative de privatiser la lune. Le directeur général de l’agence spatiale russe Roscosmos a déclaré: «Les tentatives d’expropriation de l’espace et les plans agressifs pour s’emparer des territoires d’autres planètes mettent un frein à une coopération fructueuse entre les pays.». La politique américaine envers la lune est donc source de tensions et de craintes pour les autres grandes puissances. 
De façon plus légère et hors de la sphère étatique, le fantasme autour de l’appropriation de la lune semble se matérialiser dans des sites comme moonestates.com. Ce dernier propose d’acheter des parcelles sur la lune mais aussi sur Mars ou Vénus pour quelques dizaines de dollars. Cependant, le journal The New York Times a certifié que le site n’avait aucune autorité légale pour exercer ce commerce.


Les nouveaux acteurs privés

La conquête spatiale n’est plus le seul fait des États se livrant une guerre idéologique. Les nouveaux acteurs sont issus du domaine privé et sont essentiels au retour de la course. Ils y apportent les moyens financiers nécessaires là où le coût de la conquête ne serait pas accepté par la population. D’un intérêt stratégique à un projet économique, ces acteurs sont en première ligne de la course à l’espace. C’est le «new space»: la participation d’acteurs privés à la conquête spatiale.
Blue Origin a été la première entreprise privée à avoir l’objectif de coloniser la lune. L’un des hommes les plus riches du monde, Jeff Besos, fondateur d’Amazon, est donc aussi un acteur de la conquête spatiale.

Plus connue, Space X, compagnie fondée par Elon Musk, travaille avec la Nasa. Les institutions publiques et entreprises privées se complètent donc pour entreprendre des succès spatiaux. La société désire mettre sur place une économie touristique, selon les paroles d’Elon Musk en février 2017 : «We are excited to announce that SpaceX has been approached to fly two private citizens on a trip around the Moon late next year. They have already paid a significant deposit to do a Moon mission. Like the Apollo astronauts before them, these individuals will travel into space carrying the hopes and dreams of all humankind, driven by the universal human spirit of exploration.»
L’entreprise entend donc offrir à ses clients la possibilité de revivre les missions spatiales et de devenir eux-mêmes des acteurs de l’histoire. Finalement, la première mission touristique est prévue pour la seconde moitié de 2021. Le premier objectif écrit sur le site web de Space X est de révolutionner la technologie spatiale, avec comme but ultime de permettre à des humains de vivre sur d’autres planètes, et notamment Mars.

D’autres acteurs privés visent la lune et la spéculation est intense autour des ressources de notre satellite. Ces businessman promettant l’espace ont véritablement un objectif de communication important pour leurs entreprises.


La Lune ou Mars?

La planète Mars pourrait être le réel enjeu géopolitique. La lune deviendrait-elle alors une simple formalité servant à rendre possible le voyage vers mars ? Être le premier à poser le pied sur un espace inexploré est-il encore une finalité ?

Dans le retour des américains dans la conquête spatiale, la Lune semble être un outils pour s’entraîner et se relancer dans la course avant de se diriger vers Mars. Une mission habitée vers la planète rouge est envisagée pour 2033. En réalité, de nombreux obstacles techniques sont encore à surmonter avant de se rendre sur Mars. Dans un souci de toujours renchérir sur ce qui a déjà été fait, l’idée de se rendre sur Mars fixe un objectif qui semble indépassable et qui permettrait à la puissance d’affirmer réellement sa domination dans le domaine spatial, et donc technologique et économique.
Les États-Unis ne sont pas seuls à convoiter la planète rouge. Le 19 juillet, le lancement de la sonde émiratie «Al-Amal» a consacré l’entrée d’un pays arabe dans la course vers Mars. «C’est le futur des Émirats arabes unis» a déclaré Sarah Al-Amiri, directrice adjointe du projet et ministre des technologies avancées. Aujourd’hui, le projet est donc de se rendre sur Mars, ce qui est bien plus difficile et onéreux pour de nombreuses raisons. Des sommes astronomiques sont dépensées chaque jour pour réaliser ce dessein et aboutir à la colonisation de notre planète voisine, oubliant parfois la priorité de protéger notre maison naturelle, qui offre sûrement les meilleurs conditions de vie que l’humanité ne pourra jamais connaître.


Sources:
États-Unis, Chine, Europe: qui décrochera la Lune au 21e siècle? – 28 minutes – Arte
Pourquoi vouloir marcher à nouveau sur la lune? – vidéo Le Monde
Mars et la Lune: la géopolitique du futur – L’échiquier mondial – RT France
https://www.courrierinternational.com/article/geopolitique-spatiale-la-chine-relance-la-course-la-lune
https://www.franceculture.fr/geopolitique/la-chine-dans-lespace-un-monde-a-part
https://www.bfmtv.com/sciences/lancement-de-la-fusee-falcon-9-pourquoi-la-nouvelle-mission-de-space-x-est-historique_AV-202005260113.html

Emma Josso

Ancienne élève de la Sorbonne, j'étudie désormais les relations internationales à Sciences Po Strasbourg. Je suis intéressée par la politique étrangère américaine mais aussi par la géopolitique des pays en développement, particulièrement en Amérique latine et en Asie.

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