Le 21 février, la Russie reconnaissait officiellement les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. Le président Vladimir Poutine apportait alors son soutien militaire à ces deux régions séparatistes de l’Est de l’Ukraine issues du conflit russo-ukrainien de 2014. Trois jours plus tard, la Russie bombardait les principales villes d’Ukraine telles que Kiev, Marioupol et Kharkiv et les troupes russes pénétraient les frontières ukrainiennes par l’Est, le Nord et le Sud. Aujourd’hui, la guerre fait rage sur le territoire ukrainien, causant des dommages inédits. La Russie, quant à elle, fait face à des sanctions économiques inégalées jusqu’alors et le FMI prédit une récession future du pays. Malgré cela, les hydrocarbures russes continuent d’être livrés en Europe, finançant la campagne militaire de Poutine. D’autre part, les pays européens font face à une inflation à son plus haut niveau historique, atteignant désormais les 5,8% en un an. Comment une telle situation a-t-elle pu arriver ? Et en quoi cette dépendance économique influe-t-elle sur la politique étrangère européenne ? C’est ce que nous verrons dans la suite de cet article.
Situation de la Guerre en Ukraine le 12 mars 2022 au soir par le Figaro [30].
Point sur la situation
Depuis décembre 2021, la Russie attroupe des forces autour des frontières de l’Ukraine. Sous prétexte d’exercices militaires dans un premier temps, la situation perdurera jusqu’en février alors que 150 000 soldats russes étaient désormais mobilisés aux frontières des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, mais aussi en Crimée et en Biélorussie. Faisant peser un risque d’incident entre les forces des deux pays à la suite d’une potentielle erreur, le consensus était que la Russie agissait ainsi pour mettre une pression. En effet, le président russe demandait depuis des années et avait réitérer en décembre dernier une proposition aux Etats-Unis et à l’OTAN de non élargissement de l’OTAN et de déploiement limité des troupes de l’OTAN dans les pays de l’ex-URSS. Les réponses négatives de l’Occident à ces propositions et les demandes répétées du président ukrainien Volodymyr Zelensky de rejoindre l’Alliance nord-atlantique et l’Union Européenne étaient autant de points de désaccord que la Russie cherchait à résoudre à son avantage en mettant une telle pression militaire.
Le 21 février, le Kremlin reconnaissait les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, régions russophones, de facto indépendantes de l’Ukraine depuis le conflit russo-ukrainien de 2014. Le 24 février, la guerre était déclarée et plongeait l’Europe dans un conflit inégalé en intensité depuis les guerres de Yougoslavie des années 90. Actuellement, le bilan du conflit s’élèverait à plusieurs milliers de morts. Mais le nombre exact de victime est impossible à préciser pour le moment. On sait par contre que 2,5 millions de civils ont déjà fui le pays vers l’Ouest, principalement vers la Pologne.
Si l’Ukraine ne fait partie d’aucun traité de coopération militaire ou économique international, l’Occident condamne fermement la Russie pour cette violation de souveraineté. Les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Royaume-Uni, le Canada et la Norvège ont ainsi livré depuis le début de la crise plusieurs tonnes d’équipement militaire. Une importante aide humanitaire a aussi été fournie par ces derniers ainsi que par la Turquie et Israël. Du côté des sanctions, des mesures d’arrêt des échanges commerciaux ont été déclarées à l’encontre des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk dès le 23 février. Des sanctions individuelles à l’encontre du président Poutine mais aussi d’oligarques russes ont ensuite été prises. Des secteurs d’activités entier de l’économie russe étant aussi boycottés tels que les médias, les technologies et les semi-conducteurs. De façon inédite, sept grandes banques russes et trois biélorusses ont été exclues du système de paiement interbancaire SWIFT, mettant un énorme frein au commerce international russe. La mesure la plus critique pour l’économie russe restant le gel des avoirs de la Banque Centrale de Russie en dollars. Enfin le 8 mars, les Etats-Unis ont décrété un embargo à l’encontre du pétrole russe.
Zones d’exploitation du gaz naturel et du pétrole en Russie.
Relations commerciales UE-Russie
Si les sanctions économiques infligées à la Russie portent un violent coup au régime de Poutine, l’Europe subit elle aussi un contre-coup important. La Russie est un pays considéré par les analystes comme économiquement émergent. En effet, elle ne représente que 1,4% des échanges commerciaux internationaux. Néanmoins, son poids en termes de matières premières est non négligeable. La Russie représente 18% de la production mondiale de gaz naturel et 12,4% de la production de pétrole brut. Elle se classe ainsi comme le second pays exportateur de ces deux hydrocarbures. Au niveau européen, la Russie représente jusqu’à 40% du gaz consommé en Union Européenne et 26% de son pétrole. Elle est aussi le premier producteur de nickel avec 19% de la production mondiale, mais aussi de palladium avec 40% de la production mondiale. Ce dernier matériau entrant dans la composition des semi-conducteurs et de l’ensemble des appareils électroniques est ainsi d’une importance vitale dans un monde toujours plus digitalisé. Enfin, la Russie, c’est 20% des exportations mondiales de blé, l’Ukraine elle en représente 12%. D’un point de vue alimentaire, l’impact de ce conflit sera donc majeur.
Ainsi, la question de l’indépendance énergétique de l’Union Européenne, mais aussi en matières premières du monde dans sa globalité se pose. Les conséquences peuvent être critiques pour certains pays tels que les pays d’Afrique du Nord. En 2020, les importations de blé russe et ukrainien de l’Egypte s’élevaient à 85%. Pour le Maroc, c’est 36%. Cette région fait face à une importante sécheresse depuis ces dernières années, du fait de l’accélération du réchauffement climatique. Les engrais employés pour la culture du blé étant eux-mêmes composés de gaz naturel et de pétrole. La montée des prix de ces deux énergies fossiles de 142% pour le gaz et de 74$ à 130,5$ le baril de brut de WTI depuis le début de l’année (au 7 mars) a ainsi un effet démultiplicateur sur le blé, qui a atteint les +178% le 8 mars. De plus, tout cela aura aussi un effet sur l’inflation de ces pays émergents. Ces derniers étant particulièrement impactés par la composante alimentaire.
Évolution du cours du pétrole brut WTI depuis un mois par Investing [31].
Conséquences des sanctions sur l’Union Européenne
Lorsque l’Union Européenne applique des sanctions à la Russie, le contrecoup est donc immédiat. La perte d’un partenaire commercial aussi important oblige les pays européens à se reporter sur d’autres acteurs des énergies et des matières premières que peuvent être la Norvège, les Etats-Unis ou l’Amérique latine pour les énergies fossiles, mais aussi l’Iran depuis quelques semaines. En effet, si l’Iran est sous le feu des sanctions depuis l’arrivée au pouvoir des mollahs en 1979, les Etats-Unis cherchent actuellement à accélérer le processus de négociation autour du nucléaire iranien pour pouvoir voir arriver sur le marché l’Iran comme nouveau pays exportateur d’hydrocarbures. Cette crise est donc aussi un tournant dans les relations internationales de l’UE et de l’Occident dans sa globalité d’un point de vue géostratégique.
Le coût pour l’Europe sera donc toujours plus d’inflation, cette dernière étant passée de 5,1% à 5,8% en un mois seulement, un niveau normal d’inflation étant de moins de 2%. Les solutions à ce phénomène galopant peuvent être une prise d’indépendance énergétiquement, mais cela prendra du temps, ou un resserrement monétaire de la part de la Banque Centrale Européenne, ce qui diminue d’autant plus la croissance du PIB de la zone que ne le fait la guerre.
Gazoducs et pipelines permettant l’approvisionnement européen en hydrocarbures
Un tournant dans la politique européenne
Ainsi, si la pandémie a mis en lumière la dépendance de l’Union Européenne dans l’approvisionnement de nombreux biens de première nécessité, cette crise en Ukraine aura mis en avant notre dépendance énergétique envers un pays, qui plus est aux intérêts divergents des nôtres. Sortir de cette situation aberrante fait partie des projets d’évolution de l’UE des prochaines années. Une Europe indépendante énergétiquement, aux approvisionnement diversifiés, tournée vers le gaz naturel et les énergies renouvelables sont autant de caps que la Commission tiendra durant les prochains mois. Trois points de PIB supplémentaires d’investissement dans les énergies vertes sont attendus durant les dix prochaines années. Mais aussi, une Europe de la défense. Si ce conflit a ravivé la crainte de conflits de haute intensité, cela a aussi démontré notre dépendance envers le géant américain. Une Europe unie et prête à se défendre militairement en cas d’attaque sera probablement l’un des objectifs des politiques avenirs.
Sources :
https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-ukraine-crisis/
https://www.wto.org/english/news_e/pres17_e/pr791_e.htm
https://www.senat.fr/rap/r05-007/r05-0072.html
https://www.wto.org/english/news_e/pres17_e/pr791_e.htm
https://fr.investing.com/commodities/natural-gas-historical-data
https://fr.investing.com/commodities/crude-oil-historical-data
https://fr.investing.com/commodities/us-wheat-historical-data
http://www.teheran.ir/spip.php?article124#gsc.tab=0
https://fr.investing.com/commodities/crude-oil
de Fournas, M. (2022, 24 janvier). Conflit en Ukraine : Pourquoi « l’incident à la frontière » pourrait déclencher une guerre avec la Russie. 20 Minutes. https://www.20minutes.fr/monde/3219735-20220119-conflit-ukraine-pourquoi-incident-frontiere-pourrait-declencher-guerre-russie
Delmas, J. (2021, 21 décembre). Conflit en Ukraine : Vladimir Poutine promet une réponse « militaire et technique » en cas de menaces occidentales. 20 Minutes. https://www.20minutes.fr/monde/3202907-20211221-conflit-ukraine-vladimir-poutine-promet-reponse-militaire-technique-cas-menaces-occidentales
20 Minutes & Agence Français de la Presse. (2022, 11 mars). Nucléaire iranien : Les Etats-Unis exhortent l’Iran et la Russie à prendre des « décisions » pour trouver rapidement un accord. 20 Minutes. https://www.20minutes.fr/monde/3251167-20220311-nucleaire-iranien-etats-unis-exhortent-iran-russie-prendre-decisions-trouver-rapidement-accord