Les États neutres : quels atouts aujourd’hui ?

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L’exemple le plus emblématique d’État neutre est la Suisse, qui a obtenu sa neutralité en 1815. Au début de l’année 2022, le statut de neutralité de la Suisse a fait l’objet de critiques de la part de personnalités de l’Union européenne et d’hommes politiques russes. En effet, son statut ne permettrait pas à la Suisse de prendre position dans la crise russo-ukrainienne. La Suisse serait par conséquent un acteur équivoque au moment où chaque État, particulièrement en Europe, se range dans l’un ou l’autre camp. 

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Ainsi, quel atout peut encore avoir le statut de neutralité d’un État aujourd’hui ? Pour y répondre, il faut d’abord connaître l’origine et les caractéristiques de ce statut. 

Dans son ouvrage « Le droit de la guerre », Mario Bettati définit la neutralité d’un Etat comme « la politique adoptée par un État qui reste à l’écart d’une guerre affectant deux ou plusieurs autres États en s’abstenant d’y participer, que ce soit directement en prenant part aux hostilités ou indirectement en assistant l’un ou l’autre des belligérants. Il est interdit à un État neutre d’adhérer à un pacte militaire ou de mettre, de quelque manière que ce soit, son territoire à disposition d’une puissance belligérante. En revanche, il a le droit de se défendre avec des moyens militaires contre les violations de sa neutralité, d’offrir une protection humanitaire et d’entretenir des relations diplomatiques avec tout autre État. » On pourrait résumer cette définition par deux principes fondamentaux : abstention et impartialité.

Le statut de neutralité d’un État est encadré juridiquement. La Suisse est le premier État à obtenir sa neutralité en 1815 au congrès de Vienne. En effet, entourée par de puissants voisins et multiculturelle, elle risquait d’être profondément divisée au moment des différents conflits. 

C’est lors de la deuxième conférence de La Haye que la neutralité étatique est définie juridiquement. Cependant, si de nombreux pays se déclarent neutres au moment des deux guerres mondiales, cela n’en empêche pas certains de se raviser au cours de la guerre ou encore des belligérants de violer leur territoire. Il en ressort par exemple que des États peuvent être non-belligérants mais en même temps ne pas faire preuve de neutralité en fournissant du matériel à l’une ou l’autre partie du conflit.

Aujourd’hui, le monde se partage en différentes organisations internationales, les conflits interétatiques ont diminué et au contraire de nouveaux types de belligérants comme les groupes terroristes se développent. Avec tous ces changements, les États neutres – Autriche, Costa Rica, Finlande, Irlande, Malte, Moldavie, Serbie, Suède, Suisse, Turkménistan – ont besoin de faire valoir leurs atouts à long terme, et non plus seulement en période de guerre. Certains d’entre eux offrent régulièrement leur arbitrage entre des pays en conflit ou des plateformes de négociations, par exemple l’Autriche avec Vienne, la Suède avec Stockholm ou la Suisse avec Genève. Actuellement, à Vienne, se tiennent les négociations sur le nucléaire iranien. En outre, les États neutres servent depuis longtemps d’asile aux réfugiés politiques et religieux. De grandes organisations internationales sont basées là-bas, ainsi des institutions de l’ONU à Vienne et à Genève, la Croix Rouge Internationale à Genève, le prix Nobel à Stockholm. C’est à Helsinki qu’ont pu être scellés les accords d’Helsinki de 1975 sur l’O.S.C. E. et à Davos en Suisse que se tient chaque année le Forum économique mondial. 

Cependant, leur statut neutre empêche ces États d’adhérer à un pacte militaire et donc de se placer dans un camp précis au sein de la géopolitique. Ainsi, les États neutres ne peuvent pas intégrer l’OTAN par exemple, quand bien même ils seraient bien ancrés dans le monde occidental, par exemple les pays neutres européens. En revanche, ils ont le droit de posséder une armée pour défendre leur territoire en cas d’attaque. La Suisse compte 180 000 soldats, tandis que le service militaire est obligatoire en Autriche. 

Certains États ont été contraints à la neutralité : la notion de « finlandisation », pas encadrée juridiquement, s’applique à ce cas de figure. Elle prend comme point de départ la situation particulière de la Finlande qui, du fait de son histoire, a aligné sa politique étrangère sur celle de la Russie tout au long de la guerre froide mais a pu conserver sa souveraineté. Le pays est resté une démocratie et a continué à pratiquer le libéralisme économique. La Finlande est ainsi restée pendant un demi-siècle un modèle de ce qu’on appelle également « neutralisme actif ». En n’intégrant ni l’OTAN ni l’Union soviétique, elle pouvait constituer une sorte d’État-tampon entre les deux blocs. Ainsi, les États neutres peuvent jouer un rôle géopolitique important grâce à leur statut. 

L’Autriche est un autre exemple de pays qui peut profiter de sa neutralité : l’État a été déclaré neutre le 26 octobre 1955. C’était en effet la condition pour que l’Union soviétique accepte l’indépendance autrichienne après 10 ans d’occupation par les quatre puissances qui avaient gagné la Seconde Guerre mondiale. Tout comme la Suisse, l’Autriche a le statut de neutralité perpétuelle. Elle a pu ainsi construire un nouvel État démocratique et prospère au centre de l’Europe. Territoire situé au centre de l’Europe, elle a pu devenir un lieu important de négociations, avant tout dans sa capitale. Vienne accueille aujourd’hui plusieurs institutions, entre autres des organisations de l’ONU, l’Agence internationale de l’énergie atomique et l’OSCE. Régulièrement, des négociations entre dirigeants du monde entier sont organisées là-bas, comme récemment les discussions sur le nucléaire iranien. La neutralité n’empêche pas l’Autriche d’avoir un service militaire obligatoire ainsi qu’une armée.

Photo by andresrguez on Foter, La cité de l’ONU à Vienne

Les crises internationales actuelles, comme en Ukraine, peuvent poser la question de la pertinence de la neutralité étatique : si la Suède et la Finlande se montrent de plus en plus atlantistes, à cause notamment de leur situation à proximité de la Russie, est-il encore raisonnable de parler de neutralité ? Au contraire, des voix prônent la neutralité de l’Ukraine pour équilibrer la géopolitique en Europe de l’est. On le voit, la neutralité étatique n’est pas une notion anodine et participe plus qu’on ne le croit aux rapports de force en géopolitique.

Sources :

https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/15/la-neutralite-suisse-a-l-epreuve-du-regain-de-tensions-en-europe_6113773_3210.html

Bettati Mario, « Chapitre 7. La neutralité », dans : , Le Droit de la guerre. sous la direction de Bettati Mario. Odile Jacob, « Hors collection », 2016, p. 288-294. URL : https://www.cairn.info/—page-288.htm  Consulté le 17/02/2022.

Éric Schnakenbourg , « Neutralité : l’espoir de vivre en paix au milieu de la guerre », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20, consulté le 17/02/2022. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12410

« La Suisse, un îlot en Europe. Le dessous des cartes [ARTE]», 27/03/2018, https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=1mAgIu6nFg8 Consulté le 17/02/2022.

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/02/crise-ukrainienne-l-hypothese-de-la-finlandisation-ou-la-neutralite-obligee_6111937_3232.html

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