La crise économique, sociale et politique au Liban

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Il y a un an, deux explosions survenaient dans le port de Beyrouth, détruisant près de la moitié de la capitale et causant 214 morts, 6500 blessés et 8,1 milliards de dollars de dommages à court terme [1,2,3]. Mais ce n’était là que l’une des nombreuses catastrophes d’une déferlante qui dure désormais depuis 2018 et qui atteint aujourd’hui son paroxysme. Selon la Banque mondiale, le Liban est plongé dans « l’une des pires crises économiques et sociales » depuis la Longue Dépression de la fin du XIXe siècle [4]. En septembre dernier, Emmanuel Macron accueillait le premier ministre Nagib Mikati à l’Elysée pour discuter du plan de réforme décidé par le nouveau gouvernement libanais [5]. Mais avant d’aborder les solutions proposées, explorons plus en détail les causes de l’effondrement de cet Etat, qui jadis, était appelé la Suisse du Moyen Orient.

Un Etat défaillant

Situé au Proche Orient, entre la Syrie, Israël au Sud et Chypre par-delà la Mer méditerranée, le Liban est un Etat démocratique à régime parlementaire. Son système politique repose sur le confessionnalisme [6]. Depuis la déclaration de son indépendance de la France en 1943, le pays est dirigé par un président de la République de confession chrétienne maronite, un premier ministre musulman sunnite, un président de la Chambre des Députés musulman chiite et un vice-premier ministre et un vice-président de la Chambre des Députés chrétiens grecs orthodoxes. Progressivement, la division du pouvoir entre les différents groupes confessionnels instaurée par le Pacte national libanais s’est généralisée au Conseil des Ministres et à la Chambre des Députés eux-mêmes.

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Ce régime confessionnaliste, introduit pour la première fois dans la Constitution libanaise en 1926, alors sous mandat français de la Société des Nations, était censé être la solution pour maintenir la cohésion au sein d’un pays où pas moins de 18 communautés religieuses reconnues par l’Etat se côtoient. Mais cela n’aura pas empêché le déclenchement d’une guerre civile qui fît rage de 1975 à 1990. En parallèle, le clientélisme n’a cessé de se développer [7]. C’est-à-dire que les membres influents de chaque communauté assoient leur pouvoir sur des avantages financiers et sociaux distribués à leurs « clients ». Ce sont bien souvent ces mêmes chefs communautaires que l’on retrouve ensuite à la tête de l’Etat, distribuant alors des postes de l’administration et même des services de première nécessité tel que l’accès aux soins ou à l’eau potable contre des votes [8]. Une classe politique puissante s’est donc au fur et à mesure constituée, et ce sont bien souvent les mêmes familles que l’on voit se maintenir au pouvoir de générations en générations. Une classe politique qui n’hésite pas à se servir de l’Etat pour son enrichissement personnel, comme le montre bien la promulgation d’un décret en 1992 par le premier ministre d’alors, Rafic Hariri, offrant le monopole de la reconstruction de Beyrouth à une unique société : Solidere [9,10]. Une société dont les actionnaires majoritaires sont justement la famille Hariri.

Le Liban est donc un pays dirigé par une classe politique corrompue et détournant les capitaux et services de l’Etat pour ses intérêts personnels. De plus, la formation progressive de milices propres à chaque communauté vient ajouter une instabilité d’ordre sécuritaire, aussi bien au niveau national, qu’international, avec les interventions extérieures du Hezbollah. Le confessionnalisme, plus que de régler les problèmes internes, a induit un certain immobilisme des politiques, surtout depuis l’Accord de Taëf de 1989, dans le but de préserver le statu quo.

Une économie dépendante

La crise à laquelle fait face le Liban depuis 2018 est principalement due à une défaillance institutionnelle. Mais il existe bien évidemment des causes économiques et financières qui, si elles ne découlent pas initialement de ce premier problème, sont maintenues par la direction prise par les politiques publiques depuis plusieurs décennies. En termes de structure économique, en 2017, le secteur tertiaire (des services) représentait 80% du PIB libanais [11]. Les productions industrielles et agricoles sont donc extrêmement faibles et nécessitent de conséquentes importations. 90% des biens consommables viennent de l’étranger, alors que la Plaine de Bekaa, dans le centre du Liban, aurait un fort potentiel agricole [12]. Ceci occasionne une balance commerciale négative, c’est-à-dire que les importations sont supérieures aux exportations, et qu’il existe donc un déficit sur ce point-ci.

Après la guerre civile, il fallait reconstruire les zones détruites par les conflits. L’Etat a alors fait face à son besoin en capitaux en émettant des bons du trésor aux coupons relativement élevés, de 40%, et ce dans l’objectif d’attirer de nombreux investisseurs étrangers. Ainsi, la dette du pays est passée de 43% de son PIB en 1995, à 120% en 2008 [9,13]. Ce système de financement a perduré jusqu’à cette date, avec le Troisième choc pétrolier, les monarchies du Golfe ont alors fortement diminué leurs investissements.

De plus, une composante importante de la richesse du pays vient de ses expatriés. Si le pays compte 5 millions d’habitants, la diaspora représenterait 14 millions de personnes, soit presque trois fois plus [14]. Leur apport à l’économie libanaise s’élèverait à 25% du PIB. La crise du Covid-19 a aussi touché ces derniers, et engendré une diminution de la rente qu’ils apportaient.

Ainsi, le 9 mars 2020, la dette du Liban a culminé à 170% de son PIB, et cette dernière a été contrainte de se mettre en défaut de paiement. L’inflation atteignait alors 150,4% et l’ONU estime que 78% de la population totale vit sous le seuil de pauvreté [15]. Les explosions du port de Beyrouth le 4 août 2020, par lequel transitait 80% des denrées alimentaires et 60% des importations aura été un coup de massue pour un pays déjà en difficulté [17,18].

La diplomatie comme vecteur de solution

A la suite des explosions de Beyrouth, la communauté internationale s’est globalement sentie solidaire du Pays du Cèdre et des aides d’ordre médical ont rapidement affluées [19]. Très vite, ce sont aussi des aides financières qui ont convergé vers le Liban. A l’initiative de la France, c’est un total de 298 millions de dollars qui a été envoyé par la communauté internationale [20]. Le 2 décembre, l’ONU, la Banque mondiale et l’Union européenne ont aussi décidé d’un plan de réforme, relèvement et restructuration sur 18 mois dont 400 millions la première année. Car plus que des aides à court terme, ce sont de profondes réformes dont a besoin le Liban. Surtout que les banques libanaises plafonnent les retraits réalisables par les ONG, par soucis de liquidité bancaire et que la valeur de la livre libanaise fluctue grandement selon les contreparties : 1 dollar contre 1507 officiellement, 1 contre 3900 pour le taux bancaire et 1 contre 9000 sur le marché noir.

Après 13 mois de vide politique, le 10 septembre dernier, Najib Mikati a pris ses fonctions de premier ministre et a formé un nouveau gouvernement. Emmanuel Macron comme le FMI promettent désormais de nouvelles aides. Mais celles-ci sont conditionnées par la prise de mesures concrètes. L’avenir nous dira ce qu’il en sera [21].

Sources:

1 : https://www.la-croix.com/Monde/Liban-lenquete-lexplosion-port-Beyrouth-nouveau-suspendue-2021-09-28-1201177756

2 : https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/liban/explosions-a-beyrouth/

3 : https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/beyrouth-le-cout-total-de-la-catastrophe-estime-entre-67-et-81-milliards-de-dollars-1238056

4 : https://www.franceculture.fr/emissions/le-reportage-de-la-redaction/le-liban-bascule-dans-la-crise-humanitaire

5 : https://information.tv5monde.com/info/france-liban-l-engagement-du-president-macron-dans-la-crise-libanaise-t-il-porte-ses-fruits

6 : https://www.youtube.com/watch?v=OvH12P3Paz4

7 : https://www.lecommercedulevant.com/article/30205-bassel-salloukh-le-clientelisme-sest-adapte-a-la-situation-economique-au-liban-

8 : https://www.youtube.com/watch?v=gWEClKAkE40

9 : https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2009-3-page-89.htm

10 : https://journals.openedition.org/gc/1177?lang=en

11 : https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/lebanon/

12 : https://www.pourleco.com/monde/comment-le-liban-en-est-arrive-au-chaos

13 : https://datatopics.worldbank.org/world-development-indicators/

14 : https://gulfnews.com/world/mena/lebanon-contemplates-a-new-citizenship-law-1.1621325

15 : https://www.franceculture.fr/emissions/journal-de-8-h/journal-de-8h-du-jeudi-01-juillet-2021

16 : https://www.lefigaro.fr/conjoncture/le-port-de-beyrouth-devaste-le-liban-perd-une-source-d-alimentation-essentielle-20200805

17 : https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-08-05/lebanon-has-enough-wheat-stocks-for-1-5-months-al-akhbar-says

18 : https://www.aljazeera.com/news/2020/8/4/dozens-killed-as-huge-explosion-rips-through-lebanons-beirut

19 : https://www.rtl.fr/actu/international/explosions-a-beyrouth-l-aide-internationale-commence-a-arriver-au-liban-7800709289

20 : https://www.challenges.fr/economie/six-mois-apres-l-explosion-de-beyrouth-ou-en-est-l-aide-internationale_749507

21 : https://fr.sputniknews.com/20210917/le-fmi-aide-le-liban-mais-ce-sera-donnant-donnant-1046146333.html

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