Drones, bavures, et responsabilité

Drones, bavures, et responsabilité

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Mars 2020, un drone appartenant au Gouvernement d’union nationale de Libye aurait attaqué des combattants dissidents sans aide humaine, selon un rapport publié en juin 2021 par l’ONU. Ce rapport, et la question du degré d’autonomie de ce drone ne sont pas sans rappeler l’usage de drones armés par Barak Obama dans sa lutte contre le terrorisme au Yémen par exemple. Quels sont les avantages présentés par les drones armés, et qui est tenu responsable en cas de bavure ? 

Drones militaires : quel est leur rôle dans l’armée ?

En France, les drones militaires sont expérimentés dès les années 1950 par l’Armée de l’Air, puis dans les années 1960 par l’Armée de Terre, qui voit dans ces avions « sans pilote » un appui non négligeable. En effet, ces drones permettent de rester en contact avec les troupes au sol, tout en fournissant des informations précises sur le terrain, comme ce sera le cas lors de l’opération Scorpion, au cours de laquelle les drones sont utilisés à des fins de renseignement, de localisation et d’identification  de cibles .

Les drones, technologiquement de plus en plus développés, présentent de nombreux avantages : leur persistance, la précision de leurs capteurs, mais également l’étendue de la connaissance d’un terrain qu’ils permettent, sont les principaux atouts d’un appui de drones. De plus, les drones permettent de prendre des décisions à froid, puisque le pilote se trouve souvent dans un environnement calme, et bénéficie de l’avis de juristes.

L’un des grands avantages des drones militaires est la protection qu’ils offrent aux militaires sur le terrain. Par exemple, un drone peut survoler plus longtemps une zone qu’un avion habité, ce qui permet également une frappe plus précise et au bon moment. Cette protection des militaires apportée par les drones se heurte malheureusement souvent à celle des civils, victimes collatérales de frappes par drones.

Quelle est la légalité des drones militaires ?

Ce sont ces victimes collatérales qui soulèvent fréquemment la question de la légalité des drones militaires. Au regard du droit international humanitaire (DIH), les drones sont illégaux. En effet, le DIH interdit toute arme ne pouvant respecter les principes généraux que sont la nécessité, la distinction, la proportionnalité, la précaution et l’interdiction de causer des maux superflus.

Pourtant, dans leur utilisation, les drones armés respectent ce droit international humanitaire, tout comme ils respectent le droit du conflit armé, puisque les armes et missiles qu’ils transportent sont identiques à ceux des avions habités. C’est donc dans leur nature, automatisée et permettant des frappes lointaines, souvent jugées comme « déconnectées » du terrain, que les drones ne respectent pas le DIH. Les drones, lorsqu’ils ne sont pas liés à des bavures sur le terrain, sont souvent considérés comme plus discriminatoires que d’autres instruments. Grâce aux drones, la mauvaise identification de la cible est considérablement diminuée, malgré quelques contre exemples, tels que les événements récemment dévoilés par le rapport de l’ONU.

Qui est responsable en cas de « bavure » de la part d’un drone ?

Dans une interview qu’il accorde au podcast Thinkerview, Henri Bentégeat, Chef d’État-Major des Armées de 2002 à 2006, pose ce constat simple : jamais la machine n’est responsable d’une opération qui tournerait mal. Dès lors, la question se pose : qui, dans la chaîne de fabrication et d’utilisation d’un drone armé, est responsable ? Est-ce l’industriel, le fabricant, les politiques ? Qui, des personnels militaires, ont pris la mauvaise décision au mauvais moment ? Le système juridique encadrant l’usage des drones militaires, comme tout système juridique ayant trait à une nouvelle technologie, se déploie progressivement, permettant ainsi de cibler de mieux en mieux le responsable, selon un processus bien défini.

Le pilote, par exemple, est responsable de la vitesse, de l’altitude et du cap de l’appareil qu’il commande. Cependant, en tant que militaire, il agit au nom de l’Etat : en cas de bavure relative à la mission en elle-même, c’est donc l’Etat qui en portera la responsabilité devant la justice pénale internationale par exemple. On parle par exemple de la « sale guerre d’Obama », dont l’usage de drones pour mener à bien des assassinats ciblés a été largement décrié. Dans « La Machine à tuer », essai du journaliste d’investigation Jeremy Scahill, ces attaques, notamment au Yémen, sont mises à jour en 2015. On y apprend que Barack Obama, bien qu’il décriait à l’époque l’usage de drones armés pour viser des individus, utilisait en réalité le flou juridique général qui entourait alors l’usage de ces armes, échappant ainsi à toute responsabilité.

De son côté, l’opérateur du drone, s’il s’agit d’un militaire, ne peut être tenu pénalement responsable des mesures de coercition ou de l’usage de la force qui auront été nécessaires à la réussite de sa mission, selon la loi du 24 mars 2005. Comme pour toute innovation technologique utilisée en zone de conflit, l’usage des drones armés, et surtout des drones dits « autonomes », pose des questions d’éthique, demande de peser le pour et le contre et nécessite un encadrement du droit bien précis, qu’il s’agisse du droit international ou du droit en conflit armé. Afin de contourner le problème généré par ces drones armés posant un danger pour les populations, plusieurs pistes peuvent être explorées au niveau technique, telles qu’une limitation de la puissance de l’armement ou une programmation pour que ce drone ne tire pas en deçà de sa zone de tir par exemple.

Sources :

Systèmes Aériens Inhabités – Ministère des Armées ; https://www.defense.gouv.fr 

Zubeldia, Océane, “L’armée française et l’utilisation des drones dans les missions de reconnaissance, de 1960 au conflit du Kosovo”, Revue historique des armées, 2010

Jeangène Vilmer, Jean-Baptiste, “Légalité et légitimité des drones armés”, Institut français des relations internationales, 2013

Thinkerview, 3 juin 2021 : “Henri Bentégeat : Militaires en colère ?”

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