Le nom des opérations militaires : entre enjeux politiques et communicationnels

Le nom des opérations militaires : entre enjeux politiques et communicationnels

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Barkhane, Chammal, Barracuda… Nous connaissons tous les noms de grandes opérations militaires extérieures, répétés dans les manuels d’histoire, les ouvrages de géopolitique ou les médias. Cependant nous savons rarement d’où viennent ces noms. Par qui sont-ils choisis ? Selon quels critères ? Que signifient-ils de la politique étrangère du pays ? En quoi sont-ils parfois révélateurs de la perception que le pays porte sur lui-même et son action militaire à l’étranger ? 

Jusqu’à la Première Guerre mondiale comprise, les noms des opérations militaires relèvent généralement des lieux géographiques dans lesquels elles se déroulent : bataille de la Marne, offensive du Chemin des Dames, opération d’Arkhangelsk… C’est durant la phase finale de cette même guerre que les Allemands auraient initié le rituel du baptême de l’opération militaire dans une visée première de sécurisation. Ils emploient alors des noms issus du champ religieux, des figures mythologiques ou médiévales. La tradition a surtout été reprise par les Américains dès la Seconde Guerre mondiale, qui créent alors des noms associés à des couleurs, mais aussi par les Anglais et Japonais. Aujourd’hui, donner un nom à son opération militaire est devenu une étape incontournable qui facilite son identification et sa classification. 

Une procédure de choix du nom variable selon le pays et sa conception de la politique étrangère

En France, c’est le Centre de Planification et de la Conduite des Opérations qui est le berceau de la procédure de décision du nom. Il a pour rôle de proposer plusieurs noms, ensuite choisis par l’état-major s’il s’agit d’une petite opération ou par le ministre de la Défense voire le président de la République pour les plus grandes. Parmi les critères de sélection, on trouve la praticité d’utilisation, la neutralité géopolitique ou encore l’impossibilité de connotation négative. Afin de garantir ces critères, la tradition est de s’inspirer d’un élément du pays dans lequel l’action a lieu. Les noms choisis relèvent donc des champs lexicaux de la géographie, la faune, les vents, la botanique ou encore la mythologie du pays d’arrivée. Ainsi, l’opération Serval au Mali entre 2013 et 2014 tient son nom d’un félin, l’opération qui s’est déroulée en ex-Yougoslavie en 1990 a été nommé Salamandre, les Français ont aussi mené une opération Castor en Indochine en 1953 et une barkhane est une dune de sable en forme de croissant qui se déplace selon le vent. 

En Grande-Bretagne, le nom est généré au hasard par un ordinateur afin qu’il n’ait aucun rapport avec l’action sur le terrain. « Ainsi, vous ne pouvez pas deviner ce qui se passe ou ce qui est prévu » explique Tim Ripley, auteur britannique et expert des questions de défense, sur la BBC. La pratique et l’importance du choix du nom d’opération en Grande-Bretagne a réellement été initiée par Winston Churchill durant la Seconde Guerre mondiale. Le Premier ministre était fasciné par ce sujet et tenait à sélectionner personnellement les noms des grandes opérations. Il a même écrit des principes pour guider le processus de choix : ne pas prendre de noms trop présomptueux dans les opérations où beaucoup d’hommes perdent la vie, pas de noms de personnes politiques ou militaires vivantes, ils ne doivent rien révéler de l’opération. Il recommande des noms de héros de guerre anglais ou américains, de figures antiques et mythologiques, de constellations, étoiles… C’est un guide fondateur qui a aussi inspiré les Américains. 

En Belgique, le principe de neutralité est aussi de mise pour les quelques opérations extérieures effectuées par le pays, notamment dans ses anciennes colonies. Le choix se porte généralement sur un nom associé à une couleur : Blue Stream en 1991 au Zaïre, les opérations Dragon Rouge, Vert, Noir ou encore Blanc en 1964 au Congo, Silver Black en 1994 au Rwanda… 

Pour les opérations de l’OTAN, il y a souvent une notion d’unité : opération Joint Guard en Bosnie-Herzégovine en 1996 ou opération Unified Protector en 2011 durant la guerre civile libyenne. Nous pouvons aussi mentionner l’opération Allied Force en 1999 durant la guerre du Kosovo, intervention très rapide pour éviter le retour d’une situation rappelant la Guerre de Yougoslavie. L’idée d’unité portée par le nom, et donc d’un multilatéralisme occidental, est une dimension importante pour légitimer cette opération toujours très controversée : la Russie accuse l’OTAN d’avoir unilatéralement modifié les frontières de la Serbie et utilise cette opération pour légitimer son action en Crimée. Elle ne reconnaît donc pas le Kosovo et n’est pas la seule (Espagne, Chine…).

Aux États-Unis, la procédure de choix du nom est totalement différente. Les sous-officiers d’état-major des différentes composantes du département de la Défense sont chargés par les membres de l’état-major interarmées de trouver le nom. Certains sont choisis dans les listes de noms de code préétablies selon les mêmes principes que les Anglais. Cependant, pour les grandes opérations, les États-Unis s’inscrivent depuis la fin de la Guerre Froide de plus en plus dans une logique de communication. Le nom n’a donc plus la même visée que pendant la Seconde Guerre mondiale car il n’est plus tenu secret : on passe d’un objectif de sécurisation à un objectif de communication. Les Américains différencient désormais le nom de code, pour les missions classifiées et secrètes, et les surnoms, assignés aux affaires non classifiées, utilisés pour les besoins administratifs et publics. Les noms choisis semblent justifier l’opération, en indiquer l’objectif. Ils prennent acte du pouvoir du nom auprès de l’opinion publique et de l’importance de son soutien aux opérations militaires à l’étranger. Ainsi, le chargé des affaires publiques pour l’armée américaine, le général McClain, soutenait : « La perception d’une opération peut être aussi importante pour son succès que l’exécution de cette opération. ». De même, dans son article Relations publiques comme armes de guerre moderne, l’enseignant Ray Eldon Hierbert énonçait : « L’utilisation effective des mots et médias aujourd’hui est aussi importante que l’utilisation effective de balles et de bombes. À la fin, il ne suffit plus d’être seulement fort. Il est désormais nécessaire de communiquer. Pour gagner une guerre aujourd’hui, le gouvernement n’a plus seulement à gagner sur le champ de bataille, il doit aussi gagner les esprits de son public. » Ce tournant dans la procédure de baptême de l’opération mène parfois à des noms très explicites, comme « Juste Cause » pour l’invasion du Panama en 1989. C’est un pari risqué car si l’opération échoue, elle peut alimenter les critiques envers l’action du gouvernement. La France et la Grande-Bretagne préfèrent donc la neutralité face au tollé de certains noms d’opérations américaines. 

Les noms choisis pour ces opérations militaires sont donc parfois très paradoxaux et parfois presque poétiques et inspirants. C’est comme si elles avaient besoin d’un nom harmonieux pour rester dans les mémoires avant même l’attente de leur résultat. Dans tous les cas, les noms en révèlent souvent beaucoup sur l’image que veulent se donner les pays et organisations internationales, ainsi que sur leur conception de l’interventionnisme et de ce qui peut le justifier. Approfondir quelques exemples est l’occasion de revenir sur les grandes opérations qui ont marqué l’histoire récente et sur les politiques étrangères de plusieurs pays. Les opérations américaines prédomineront dans les exemples cités pour deux raisons : les États-Unis sont le pays qui a le plus mené d’opérations à l’extérieur de ses frontières et la visée communicationnelle prêtée au baptême de l’opération dans la tradition américaine conduit à des noms très explicites. 

Quelques exemples d’opérations aux noms qui se sont révélés explicites 

Cette opération porte peut-être le nom le plus explicite de tous les noms d’opérations américaines : « Ratkiller » (« tueur de rat »). Réalisée par les forces de la République de Corée et des militaires américains, entre décembre 1951 et février 1952, cette opération avait pour objectif d’éliminer les membres de la guérilla communiste dans certains espaces de la péninsule de Corée. À travers ce nom, l’idée annoncée est donc d’éliminer la vermine une bonne fois pour toute, d’assainir la Corée. C’est un nom qui s’inscrit pleinement dans le cadre de la Guerre Froide et des discours américains sur la nécessité d’intervenir à l’étranger pour refluer le communisme selon la théorie des dominos. Ce nom était moins choquant dans la société américaine de l’époque, à l’heure où commençait la « chasse aux sorcières » initiée par le gouvernement américain et en particulier par le sénateur Joseph McCarthy. Le tollé international provoqué par le nom de cette opération qui assimile explicitement les rats aux communistes a dissuadé les Français et les Anglais de prendre des noms trop explicites mais est loin d’avoir arrêté les Américains. 

L’opération « Eagle Claw » (« serre d’aigle ») en avril 1980 a été menée par les forces armées américaines pour secourir les 53 otages retenus par des étudiants dans l’ambassade des États-Unis à Téhéran après la révolution islamique iranienne. L’image des griffes de l’aigle reflète le contenu et l’objectif de l’opération avec l’idée d’attraper très rapidement les ressortissants américains pour les ramener dans le nid. L’image de l’aigle est évidemment associée à la liberté et à la puissance, qui serait incarnée par les États-Unis. C’est effectivement une opération éclair, elle dure 2 jours, mais pas du fait de sa réussite. L’opération reste aussi l’un des plus grands échecs de l’armée américaine : des problèmes météorologiques, techniques et de planification provoquèrent la mort de plusieurs militaires américains et conduisirent à la déroute et l’annulation de l’opération. Sur le long terme, elle a aussi porté préjudice aux forces spéciales américaines qui ont dû se réorganiser et a favorisé l’élection de Ronald Reagan succédant à Jimmy Carter. Finalement, les otages sont relâchés en janvier 1941 après 444 jours de captivité. 

L’opération « tempête du désert »desert storm ») du 17 janvier au 28 février 1991 a été menée par la coalition internationale sous commandement des États-Unis dans le but d’empêcher l’annexion du Koweït par l’Irak. Ce nom presque poétique s’accordait avec l’idée d’une opération rapide : il s’agit de faire retirer les troupes irakiennes du Koweït avant de partir aussi vite qu’on est arrivé, en ayant tout changé sur place, tel une tempête. Le nom reprend aussi les codes de représentation de cet espace : un endroit désertique, un champ de sable. Cela participe à déshumaniser la guerre : il n’y aura pas de victimes civiles car c’est un désert, il n’y a personne. Cette idée est accompagnée d’une mise en scène d’une guerre propre qui doit contraster avec la guerre du Vietnam. C’est la première guerre entièrement couverte par la chaîne d’information continue CNN mais les images rapportées par les journalistes sont toujours des images de nuit, au milieu du désert, ce qui participe à cette déshumanisation. En ce qui concerne l’idée de rapidité, c’est réussi : l’armée irakienne tombe en un mois. C’est un symbole très fort de réussite de la communauté internationale, dans un temps d’espérance pour le multilatéralisme avec l’idée que la fin de la Guerre Froide permettrait à l’ONU d’enfin fonctionner après des décennies de paralysie du fait de la confrontation entre les deux blocs. L’opération reste largement américaine, qui y envoie la plus grande proportion d’hommes et de matériels, mais il y a une volonté d’y donner une dimension mondiale. L’opération est donc d’une efficacité remarquable. Cependant le mandat de l’ONU était limité à l’évacuation du Koweït, à la suite de laquelle les forces internationales ont dû se retirer tandis qu’une partie des responsables américains voulaient aller jusqu’à la destitution d’Hussein. Ils garderont le souvenir amer d’une tempête qui n’a pas suffisamment fait champ rase à leur goût. 

Les Américains ont également mené une opération du nom de « Restore Hope » (« restaurer l’espoir ») en Somalie entre 1992 et 1993 pour soutenir les opérations de l’ONU dans un pays en proie à la guerre civile. Nous sommes dans un contexte de fort interventionnisme des États-Unis dans le monde, encouragé par le succès de la guerre du Golfe. Encore une fois, le nom choisi traduit littéralement l’objectif de la mission : il s’agit de restaurer une stabilité et un semblant d’ordre pour permettre l’arrivée de l’aide humanitaire destinée à lutter contre la famine causée par la guerre et la sécheresse. Cependant cette opération est restée un traumatisme pour les États-Unis, qui se sont vus dépassés par le rejet de leurs troupes et la violence dans le pays atteignant son paroxysme pendant la bataille de Mogadiscio. Cette bataille reste dans la mémoire des Américains car les images de leurs soldats mutilés ou torturés ont largement été diffusées. Elles alimentent un traumatisme qui s’est traduit sur la durée car ce n’est qu’en 2019 que les États-Unis ont rouvert leur ambassade à Mogadiscio. Cet échec les dissuade même d’intervenir en Afrique subsaharienne pendant de longues années. L’opération « Restore Hope » a finalement détruit l’espoir de pouvoir agir dans cette zone du monde. 

D’après son nom, il est facile de deviner que l’opération « Uphold Democracy » (« soutenir la démocratie ») a été menée par les États-Unis. En réalité, la Pologne et l’Argentine ont aussi participé à cette opération sous commandement américain et autorisée par les Nations Unies. L’objectif était de supprimer le régime militaire installé à Haïti par un coup d’État en 1991. L’opération qui se déroule entre septembre 1994 et mars 1995 est un succès, elle est courte et se fait sans résistance. Mais le nom est très explicite : les États-Unis se posent comme la nation ayant le rôle d’exporter et de préserver la démocratie dans le monde et en particulier dans son environnement proche, dans la tradition de la Destinée Manifeste. 

C’est dans cette même tradition que s’inscrit l’opération « Liberté immuable » (« Enduring freedom ») menée par les États-Unis en Afghanistan à partir du 7 octobre 2001 pour faire renverser le régime taliban en réponse aux attentats du 11 septembre. Elle suit de quelques jours le fameux discours de Bush devant le congrès dans lequel il annonce le lancement de la guerre contre la Terreur et l’orientation diplomatique des États-Unis pour les prochaines années. Le nom initial de cette opération était « Infinite justice » (« justice infinie »), mais il avait dû être abandonné face au tollé qu’il avait provoqué avant même le lancement de l’opération, car il semblait rimer avec vengeance. À travers ce nouveau nom, on comprend que les États-Unis ne se rendent pas en Afghanistan seulement en guise de représailles suite aux attentats, mais bien pour défendre la liberté. Ils se posent en sauveurs de la liberté, dans une lecture presque morale et missionnaire des événements. C’est donc une mission qui dépasse le cadre de la riposte. L’utilisation du mot « immuable » insiste sur cette continuité dans la rhétorique américaine depuis la création des États-Unis: la puissance ferait toujours la guerre au nom de la liberté. Avec ce nom, on a l’idée que ce n’est pas un groupe de terroristes qui va fragiliser cette liberté inébranlable, que les États-Unis ont toujours défendu la liberté et vont continuer même si l’ennemi a changé et est plus difficile à traquer. On rentre dans une guerre asymétrique pour défendre la liberté, marquant le début d’un long embourbement en Afghanistan. 

Le 23 mars 2003, les États-Unis font leur grand retour en Irak avec le lancement de l’opération « liberté irakienne »Iraqi Freedom ») aux commandes d’une coalition réunissant 49 pays, sans demander l’aval des Nations Unies du fait des divisions entre les membres permanents. Celle-ci vise à renverser Saddam Hussein et instituer une démocratie en Irak : après la tempête, il convient de reconstruire. Avec ce nom, les États-Unis restent dans cette rhétorique de liberté et d’expansion de la démocratie, qui légitime toutes leurs actions extérieures depuis l’indépendance. Le nom choisi semble refléter une action particulièrement philanthrope : il sous-tend l’idée qu’on est là pour la population locale, pour la libérer de la dictature, dans un élan de solidarité. En réalité, une partie des responsables américains n’ont pas supporté de quitter l’Irak en 1991 sans renverser Saddam Hussein. Le scandale d’Abu Ghraib pendant l’intervention, du nom de cette prison près de Bagdad dans laquelle des soldats américains se prenaient en photo en train de torturer des prisonniers irakiens, est aussi venu entacher cette idée de libération de la population : il semble que l’armée américaine libère les Irakiens d’un système de tortures pour en instituer un autre. Rapidement, l’opinion publique américaine se désunit de cette opération, choquée par ces images. En très peu de temps, l’opération aboutit à la chute et la capture de Saddam Hussein. Le nom de l’intervention précédente en Irak prend alors tout son sens : ces deux opérations très courtes sont de véritables tempêtes, laissant le pays dans un chaos total qui ne s’est pas résolu depuis. Malgré deux interventions menées par les États-Unis, l’Irak n’a toujours pas d’État stable, les violences continuent et des groupes terroristes profitent du désordre pour s’étendre. 

Les noms des opérations menées par Israël dans les territoires palestiniens échappant à son contrôle sont également intéressants à analyser. En 2006, l’opération « Pluie d’été » dans la bande de Gaza a pour objectif de sauver un soldat qui avait été enlevé par un commando palestinien afin de négocier sur le retour de milliers de prisonniers enfermés en Israël. Le nom de cette opération insinue une manœuvre courte et fertile, et les Israéliens promettent qu’il ne s’agit pas d’une colonisation et qu’ils repartiront de Gaza une fois l’opération terminée. En réalité, la pluie d’été se transforme plutôt en pluie d’obus, faisant plus de 200 morts et débutant un engrenage militaire. Israël choisit toujours un nom d’opération en rapport avec l’ancien testament, « Ils y puisent donc tout ce que le Ciel a pu faire pleuvoir sur les mécréants » indique Jean-Vincent Brisset, général de brigade aérienne et directeur de recherche à l’IRIS. Effectivement, l’opération avait surtout pour objectif de déstabiliser le Hamas, mouvement islamiste au pouvoir à Gaza, comme le souligne la destination du premier obus largué : le bureau du premier ministre palestinien. Le nom de la prochaine opération militaire israélienne à Gaza sera très différent et beaucoup moins évocateur : l’opération « Bordure Protectrice » en 2014. 

L’opération française « Sangaris » menée en Centrafrique entre 2013 et 2016 avec l’aval des Nations Unies tient son nom de ce petit papillon rouge d’Afrique centrale. Selon Jean-Vincent Brisset, ce nom a été choisi parce qu’« un papillon, ce n’est pas méchant, ça ne dure pas très longtemps, c’est considéré comme joli et politiquement correct ». En réalité, l’opération française en Centrafrique s’est révélée beaucoup plus difficile que prévu. Elle avait pour objectif d’empêcher les affrontements violents entre les deux factions ennemies en les désarmant (les Seleka, majoritairement musulmans et les anti-Balaka, majoritairement chrétiens), de protéger la population et d’éviter un éventuel génocide, mais elle n’a pas réussi à empêcher de nombreux massacres et a parfois été critiquée. Loin du caractère éphémère du papillon, elle s’est aussi éternisée alors qu’elle avait été conçue comme une opération rapide. Le président Hollande avait annoncé lui-même que l’opération dans l’ancienne colonie française « n’a pas vocation à durer ». Trois ans plus tard, les troupes françaises quittent un pays encore instable, détruit, lacunaire d’un point de vue de la sécurité, et toujours déstabilisé par des groupes armés. Malgré une procédure de choix du nom destinée à éviter toute connotation négative et malgré une vérification pour s’assurer que le Sangaris n’était pas un papillon vénémeux, la France n’est donc pas non plus à l’abri de noms qui se révèlent paradoxaux par rapport à la tournure de l’opération sur le terrain. 

En octobre 2019, l’armée turque a lancé l’opération « Source de Paix » sur sa frontière avec la Syrie pour combattre les forces démocratiques syriennes, donc les kurdes. Elle s’inscrit dans la lignée des opérations « Bouclier de l’Euphrate » en 2016-2017 et « Rameau d’Olivier » en 2018. Les deux dernières opérations de cette trilogie ont profité du retrait des Américains de la zone, qui soutenaient les Kurdes, pour voir le jour. Erdogan aime donc les références à la nature pour nommer ses opérations militaires. La Turquie héberge les sources des grands fleuves de la région, le Tigre et l’Euphrate, qui traversent la frontière pour couler en Syrie notamment. C’est comme si, de façon naturelle, la paix pouvait aussi prendre le chemin de ces fleuves pour abreuver les pays situés en aval. Ainsi l’armée turque suit les méandres qui l’amènent à traverser la frontière. Un peu comme les opérations américaines, le nom porte ici l’idée que la Turquie serait la seule puissance capable de rétablir la paix dans la région. Les photographies de bombardements qui en découlent semblent paradoxales avec cette image de paix portée par le nom de l’opération. 

Sources :

– Chanda Tirthankar, « Tout sur les OPEX: Dictionnaire des opérations françaises à l’étranger », rfi Afrique, 04/11/2018

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20181103-opex-dictionnaire-interventions-francaises-territoire-exterieur-afrique-chapleau

– Frémont Anne-Laure, « Comment sont choisis les noms des opérations militaires », Le Figaro international, 05/12/2013

https://www.lefigaro.fr/international/2013/12/05/01003-20131205ARTFIG00662-comment-sont-choisis-les-noms-des-operations-militaires.php

– Sieminski Gregory, « The art of naming operations », Parameters, automne 1995, p81-98

https://www.globalsecurity.org/military/library/report/1995/sieminsk.htm

– « 1er-26 juillet 2006 – Israël – Autorité palestinienne. Intensification de l’opération Pluie d’été dans la bande de Gaza », Encyclopædia Universalis

http://www.universalis.fr/evenement/1er-26-juillet-2006-israel-autorite-palestinienne-intensification-de-l-operation-pluie-d-ete-dans-la-bande-de-gaza/

– Rheault Mathieu, « Opération Eagle Claw: l’échec américain », Perspective Monde, 22/03/2010

https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=1189

– « Centrafrique. Quel bilan pour l’opération Sangaris ? », Ouest France, 30/10/2016

https://www.ouest-france.fr/monde/centrafrique/centrafrique-quel-bilan-pour-l-operation-francaise-sangaris-4587088

Emma Josso

Ancienne élève de la Sorbonne, j'étudie désormais les relations internationales à Sciences Po Strasbourg. Je suis intéressée par la politique étrangère américaine mais aussi par la géopolitique des pays en développement, particulièrement en Amérique latine et en Asie.

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