Le bouclier antimissile : fonctionnement, déploiement et tensions autour d’un système de défense dominé par les États-Unis

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Les photographies de l’interception par le bouclier antimissile israélien des roquettes lancées depuis Gaza sont impressionnantes. Après une semaine d’affrontements et 3000 roquettes tirées, selon les autorités israéliennes, le système de défense s’est révélé efficace. La grande majorité des roquettes sont interceptées en vol formant un nuage d’explosions dans le ciel israélien. 

Les systèmes de protection anti-missiles se sont imposés depuis le début du XXIe siècle sous l’effet de la politique défensive américaine. Comment fonctionne un bouclier anti-missile ? Comment cette technologie défensive est-elle répandue sur la surface de la planète ? Quels enjeux et tensions sont-ils induits par l’expansion de cette méthode défensive ? 

Le fonctionnement d’un bouclier antimissile à travers l’exemple israélien 

Le nom du système de défense antimissile israélien, « Dôme de fer », est très imagé. Il ouvre l’idée d’un bouclier enveloppant le territoire tout en le sanctuarisant. En réalité, la protection offerte par un bouclier antimissile n’est pas infaillible. 

Loin de l’image d’un dôme protecteur posé sur le territoire, le bouclier antimissile est un système de défense mobile. En réalité, le système repose sur l’interception des missiles à partir de plusieurs bases qui les détectent et calculent d’abord leur trajectoire. Si le point d’impact supposé du projectile est une zone habitée ou d’intérêt, un missile à tête chercheuse est envoyé afin de l’intercepter. Une fois proche de sa cible, son ogive explose et envoie des fragments de métal qui percutent l’ogive du missile ennemi et le font exploser. Le radar, l’ordinateur de gestion de combat et d’armement ainsi que l’intercepteur sont mobiles, ils peuvent être placés sur des véhicules motorisés, sur des bâtiments navals ou encore sur des satellites. 

Le bouclier israélien, en fonction depuis 2011, est capable d’abattre des roquettes ou obus d’artillerie de courte et moyenne portée, de 70 kilomètres maximum, et ce, quelle que soit la météo. Plusieurs bases réparties autour de la bande de Gaza sur le territoire israélien composent ce dispositif. Appelées batteries, ce sont elles qui détectent et suivent une roquette grâce à leur radar et qui envoient des missiles d’interception. Leur radar peut détecter un projectile envoyé depuis un territoire situé à plus de 100 km et suivre 200 projectiles par minute. Chaque batterie comporte trois lanceurs de 10 missiles défensifs chacun. Du leur nom Tamir, signifiant « grand » en Hébreu, ces missiles d’interception sont rendus très maniables grâce à leurs capteurs électros-optiques et leurs huit ailerons de direction. En mars 2021, Israël a dévoilé la nouvelle version de son dôme, désormais capable d’intercepter des roquettes, des missiles et des drones simultanément. Le pays a aussi présenté son nouveau lanceur « Iron sting » conçu pour mener des frappes sur des cibles très précises afin de pouvoir minimiser les dommages collatéraux en zones urbaines, selon le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz. 

Pourquoi le Hamas continue d’envoyer des roquettes si elles se font arrêter par le « Dôme de fer » ? Plusieurs réponses peuvent être apportées. Déjà, le parapluie israélien n’est pas efficace à 100 % mais plutôt à 90 %, donc envoyer une pluie de roquettes laissera forcément tomber quelques gouttes sur le territoire israélien. Le Hamas peut ainsi espérer atteindre quelques cibles. De plus, chaque tir de batterie pour intercepter une roquette coûterait 40 000€ environ. C’est donc un moyen d’user financièrement l’adversaire. Mais surtout, l’envoi de roquettes en nombre permet au Hamas de démontrer sa capacité d’action et de relancer la lutte. 

Une technologie largement répandue dans le monde sous l’action américaine 

Le bouclier israélien « Dôme de fer » a été mis en place à l’aide de son allié américain. En effet, ce sont les États-Unis qui ont développé et installé cette technologie un peu partout dans le monde dans l’idée de protéger leur territoire et leurs alliés. Cette stratégie a été mise en place dès le début des années 2000, face à la crainte d’éventuelles offensives de pays possesseurs de missiles et perçus comme hostiles aux États-Unis, comme la Corée du Nord ou l’Iran. La menace posée par les groupes terroristes comme Al-Qaïda, dans un contexte post-11 septembre, a aussi largement motivé cette politique militaire. C’est ainsi qu’est né le programme de défense antimissile des États-Unis, en fonction depuis 2004. 

Au sein de ce programme, le système de défense antimissile américain, appelé le SBIRS, est issu de l’héritage de « l’Initiative de défense stratégique » (IDS) mise en place par le président Reagan dès mars 1983. Ce premier bouclier antimissile avait été développé dans un contexte très différent de course à l’armement avec l’URSS, mais poursuivait le même objectif : détecter et détruire tout missile balistique envoyé vers le territoire américain. Le SBIRS (Space-Based Infrared System) a été déployé à partir de la fin des années 2000 et est composé de plusieurs satellites d’alerte capables de détecter l’envoi d’un missile depuis n’importe quel endroit de la planète. 

Une fois son territoire protégé, les États-Unis ont pour ambition d’étendre le système à leurs alliés, notamment aux membres de l’OTAN. Dès 2002, ils engagent la discussion au sein de l’Alliance. Cette dernière se divise sur la question. La France ne veut pas que le système mette à mal sa stratégie de dissuasion nucléaire et redoute le placement de la sécurité des Européens sous le contrôle des États-Unis. Ce n’est qu’en 2016, à la suite du Sommet de Varsovie, que les 28 États membres de l’alliance se mettent d’accord pour rendre opérationnel le système déjà déployé dans plusieurs pays. Il est composé entre autres de radars en Turquie et en République tchèque, d’un site intercepteur en Roumanie, de 10 intercepteurs en Pologne ou encore de navires américains basés dans les eaux territoriales espagnoles. Tous sont placés sous contrôle de l’OTAN et ont été financés par les États-Unis à hauteur de centaines de millions de dollars. Selon l’Alliance, le système est destiné à se défendre face aux menaces posées par l’Iran et la Corée du Nord en particulier. 

Les tensions diplomatiques autour de l’installation de boucliers anti-missiles 

Cette politique américaine de mise sous carapace protectrice de ses alliés dans le monde n’a pas été très bien acceptée par certains pays, comme la Russie. Se sentant encerclée par ces systèmes de défense, elle accuse les États-Unis de relancer une course à l’armement et de militariser l’espace. La décision des États-Unis de se retirer du traité ABM (Anti-Balistic Missile) signé en 1972 avec l’URSS afin de restreindre la recherche et le déploiement des armes antimissiles, malgré l’opposition des Européens, a aussi alimenté ces craintes. La Russie prend le déploiement du système en Europe comme une agression à son égard. En 2017, le chef adjoint de l’état-major russe, le général Viktor Poznikhir avait déjà énoncé ses craintes quant à ce qu’il percevait alors comme une action offensive : « La présence de bases américaines de défense antimissile en Europe, de navires équipés de systèmes antimissiles […] autour de la Russie crée tout un système dissimulé rendant possible une attaque surprise avec des missiles nucléaires contre la Fédération de Russie. ». Ainsi, en 2019, l’État-major russe a présenté officiellement son propre bouclier spatial antimissile, appelé « Koupol », signifiant Dôme. Le système est notamment composé de 3 satellites d’alerte mis en orbite entre 2015 et 2019 afin de détecter et de suivre les missiles balistiques. Cette annonce a été faite peu de temps après le vote du Congrès américain allouant le budget pour la création de la « force de l’Espace » voulue par le président Trump. 

En 2017, les États-Unis commencent aussi à déployer un bouclier anti-missile en Corée du Sud, appelé THAAD, en réponse aux essais de missiles balistiques effectués par la Corée du Nord. Le système est destiné à protéger la Corée du Sud, le Japon, mais aussi les bases militaires américaines en Asie. Cependant, son déploiement suscite très vite des controverses. D’abord de la part de la Corée du Sud, notamment après l’annonce de Trump de lui faire payer le déploiement et le fonctionnement du Thaad, à hauteur d’un milliard de dollars, alors que l’accord initial prévoyait qu’elle fournisse seulement le terrain et les infrastructures. Une partie de la population locale des villages où sont déployés les éléments du système s’y oppose aussi, de peur que leur lieu de vie ne devienne une cible privilégiée de la Corée du Nord en cas de conflit. Plusieurs manifestations ont donc été organisées, avec le slogan « Si tu es notre alliée, Amérique, reprends ton Thaad ! ». Le bouclier américain en Corée a aussi nourri la colère de la Chine, qui a peur qu’il ne soit utilisé pour détecter ses propres missiles en cas de crise. Elle y voit une menace contre sa force de dissuasion et accuse les États-Unis de perturber la stabilité sécuritaire régionale. Dans le même temps, elle développe à son tour progressivement son propre bouclier antimissile. 

Face au déploiement de boucliers antimissiles et à la menace posée par la prolifération des missiles, d’autres pays travaillent à l’élaboration de leur propre système de défense. C’est le cas de l’Inde ou encore de la Turquie, qui a commencé à mettre en place un projet national en ce sens. 

Sources

Service Infographie, AFP agence et Charles Lescurier, « Dôme de fer » : comment fonctionne le système antimissile », le Figaro, 14/05/2021 : https://www.lefigaro.fr/international/comment-fonctionne-le-systeme-antimissile-dome-de-fer-20210512

Rémy Decourt, « Le bouclier anti-missiles des États-Unis », Futura Sciences, 05/05/2004 : https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/astronautique-bouclier-anti-missiles-etats-unis-3631/

« La Russie dévoile « Dôme », son bouclier spatial anti-missile », AFP, 18/12/2019 : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/contre-la-force-de-l-espace-de-trump-moscou-devoile-dome-son-bouclier-spatial-anti-missile-835666.html

« Israël : le bouclier antimissile « Dôme de Fer » peut intercepter roquettes et drones en même temps », AFP, 16/03/2021 : https://www.i24news.tv/fr/actu/israel/1615913745-israel-le-bouclier-antimissile-dome-de-fer-peut-intercepter-roquettes-et-drones-en-meme-temps

Emmanuel Monier, « Le jour où l’Amérique s’est dotée du bouclier anti-missile », Science et vie, 25/10/2020 : https://www.science-et-vie.com/les-podcasts-de-science-et-vie/le-jour-ou-l-amerique-s-est-dotee-du-bouclier-anti-missile-59534

Nathalie Guibert, « La saga du bouclier antimissile de l’OTAN », Le Monde, 27/06/2016 : https://www.lemonde.fr/international/article/2016/07/01/la-saga-du-bouclier-antimissile-de-l-otan_4962147_3210.html

Harold Thibault, « Reprends ton Thaad ! » : en Corée du Sud, le déploiement controversé du bouclier antimissile américain », Le Monde, 27/04/2017 : https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/04/27/trump-renforce-sa-pression-sur-pyongyang_5118403_3216.html

Emma Josso

Ancienne élève de la Sorbonne, j'étudie désormais les relations internationales à Sciences Po Strasbourg. Je suis intéressée par la politique étrangère américaine mais aussi par la géopolitique des pays en développement, particulièrement en Amérique latine et en Asie.

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