L’UNMOGIP (United Nations Military Observer Group in India and Pakistan) : une preuve de l’impuissance de la communauté internationale dans la résolution des conflits ?

Reading Time: 6 minutes

Les faits historiques

L’année 1947 marque la fin du Raj britannique qui s’étendait sur l’empire des Indes depuis 1858, octroyant ainsi l’indépendance aux territoires formant aujourd’hui l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh en 1947 (et à la Birmanie en 1937). La question de la séparation entre l’Inde et le Pakistan est source de tensions dans la région du Jammu et Cachemire. Quatre guerres jalonnent l’histoire des relations indo-pakistanaises en lien direct avec les conflits dans la zone : les guerres de 1947, 1965, 1971 et 1999. Au-delà d’un conflit armé entre deux puissances, la spécificité du conflit indo-pakistanais tient à l’absence de solution et à l’impuissance de la communauté internationale, au même titre que le conflit israélo-palestinien, comme le décrit Dario Battistella dans Paix et Guerres au XXIe siècle (2001).


Quels sont les motifs des affrontements indo-pakistanais dans la région ?

Source: Own work, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons

Le début de l’instabilité sociale et politique remonte au XVIe siècle sous l’empereur Moghol Akbar, qui établit les prémisses des rivalités religieuses entre hindous et musulmans. La répression menée dès 1801 par Ranjit Singh contre les Afghans du Cachemire et les musulmans ravive à nouveau les tensions d’ordre religieux. La question religieuse est inéluctable dans l’explication de ce conflit et constitue une raison majeure des affrontements indo-pakistanais. Pour Ayub Khan, premier dirigeant militaire du Pakistan (1958-1969), la séparation apparaît définitive : « L’Inde et le Pakistan ne pourront jamais devenir une confédération même si une telle solution était imposée par la force. La raison est simple : le nationalisme indien est basé sur l’hindouisme et le nationalisme pakistanais est basé sur l’islam. ». Le Pakistan revendique ce territoire au nom de l’appartenance religieuse, puisque la majorité de la population du Jammu-Kashmir est de confession musulmane.

Pourquoi l’Inde souhaite obtenir ce territoire ?

Lors de la partition des deux pays, le Cachemire fait originellement le souhait d’être indépendant. Or, des troupes tribales venues du Pakistan déclenchent la première guerre indo-pakistanaise (1947-1949). Le chef d’Etat du Cachemire est alors à l’époque le maharaja hindou Hari Singh, qui fait appel à l’Inde en échange de quoi il accepte que le Cachemire soit assimilé à l’Inde que l’on connaît aujourd’hui. Le Pakistan remet en cause néanmoins la légitimité d’Hari Singh et donc sa décision de l’intégration de la région du Jammu et Cachemire à l’Inde.


Pourquoi peut-on parler d’impasse pour la communauté internationale dans la résolution de ce conflit ?

Au début du conflit, l’ONU tient une place centrale dans le processus de résolution des tensions. Les Nations Unies interviennent dès 1948 avec les résolutions 38 et 39 du Conseil de Sécurité qui demandent aux gouvernements respectifs de l’Inde et du Pakistan de cesser les hostilités. La résolution 47 marque ensuite une étape importante dans la mesure où elle érige la constitution de la United Nations Commission for India and Pakistan (UNCIP) qui vise à résoudre les tensions entre les anciennes colonies britanniques. Cette résolution met ainsi temporairement fin aux hostilités entre les deux États dès le 1er janvier 1949.

La commission UNCIP propose alors un compromis afin de conduire cette région à une situation stable et pacifiée. Le processus proposé par les troupes onusiennes suggère le retrait des troupes pakistanaises puis indiennes de la région, pour ensuite aboutir à un plébiscite de paix. L’Inde accepta mais le Pakistan refusa la proposition, craignant l’invasion de la région par les militaires indiens. Malgré ces complications, l’Organisation des Nations Unies parvient finalement à l’accord Karachi, ratifié par l’Inde et le Pakistan en juillet 1949, établissant alors une ligne de cessez-le-feu bien définie et surveillée par l’ONU. La commission de surveillance internationale devient ensuite, grâce à la résolution 91, en 1951, l’UNMOGIP (United Nations Military Observer Group in India and Pakistan) qui se voit davantage chargé d’une mission d’observation que de résolution des conflits.

L’accord de Karachi prévoyait également un référendum laissant libre la population de la région de choisir son Etat d’appartenance. En 1965, le Pakistan lance l’opération Gibraltar qui vise à intervenir dans le territoire du Jammu et Cachemire afin de provoquer une révolte. Cette décision a été motivée par le refus de l’Inde d’organiser le référendum. Ce qui semble intéressant à mentionner ici est surtout l’intégration du conflit dans le contexte international de la guerre froide. A ce moment, la Chine menace d’intervenir contre l’Inde, ce à quoi les Etats-Unis s’opposent vivement. Aujourd’hui même, l’Inde refuse toujours l’organisation du référendum mais le Pakistan continue de lutter pour l’organisation de ce dernier. Également, il est important de noter que la guerre de 1965 s’achève par médiation soviétique à Douchanbé au Tadjikistan.

Si l’UNMOGIP est toujours présente dans la région, les dernières résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies datent de 1971 et ont conduit à la signature en 1972 du Simla Agreement, à la suite de la troisième guerre de Jammu-Cachemire. L’accord Simla est un second tournant dans l’évolution du conflit du Jammu et Cachemire. Cet accord établit une frontière non-officielle dite « ligne de contrôle » répartissant alors la région entre les deux Etats.

Cependant, peu de temps après, l’Inde refuse toute internationalisation de la question du Cachemire et toute médiation internationale, critiquant l’efficacité de l’intervention onusienne en pratique. L’Inde souhaite que le règlement des différends soit exclusivement effectué sur le plan bilatéral, l’intervention de l’ONU n’est plus souhaitée. Le Pakistan quant à lui souhaite conserver la médiation qu’effectue l’ONU et demande également l’application du droit international. Cette dernière revendication pakistanaise implique la consultation de la population cachemirie. Si effectivement des élections locales et nationales avaient été tenues auparavant, le Pakistan dénonce le résultat au vu du taux d’abstention et du boycott des élections par les partis favorables à l’autonomie ou au rattachement au Pakistan.


Les années 1990-2000 : témoins de l’impasse à laquelle font face les Nations Unies

Les années 1990-2000 marquent effectivement l’efficacité relative de l’action internationale dans la question indo-pakistanaise. En 2001, l’insurrection de militants anti-indiens favorables au rattachement au Pakistan ou à l’indépendance a encore une fois ravivé les tensions entre l’Inde et le Pakistan. Cette fois, l’islamisme et le terrorisme font partie des enjeux. En effet, la guerre d’Afghanistan de 1979 à 1989 a laissé des traces et va influencer cette insurrection en favorisant l’émergence de djihadistes islamistes liés au moudjahidin afghans (combattants pour la foi engagés dans le djihad). L’émergence de ce groupuscule conduit l’Inde à renforcer son action, qui se solde par une grande violence et surtout par une violation du droit humanitaire.

La crise du Cachemire, ou crise de Kargil de 1999 témoigne de l’extrême difficulté dans laquelle se trouve la communauté internationale à ce sujet. La ligne de contrôle établie et surveillée par les Nations Unies ne se trouve plus respectée, l’armée pakistanaise s’infiltre au-delà de cette frontière non-officielle. L’intervention rapide des Etats-Unis comme médiateur (nous pouvons nous demander dans quelle mesure cette intervention souligne les failles onusiennes) permet de limiter l’escalade de la violence.


La question du nucléaire dans le conflit indo-pakistanais : une remise en cause claire de l’ordre international 

Le Pakistan et l’Inde figurent parmi les premières puissances à mettre en péril le Traité de Non-Prolifération Nucléaire (1968) qui limite à cinq le nombre de pays légalement dotés de l’arme nucléaire (bien que l’Inde et le Pakistan ne l’aient pas ratifié). L’Inde se dote notamment de l’arme nucléaire afin de rivaliser avec la Chine et accessoirement afin d’asseoir sa supériorité déjà établie sur le Pakistan. 

Finalement, la communauté internationale, souhaitant apaiser les tensions, se retrouve à alimenter ces dernières. L’Inde et la Chine, parties prenantes d’une course aux armements, propagent ainsi le développement de l’arsenal militaire pakistanais, ce dernier souhaitant être à la hauteur. La Chine quant à elle accroît ses dépenses militaires dans l’idée d’affermir sa position face à la Russie ou encore les Etats-Unis. La proximité entre le Pakistan et l’Iran laisse penser que la nucléarisation du Pakistan pourrait encourager l’Iran à se doter de l’arme nucléaire, ce qui modifierait ainsi l’équilibre du Proche-Orient.


Conclusion

La médiation internationale dans le conflit fait donc face à ses propres limites et la situation actuelle ouvre peu de portes à quelconque résolution. Trois voies sont envisageables en vue de l’apaisement du conflit :

  • La réunification du Cachemire et son indépendance mais qui ne satisfait aucune puissance ni même probablement le peuple cachemiri. 
  • Un référendum au Cachemire, comme proposé par l’ONU, au nom de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, mais exclu par l’Inde, craignant probablement l’issue du scrutin.
  • Le gel de la situation actuelle et la transformation de la ligne de contrôle établie en 1949 et rectifiée en 1972 comme frontière internationale ; mais qui n’entérine pas en profondeur les velléités indo-pakistanaises. 

NB : Par souci de simplicité, nous n’avons pas détaillé la dimension démographique du conflit mais il ne faut pas oublier son importance sur le plan des différences de caste, de langue et de religion. Elles fondent la construction des identités nationales et témoignent de la difficulté de l’Inde et du Pakistan à gérer la diversité. A titre d’exemple, les hindous du Jammu-Cachemire sont divisés en quatre castes : les Brahims, les Rajputs, les Khattris, et les Thakurs. Les musulmans quant à eux sont divisés entre les Sheikhs, les Saiyids, les Moghuls et les Pathans. Le mélange ethnique et religieux dans les trois régions qui composent l’Etat du Jammu-et-Cachemire (le Jammu-Cachemire, l’Azad-Cachemire et l’Aksai Chin) est donc très présent. On trouve aussi, au-delà des musulmans et hindous, une communauté sikhe et bouddhiste. Afin de donner un ordre d’idée, en 2001, les populations musulmane, hindoue, sikhe et bouddhiste occupent respectivement 67 %, 30 %, 2 % et 1 % de l’ensemble de l’Etat du Jammu-Cachemire.


Sources:

Sources officielles: 

Sénat : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20091214/etr.html

Nations Unies: https://peacekeeping.un.org/fr/mission/unmogip

Sources médiatiques:

Le Monde: https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/12/27/le-cachemire-origines-et-enjeux-d-un-conflit-entre-l-inde-et-le-pakistan_256308_1819218.html

Le Monde diplomatique: https://www.monde-diplomatique.fr/1970/10/RUZIE/29863

Sources académiques:

Gupta, Sisir. 1966. Kashmir—A Study in India‐Pakistan Relations, 18New York: Asia Publishing House

Indurthy, Rathnam, and Muhammad Haque. The Kashmir Conflit: why it defies solution. International Journal on World Peace, vol. 27, no. 1, 2010, pp. 9–44. JSTOR, www.jstor.org/stable/20752914. 

Rodrigo Tavares (2008) Resolving the Kashmir Conflict: Pakistan, India, Kashmiris and Religious Militants, Asian Journal of Political Science, 16:3, 276-302

L’antenne International Security and Defense rappelle que le contenu de cet article n’engage que son auteur

Laisser un commentaire

Fermer le menu