La Russie en mission reconquête en Afrique

La Russie en mission reconquête en Afrique

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Jusque dans les années 80, certains pays avaient bénéficié de l’appui soviétique en échange de l’adhésion à l’idéologie marxiste-léniniste. Aujourd’hui, Moscou profite d’un contexte de libéralisme pour se réimplanter.

Le réengagement de la Russie en Afrique débuta en 2006 par les visites du président Poutine au Maroc et en Afrique du Sud, et dès lors, Poutine donna le ton « la Russie constate sans jalousie que d’autres pays ont noué des liens en Afrique, mais elle entend bien défendre ses intérêts sur le continent » (Ria News, 2009 ; Kolesnichenko, 2009). Du 22 au 24 octobre 2019 a lieu le premier sommet Russie-Afrique réunissant quarante-trois chefs d’Etat africains. Conscient des opportunités minières et militaires que représente le continent africain, Moscou renforça ses partenariats et parti à la conquête de nouvelles alliances.

La promesse d’un appui militaire contre l’exploitation minière

Vivier de ressources, l’Afrique offre une perspective économique fructueuse à Moscou qui ne s’est pas fait prier pour conquérir ces terres. En effet, en décembre 2017, la Russie a conclu un accord de coopération avantageux avec la Centrafrique : l’exploitation des minerais (or et diamant) en échange de son appui militaire même si la présidence centrafricaine expliquait que la Russie s’était également engagée à participer au relèvement économique du pays. Cependant, l’assassinat de trois journalistes russes au large de la ville de Sibut en juillet 2018 alors que ceux-ci enquêtaient sur la présence de mercenaires du groupe Wagner, questionne sur les dessous de la coopération.

De même, l’Algérie fait office de principale cliente, la moitié des armes russes exportées vers l’Afrique y étant destinée. Mais loin d’être perdante à l’échange, l’entreprise russe Gazprom s’est implantée dans l’exploitation gazière. 

Les contrats militaires privés à l’origine de l’influence russe en Afrique subsaharienne

Traditionnellement, la Russie emploie des acteurs non étatiques pour atteindre des objectifs géoéconomiques et politiques dans des régions au fort potentiel stratégique. Sa nouvelle cible, l’Afrique subsaharienne. Conscient de la concurrence de nombreux groupes d’opérateurs économiques, Moscou peut s’appuyer sur un avantage concurrentiel de taille : « la coopération militaro-technique » qui repose sur deux approches combinées : une coopération intergouvernementale officielle conforme aux normes standards internationales et des accords douteux basés sur des formes de coopération non-autorisées dont fait partie le recours à des sociétés militaires privées.

A partir de 2015, en réponse aux sanctions américaines et européennes à la suite de l’annexion de la Crimée par Moscou, la Russie a éprouvé le besoin de diversifier ses relations avec des pays africains. Si techniquement la Russie n’a pas de sociétés militaires privées, celles-ci étant punies par le Code pénal russe, la réalité est tout autre au Soudan et au Mozambique.

Fin 2017, un accord a été conclu entre Moscou et Khartoum dans le cadre des négociations de Sotchi. En effet, au cours du séjour en Russie de l’ancien dictateur soudanais Omar el-Béchir, une concession d’exploitation aurifère mentionnant le groupe M-Invest lié à Evgueni Prigojine a été signée le 24 novembre. Alerté par des rapports signalant la présence de mercenaires russes du groupe Wagner au Soudan, le Service de sécurité ukrainien a dévoilé que le groupe Wagner est impliqué dans la formation des forces armées locales et de groupes paramilitaires. Par la suite, des sources locales ont affirmé qu’une partie des paramilitaires étaient présents dans le centre de Khartoum et constituaient les forces d’opérations spéciales des services nationaux de renseignement et de sécurité (« Russian military firm working with Sudan security service source » Tribune, 7 janvier 2018). Interpelé par ces informations Moscou a admis sa présence dans le pays en niant toutefois le lien entre les sociétés privées et l’Etat russe.

La situation au Mozambique permet d’illustrer une pratique divergente. En effet, si le choix des groupes russes n’a pas été fait au hasard puisque les sociétés militaires privées ont remporté le marché contre des soumissionnaires sudafricains à raison de leur prix attractifs, la mission confiée aux paramilitaires ne ressemble en rien à leurs précédentes fonctions. Fini l’entraînement, les dirigeants politico-militaires locaux attendaient qu’une guerre type anti guérilla soit menée dans la province rebelle de Cabo Delgado. Force est de constater que le résultat escompté n’a pas été atteint, après deux confrontations, Wagner a interrompu ses opérations dans le pays.

Les alliances : l’exemple du Soudan

En 2003, les autorités russes prennent position pour le régime soudanais dans le conflit qui éclate au Darfour. La relation soudano-russe, née pendant la Guerre froide, s’est reconstruite sur les offres de services du gouvernement russe au moment où le régime soudanais était sanctionné par les Occidentaux. Profitant de leurs intérêts communs, le Soudan a pu obtenir le soutien russe au Conseil de sécurité sur le dossier du Darfour en échange de la reconnaissance de l’annexion de la Crimée et du vote de la résolution 68/262 de l’ONU qui condamne cette annexion. De la même manière, le président soudanais Omar el-Béchir a défendu l’intervention militaire russe en Syrie en novembre 2017.

D’un point de vue commercial, si les ventes d’armes représentent une part importante des échanges, les secteurs du nucléaire et de l’exploitation minière sont en constant développement depuis 2016 au bénéfice de la Russie qui a notamment conclu plusieurs projets de construction, y compris la raffinerie à Port-Soudan en 2018.

La relation soudano-russe a failli trembler à la chute du régime de Béchir, mais seulement failli puisqu’en mai 2019, Moscou et Khartoum ont signé deux nouveaux accords militaires : le premier vise à partager les expériences relatives aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies, le second permet de renforcer la coopération dans le domaine naval. Un accord qui a été renforcé par un nouvel accord signé le 8 novembre 2020 à propos de la création d’une base navale russe dans la zone de Port-Soudan qui « répond aux objectifs de maintien de la paix et de la stabilité dans la région » (« la Russie a finalisé un accord sur la création d’une base navale au Soudan » le Figaro, 9 décembre 2020). Grande gagnante de cet accord la Russie va pouvoir accroître sa capacité d’intervention maritime dans l’océan Indien, s’immiscer dans un espace stratégique à la jonction du Moyen-Orient et de l’Afrique tout en faisant de la concurrence aux ambitions turques et se servir de vitrine pour la coopération navale russe en direction d’autres pays africains. En bref, Moscou sécurise sa position déjà dominante dans la région. 

Sources : 

« la nouvelle puissance russe en Afrique : atavisme des ambitions soviétiques, néo-impérialisme ou pragmatisme ? » Jean Lévesque, Diplomatie (mars-avril 2021). 

« les contrats militaires privés, instruments de l’influence russe en Afrique subsaharienne » Sergey Sukhankin, Diplomatie (mars-avril 2021). 

La Russie en Afrique : appui militaire contre exploitation minière | International | DW | 24.05.2019

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