Les relations particulières entre Turquie et Union Européenne

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Souvent au cœur de l’actualité, les relations entre la Turquie et l’Union Européenne ne cessent de faire débat !
Les relations qu’entretiennent ces deux entités sont aussi longues que complexes. Le contexte politique et les enjeux d’une potentielle intégration de cet état au sein de l’Union Européenne méritent d’attirer notre attention.

La récente volonté du président turc Erdogan de laisser entrer sur le territoire européen des millions de migrants a ravivé les tensions déjà fortes entre les deux entités.

Avant de se pencher sur les relations entre Turquie et Union Européenne, il nous faut d’abord saisir leurs intérêts respectifs, politiques et sociaux, et pour cela il nous faut aborder leur histoire et leur objectif.



Qu’est-ce que l’Union Européenne ?

Le projet d’une Union entre les pays européens ne date pas de sa création en 1951 mais remonte bien au-delà. Déjà sous la plume de Leibniz, Rousseau ou Kant, émerge l’idée d’un idéal européen. Toutefois cette idée ne prend forme qu’au XIXe siècle avec notamment le célèbre discours de Victor Hugo en 1849 au Congrès International de la paix. Finalement, c’est au sortir de la Seconde guerre mondiale, à l’issue d’un autre fameux discours, cette fois-ci de Churchill, où s’affirme la nécessité de fonder les « États Unis d’Europe » car « ainsi (et de cette manière uniquement), des centaines de millions de travailleurs retrouveront la possibilité de connaître les petits plaisirs et espoirs qui font que la vie vaut la peine d’être vécue ».
Mais avant l’aboutissement de ce projet, se créé d’abord le Conseil de l’Europe en 1949 visant à protéger la démocratie, l’état de droit et les droits de l’Homme, autant de principes et droits bafoués pendant la Seconde guerre mondiale. Toutefois, pour certains, ce n’est pas suffisant. Les pays sont détruits tant économiquement que matériellement. La première communauté européenne se forme alors sous le nom de Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) entre 6 états. L’objectif est de développer des relations économiques particulières et privilégiées afin d’assurer à la fois le maintien de la paix entre les états-membres mais aussi de redémarrer l’économie et la reconstruction plus rapidement de chacun de ces états-membres. C’est un pari osé mais qui marche malgré certains contestataires.
Dans les années qui suivirent, deux nouvelles communautés virent le jour : la Communauté Economique Européenne (CEE) en 1957 et la Communauté Européenne de l’Énergie Atomique (CEEA) en 1958. En 2007, le Traité de Lisbonne réforme les communautés en changeant notamment le nom de « communautés européennes » en « Union Européenne ».

Qui est la Turquie ?

Cet état a été créé à l’issue de la Première guerre mondiale, à la suite de la défaite de l’Empire Ottoman dans le camp des puissances centrales. Évitant la dislocation du territoire ottoman, Mustafa Kemal allias Atatürk (« le père des Turcs ») obtient la création de cette République qui naît en 1923.
Ce dernier va entreprendre de fonder ce nouvel état sur des valeurs plus occidentales et modernes.


Quels liens se sont tissés entre la Turquie et l’Union Européenne

Dans l’entre deux guerre et après la Seconde guerre mondiale, les relations entre la Turquie et les pays européens sont assez « cordiales ». Comme nous venons de le préciser, Ataturk fonde l’état turc sur des valeurs plus occidentales grâce à l’adoption de nombreuses réformes. La laïcité, le multipartisme et l’économie sont autant de nouveautés qui rapprochent la Turquie des valeurs occidentales. De plus, la Turquie entre dans des organisations internationales comme l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en 1952 avec la Grèce.
Elle participe aussi et dès sa création à l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), organisme chargé de répartir les crédits accordés par le Plan Marshall entre les états de l’Europe occidentale. Après la Seconde guerre mondiale, le contexte diplomatique est plutôt favorable entre les différents pays laissant présager une évidence dans l’intégration de la Turquie aux communautés européennes.

Et pourtant, la Turquie est l’état qui connaît la plus grande attente pour entrer au sein de l’Union ! Tachons de comprendre pourquoi…

Les premières négociations relatives à l’introduction de l’état turc au sein de l’entité supra étatique remontent à l’année 1959, autrement dit aux débuts de la construction européenne. En juillet 1959, la Turquie invite la CEE à conclure un accord d’association qui aboutit finalement en 1963. Cet accord de 1963 prévoit à terme une intégration de la Turquie aux communautés à la condition que l’accord se déroule comme convenu.
À ce moment de l’histoire, c’est une suite logique pour cet état qui suit la voie de l’occidentalisation. Toutefois, la réalité du contexte politique de l’époque s’en mêle, aboutissant finalement à ce que ce ne soit qu’en 1987 que la Turquie se porte candidate à l’intégration des Communautés. Cette candidature ne sera reconnue officiellement qu’en 1999 lors du Conseil d’Helsinki.
La lenteur de la Turquie à entrer dans les communautés ne s’arrête pas là puisque ce n’est qu’en 2005 que les négociations commencent.
Ce retard s’explique en raison du manquement de la Turquie à préserver le critère politique impératif pour l’adhésion. Ce critère se traduit par le respect des droits de l’Homme, l’état de droit et la démocratie. Ce n’est qu’une fois ce critère politique rempli que les négociations peuvent débuter permettant une nouvelle phase des pourparlers relatifs aux autres critères pour l’adhésion. La Turquie adopte alors diverses réformes politiques pour se conformer à ce critère, soulignons particulièrement une modification de sa Constitution. Les autres critères sont au nombre de trois. On retrouve le critère économique, l’acquis communautaire et enfin la capacité d’intégration qui vise à s’assurer que l’état candidat puisse assimiler de nouveaux membres et approfondir l’intégration. Malgré un budget de 9 milliards d’euros prévu par l’UE pour la Turquie en vue de soutenir financièrement les mesures nécessaires pour se conformer au droit européen et en dépit de nombreuses réunions et publications entre européens et turcs pour l’avancée de l’adhésion, celle-ci avance timidement. Bien sûr, il s’agit d’un euphémisme car encore aujourd’hui, en 2020, la Turquie est toujours cantonnée dans son rôle de candidate. Le 13 mars 2019, les eurodéputés ont même appelé l’UE à suspendre les négociations.


Pourquoi le processus d’intégration de la Turquie à l’Union européenne se voit-il freiner au stade des négociations ?


Les raisons sont diverses. D’abord, la première raison invoquée par l’Union serait un non-respect des critères de Copenhague, c’est à dire des critères d’adhésion.
La violation de ces critères est conséquente, et pousse le Conseil de l’UE a déclaré en juin 2019 que « la Turquie continue de s’éloigner un peu plus encore de l’Union européenne ».
Et pour cause ! Les quatre critères sont remis en question par la Turquie.

Le premier des critères est celui qui attrait à la politique, autrement dit à l’état de droit, à la démocratie et aux droits de l’Homme. Ces droits sont en partie cités dans l’article 2 du TFUE (Traité sur le fonctionnement du l’Union Européenne). La liberté de culte est de plus en plus bafouée et le respect du principe laïcité s’atténue. Si la laïcité a été instaurée par des réformes d’Atatürk en 1928, celle-ci ne se traduit pas par la séparation entre l’Église (ou plutôt la mosquée) et l’État comme ça a été le cas en France en 1905 mais signifie plutôt le contrôle de l’État sur la religion dominante du pays qui est l’Islam.
Autrement dit, aucun argument religieux ne peut motiver ou justifier une décision politique de l’État, cependant ce dernier a une mainmise sur la religion. Par exemple, l’article 8 alinéa 4 de la Constitution dispose que « l’éducation et l’enseignement religieux et éthique sont dispensés sous la surveillance et le contrôle de l’État ».
Par ailleurs, il existe un ministère chargé de s’occuper des affaires religieuses appelé en turc Diyanet İşleri Başkanlığı.
Ce ministère emploie 100 000 fonctionnaires et s’assure de la conformité de l’islam à la doctrine de l’État. Depuis 2002, correspondant à l’arrivée au pouvoir du parti politique islamo-conservateur appelé Parti de la justice et du développement (AKP) a complètement bouleversé cette laïcité dans la société turque. Ce parti est accusé de mener une politique d’islamisation et en particulier le président actuel et fondateur de ce parti, Recep Tayyip Erdoğan. Par des moyens légaux, notamment par le biais du contrôle du ministère des Affaires religieuses, le régime favorise le sunnisme, religion dominante en Turquie. Les victimes sont toutes les autres religions, à commencer par les autres branches de l’Islam comme les alévis représentant 12 millions de citoyens turcs.
En 2007, le comportement de l’état turc a conduit la Cour européenne des droits de l’Homme à condamner ce pays car l’enseignement religieux qui est alors obligatoire pour tous les musulmans dispense principalement des leçons relatives au sunnisme, excluant en grande partie les autres religions minoritaires de l’Islam.
Plus récemment, en 2016, c’est le président du Parlement turc Ismaïl Kahraman qui ébranle la scène internationale en avançant : « Nous sommes un pays musulman. Par conséquent, il faudrait faire une Constitution religieuse ». Les alévis ne constituent pas la seule minorité religieuse en Turquie. Bien qu’un sondage officiel déclare que 99 % des turcs sont musulmans, des sondages officieux indiquent l’existence de « 60 000 Arméniens chrétiens orthodoxes, 20 000 Juifs, 20 000 catholiques et 2 500 protestants » sur le territoire turc. Ces minorités ne disposent pas des mêmes droits. Par exemple, les associations religieuses qui ne sont pas islamiques ne se voient pas attribuer la personnalité juridique leur donnant ainsi des droits et des obligations comme ester en justice par exemple.

Bien que majoritairement sunnites, la minorité Kurde fait aussi l’objet d’un traitement spécial. Longtemps réprimé par l’état turc, on observe une amélioration en 2014 avec l’adoption d’une loi autorisant la langue kurde dans les institutions et écoles turques. Toutefois, depuis 2016, les kurdes sont de nouveau durement opprimés. Par exemple, le gouvernement n’hésite à s’attaquer au Parti démocratique des peuples (HDP), parti politique turc issu d’un mouvement politique kurde. Si le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est une organisation politique kurde armée reconnue comme terroriste par une grande partie de la communauté internationale, les liens entre le PKK et le HDP n’ont jamais été démontrés. Pourtant, le président Erdoğan ne cesse de les assimiler et procède des nombreuses arrestations des membres du HDP, en particulier depuis le coup d’état manqué en 2016. Les dirigeants européens ont condamné ces arrestations de députés et journalistes jugées comme arbitraires. L’offensive turque à la frontière syrienne a ravivé les critiques envers la Turquie. L’UE a même menacé de prendre des mesures de représailles contre la Turquie mais ces mesures n’ont en rien motivé la Turquie à adopter un comportement différent. Dès lors, le 5 mars 2020, le vice-président du Parlement européen Dimitrios Papadimoulis appelle « à des mesures plus strictes » contre la Turquie.

L’état turc est aussi critiqué pour son intolérance face aux mouvements protestataires contre le pouvoir en place et pour son non-respect de la liberté d’expression. L’épisode le plus connu est le mouvement de Gezi de 2013. L’actuel président Erdoğan est alors premier ministre quand un mouvement de protestation a lieu à Istanbul. Ces manifestations rassemblent d’abord des écologistes, étudiants, musulmans anticapitalistes et associations venus s’opposer à la construction d’un centre commercial qui détruirait le parc de Gezi, l’un des rares espaces verts au cœur d’Istanbul. Ces manifestations se transforment rapidement en un vaste mouvement de protestation pacifique contre le régime en place en raison des violentes répressions policières infligées aux manifestants.
La commission européenne critique les méthodes policières et se désole de la Turquie qui a recours à « tout usage excessif et disproportionné de la force ». Le Parlement européen a, quant à lui, réprimé le gouvernement turc en adoptant dès juillet 2013 une résolution visant à préciser l’adoption de mesures policières qui soient plus adaptées et proportionnées aux manifestations pacifiques. Le Parlement appelle aussi la justice turque à condamner ces actes policiers démesurés. En réponse, le gouvernement turc mécontent de la réaction européenne lance un projet réformant le système juridictionnel turc. Celui-ci est très contesté puisqu’en renforçant les pouvoirs du gouvernement, cette réforme nuit directement à l’indépendance de la justice et à la séparation des pouvoirs en Turquie, deux conditions fondamentales de la démocratie. Pour justifier de telles atteintes à la démocratie, Erdoğan justifie cette réforme en déclarant prendre des mesures nécessaires face à une « tentative de coup d’État ».



La liberté d’expression et la liberté de la presse sont toutes deux touchées. Pour limiter ces libertés fondamentales, les juges ont recours à l’article 301 du code pénal turc dont l’usage a été aussi fréquent que condamné par les pays européens. Entré en vigueur le 1er juin 2005, cet article est consacré au « dénigrement de l’identité nationale ». Le problème étant que les termes employés sont flous, suffisamment en tout cas pour permettre une interprétation extensive. Les conséquences sont importantes car elle emporte une augmentation des condamnations arbitraires ! Cette disposition a été contestée dès le début des négociations en 2005 par l’Union Européenne. Ces pourparlers ont conduit à une réforme de cet article en 2008 qui remplace l’expression « identité turque », jugée peu claire, par « nation turque ». Malgré cette timide modification, cet article reste néanmoins très contestable ! Les abus de son emploi sont nombreux mais concentrons-nous sur l’affaire Orhan Pamuk qui nous éclaire bien sur les enjeux et les critiques de la loi turque. L’affaire Orhan Pamuk remonte à l’année 2005, la même année où les négociations relatives aux critères de Copenhague commencent. Monsieur Pamuk est un célèbre écrivain turc. Après avoir eu l’audace de mentionner dans un de ses ouvrages la mort de 1 000 000 d’arméniens et 30 000 kurdes lors du génocide arménien, il fait l’objet de poursuites judiciaires. Il est traduit en justice sur le fondement de l’article 301 du code pénal en raison de ses propos, considérés comme une « insulte délibérée à l’identité turque ».
Il risque alors trois ans de prison ferme. En 2006, sous la pression internationale, l’écrivain est finalement relaxé par les tribunaux turcs. L’affaire Osman Kavala encore d’actualité en 2020 est également criante sur la politique liberticide turque. Cet homme d’affaire philanthrope se présente ouvertement en faveur de la protection des minorités, en particulier kurde et arménienne.
En février dernier, Osman Kavala et huit autres co-accusés comparaissent devant la justice turque accusés d’être à l’origine d’une « tentative de renversement le gouvernement » au cours de la Révolte du Parc Gezi en 2013.
À l’issue de ce procès, tous les accusés sont déclarés non coupables, faute de preuve et évitent ainsi la prison à vie. Rappelons que la preuve qui avait été fournie pour amener Kavala au procès était une carte de la répartition des abeilles sur le territoire turc. Cette carte avait été interprétée comme le moyen pour Mr. Kavala de redessiner les frontières de la Turquie. Il ne fait pas de doute ici qu’il s’agisse d’une bien maigre preuve pour pouvoir condamner une personne à une peine aussi importante que la prison à vie. On y voit surtout un moyen du gouvernement turc d’enfermer un contestataire du régime ultranationaliste et conservateur d’Erdoğan.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Seulement quatre heures après sa libération, alors qu’il fêtait cette victoire en compagnie de sa famille dans un restaurant, Mr. Kavala est de nouveau arrêté, présumé d’avoir participé à un autre coup d’état en 2016. Ce putsch organisé par l’armée turque a failli renverser le président Erdogan. Depuis cet événement, on assiste à une accélération de la dérive autoritaire de cet état. Celle-ci a même déclaré qu’elle « dérogerait temporairement » à la Convention européenne des droits de l’homme pendant la durée de l’établissement de l’état d’urgence. Malheureusement, si ce régime particulier a pris fin le 18 juillet 2018, l’inquiétude persiste car les mesures exceptionnelles de l’État d’urgence sont dorénavant entrées en grande partie dans le droit commun. Quant à l’affaire Kavala, il n’y a pas de meilleurs mots pour décrire le comportement déplorable du gouvernement turc que ceux transmis par un communiqué d’Amnesty international qui qualifie cette nouvelle arrestation de « cynique et cruelle ».

La Cour européenne des droits de l’homme condamne également cette situation et appelle à la libération immédiate du philanthrope faute de « faits, informations et preuves ». Les arrestations, licenciements et suspensions des opposants du régime en place sont allés bon train en Turquie depuis le coup d’état de 2016.
La Commission européenne dans un rapport de 2018 sur la Turquie rapporte le nombre de 150 000 pour les personnes placées en garde en détention et 78 000 pour celles arrêtées. La censure frappe aussi. Cependant, ce n’est pas tout. Un grand nombre de journalistes et de leurs collaborateurs sont également emprisonnés. Le rôle d’Erdogan déjà central s’est renforcé davantage depuis le coup d’état, notamment grâce à la victoire du référendum du 16 avril 2017 sur la création d’une nouvelle Constitution. Ce projet constitutionnel dirige le pays vers une présidentialisation du pouvoir.
Pas besoin de vous dire que plus le pouvoir est concentré aux mains d’une même personne, plus les risques de bafouer les valeurs démocratiques augmentent !
L’ensemble de ces éléments amène la Commission européenne a déclaré que « le pays (la Turquie) continue de s’éloigner toujours plus de l’Union européenne, avec un sérieux recul dans les domaines de l’état de droit et des droits fondamentaux et un affaiblissement des contre-pouvoirs au sein du système politique résultant de l’entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle ». Toutefois, Erdoğan se fiche bien des commentaires de l’UE, allant même jusqu’à provoquer celle-ci en traitant les allemands de nazis en mars 2017. Il n’a pas apprécié le maintien de manifestations kurdes tandis que les meetings de deux ses ministres ont quant à eux été annulés. Quelques mois plus tard, Erdogan provoque encore une fois les pays européens en appelant à rétablir la peine de mort abolie en 2004. Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne, a répondu que « si la peine de mort était réintroduite en Turquie, cela entraînera la fin des négociations ».



La Turquie est aussi pointée du doigt pour le non-respect des autres critères d’adhésion, en particulier le critère économique. L’Union mène une politique économique basée sur le libre échange alors que la Turquie promeut et pratique le protectionnisme économique. La question économique divise les partisans et opposants à l’intégration de la Turquie au sein de l’UE. Les turco-sceptiques mettent en avant le manque de répartition des richesse ou encore le faible taux d’investissement de capitaux étrangers. Les partisans rétorquent que la croissance rapide de la Turquie va changer et que par conséquent la situation économique turque n’a rien d’alarmant. Par exemple, cet état a bien remonté la crise de 2001, son PIB est même devenu positif. De plus, les partisans invoquent l’argument selon lequel l’intégration de la Turquie à l’UE favorisait une confiance renforcée pour les marchés et les investisseurs et donc augmenterait le taux d’investisseurs étrangers.
Pourquoi, au vu des relations actuelles déplorables, ni la Turquie ni l’UE ne retire ou met fin à la candidature de la Turquie à l’Union européenne ?
Après le constat que nous venons de dresser, que penser de la situation actuelle ? Pourquoi un maintien de la Turquie en tant que candidate de l’Union européenne ? Pourquoi le Commission européenne a tendance à reprendre la formule suivante : « En général, la Turquie a accompli de remarquables avancées dans l’adoption des critères politiques de Copenhague (…) mais (la Turquie) ne respecte pas encore pleinement les critères politiques » ? La réponse est encore une fois complexe mais se résume dans les termes suivants : intérêts propres à chacun et rapports de force.

Voyons déjà l’intérêt de l’Union européenne… Officieusement, si les relations entre l’Union et la Turquie sont plus que froides, officiellement cette situation permet à l’entité supra-étatique de faire pression sur la Turquie. Relevons notamment l’exemple du conflit chypriote. Chypre est actuellement divisé en deux parties même si pour le droit international, Chypre reste un état uni. Cette division territoriale remonte à l’année 1974, date à partir de laquelle l’île voit son territoire se diviser en deux. On trouve d’une part, au sud, un espace hellénophone et orthodoxe, et au nord, turcophone et musulmane, la République turque de Chypre du nord qui n’est pas reconnue par le droit international. Toutefois, la Turquie reconnaît et soutient cette partie de l’île militairement. L’Union européenne accuse la Turquie de profiter des ressources gazières présentes au large du territoire chypriote. L’adhésion de Chypre à l’UE en 2004 n’arrange rien et agace la Turquie candidate depuis longtemps. Toutefois, dès le commencement des négociations, l’unification de Chypre est une des conditions sine qua non pour que la Turquie entre dans l’UE.

Les relations allant en se détériorant amène à ce qu’en 2019, l’UE menace la Turquie de ne pas lui verser 145,8 millions d’euros d’aide prévue dans le processus de pré-adhésion et propose à la Banque européenne d’investissement (BEI) de repenser plus strictement les conditions d’octroi des financements. Peu enclin à écouter les menaces économiques et politiques européennes, Ankara a donné l’ordre de s’infiltrer dans la zone économique exclusive (ZEE) de Chypre où se trouvent des gisements gaziers. Ensuite, l’arrêt des négociations aurait des répercussions importantes sur l’économie. La Turquie est une grande partenaire économique avec lequel les communautés européennes ont signé des accords douaniers et une baisse des taxes douanières.
En 2017, les exportations européennes vers la Turquie représentaient environ 85 milliards d’euros, on peut donc comprendre la crainte des européens de se passer de ce partenaire économique. La question migratoire est incontournable dans le contexte actuel. Sur le plan géographique, la Turquie est une voie d’accès privilégiée pour parvenir à l’entrée de l’Union Européenne. La Turquie le sait bien. Consciente de son rôle stratégique, elle n’hésite pas « faire chanter » l’Union comme le relève le conseil des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne !

Face à la grande crise migratoire survenue en 2016, l’UE conclut un accord avec la Turquie le 18 mars de cette même année. Ankara doit alors empêcher et retenir sur son territoire les migrants qui tentent d’accéder à l’Union européenne par les îles grecques comme le dispose la déclaration UE-Turquie (« Tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016 seront renvoyés en Turquie. (…)Les migrants ne demandant pas l’asile ou dont la demande d’asile a été jugée infondée ou irrecevable conformément à la directive susvisée seront renvoyés en Turquie. »). En échange de sa contribution dans l’arrêt des migrants à la frontière européenne, la Turquie reçoit une compensation et aide de six milliards d’euros.
À ce jour, 4,2 milliards ont été versés à l’état turc. Si l’accord est respecté pendant plusieurs années, la Turquie, qui connaît une défaite militaire en Syrie en février 2020 ainsi que de vives critiques de l’UE ne soutenant pas sa politique extérieure, décide d’interrompre l’accord et de laisser passer 3,6 millions de migrants dans l’UE. Suite à cette énième provocation, une réunion s’est tenue le 9 mars dernier en présence du président européen, de la présidente de la Commission et du président turc Erdogan n’aboutissant sans surprise à aucune entente.

Actuellement, du côté européen, les eurodéputés demandent la fin officielle des négociations, toutefois cette décision revient aux chefs d’état et de gouvernement.
Ne trouvant pas encore l’unanimité dans les votes, la situation reste la même, c’est-a-dire que la Turquie continue de garder son statut de candidate à l’UE.

Terminons sur l’intérêt turc à persister dans une telle situation…
À première vue, il peut sembler paradoxal que le président Erdogan, figure politique prônant l’ultra nationalisme, veuille faire parti de l’UE.
En réalité, cela ne l’est pas tellement. Il faut savoir que la poids politique d’un état au sein de l’Union dépend de sa démographie. Autrement dit, plus un peuple est important numériquement, plus l’état pèsera lourd dans la balance politique des instituions européennes. Or, aujourd’hui, les turcs ne représentent pas moins de 83 millions d’habitants. Si l’adhésion parvenait à se faire, Ankara disposerait d’une centaine de députés au sein du Parlement européen. Ce poids politique important serait l’équivalent de celui de la France, Allemagne ou encore Italie.
On comprend mieux ce qui intéresse Erdoğan … Cette raison bien que fondamentale n’est pas l’unique explication de l’attachement de la Turquie à son statut de candidat. D’un point de vue diplomatique, la Turquie n’est pas beaucoup représentée et ce serait pour elle un moyen d’intervenir davantage sur la scène internationale.

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