2020-30 : un monde instable

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Dans une intervention à l’occasion du projet de loi de finances pour 2020, François Lecointre, Chef d’Etat-major des Armées a rappelé que, si la loi de programmation militaire (LPM) témoigne d’un « très important effort de la Nation », elle ne permet pas une « montée en puissance » apportant des réponses aux menaces qui existent aujourd’hui et existeront demain. Dès lors, deux questions se posent : Quelles sont les menaces ? Et quels besoins avons-nous ? 

Dans cet article, nous essaierons de répondre à la première d’entre elles.

Dans le monde, deux menaces viennent principalement porter atteinte à la sécurité de la France et plus largement de l’Europe. Elles peuvent être regroupées en deux grandes catégories : les menaces asymétriques et les conflits de haute intensité.

L’augmentation des conflits, une menace asymétrique

Depuis la chute du bloc soviétique, notre armée est bâtie pour répondre aux conflits. Néanmoins, ni le nombre actuel ni les perspectives d’avenir n’avaient été envisagées. Ainsi, la « situation de certains Etats africains » conduisent nos autorités militaires à penser qu’il faut une augmentation de nos capacités pour y répondre. Des opérations « d’urgence » à l’image de l’opération Serval en 2013 pourraient être nécessaires pour éviter la chute de certains Etats face aux terroristes, l’éventualité d’une prise de contrôle d’un territoire par des groupes terroristes posant des problèmes humanitaires sur place et sécuritaires, tant dans la région qu’en Europe. L’histoire récente avec l’expansion de Daesh entre 2014 et 2016 démontre qu’il est nécessaire d’empêcher un contrôle territorial pour limiter les capacités des terroristes et prévenir des exactions intolérables.

La lutte contre les groupes terroristes est dite asymétrique en raison de la différence de capacités entre nos armées occidentales et ces groupes. À titre d’exemple, la suprématie aérienne est assurée sans combat et permet un appui précieux pour les troupes au sol. Cependant, les nouvelles technologies nivellent cette différence, les drones « civils » pouvant devenir avec un peu d’ingéniosité des armes de guerre redoutables. De la même façon, le cyberespace dispose d’un rapport coût/effet jouant en la faveur de ces acteurs infra étatiques.

Cependant, l’emploi de ces technologies n’est pas l’apanage des groupes terroristes. Des Etats « émergents » peuvent également y avoir recours.

La résurgence des Empires, une menace de haute-intensité

À l’heure actuelle, d’anciennes grandes puissances ont un comportement de plus en plus belliqueux.

Le chantage iranien à l’arme nucléaire est, avec le discours du président Erdogan, l’incarnation de ce phénomène. Ces Etats, bien que n’étant pas au niveau de développement de l’Europe, disposent de moyens « étatiques ». Ainsi, si les tensions venaient à basculer en conflit ouvert, cela entraînerait des affrontements de haute-intensité. Par ce terme, il faut entendre des combats engageant des dizaines si ce n’est des centaines de milliers d’hommes ainsi que des combats maritimes et aériens pour assurer la domination dans ces milieux. En somme, les moyens à engager pour assurer le succès des armes de la France seraient considérables tant en termes humain qu’économique.

Pour (re)préparer nos armées à ce type d’affrontement, le président Macron a nommé à la tête de nos armes des officiers généraux reconnus comme combattants et héros de guerre. Les prises de parole du Chef d’Etat-major des Armées démontre que la France s’y prépare. Cette volonté et cette préparation agissent comme une dissuasion vis-à-vis de tout acte belliqueux. En ce sens, la réponse française aux provocation turques fut salutaire, non seulement sur le plan national, mais aussi sur le plan européen. La France, par sa réponse immédiate et son soutien à la Grèce, a démontré que nous sommes aptes à protéger ce continent. C’est un changement important par rapport à notre mutisme lors de la crise dans le Dombass.

Deux derniers points méritent ici d’être évoqués. D’abord, le développement des missiles balistiques intercontinentaux doit être surveillé. En raison de leur vitesse et de leur portée, ces missiles font que « le sol français ne sera plus demain intouchable »[1], mais l’est-il encore aujourd’hui ?

Ensuite, la Chine enfermée dans « le piège de Thucydide ». Professeur d’Harvard, G. Allison estime que la volonté de croître de la Chine et la volonté américaine de conserver sa place sur l’échiquier mondial conduiront ces deux nations à un affrontement. Si l’on ajoute à ce « piège » la situation écologique et la croissance démographique chinoise, il est possible que la Chine estime que pour sa survie ou celle du parti communiste il faille accroître son territoire. Dès lors, il est nécessaire de se préparer à une réponse face au géant démographique, économique et industriel chinois. La réponse est rendue d’autant plus nécessaire que la Chine outrepasse déjà les limites dans les domaines humanitaire et politique comme le soulignent (enfin) en France R. Glucksmann et A. Bondaz.

Les Français et les Européens doivent comprendre que le monde est menaçant et qu’une armée disposant de 2 % du PIB ne peut suffire à répondre à toutes les menaces. Même si la dissuasion nucléaire assure une paix relative depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, celle-ci ne sera pas éternelle et n’assure pas une réponse à toutes les discordes.

Dès lors, se pose la question d’un consentement à une augmentation portant le budget militaire français à 4 ou 5 % du PIB ou bien le développement d’une défense à l’échelle de l’Europe. Cette dernière permettrait en outre de répondre au problème économique mais aussi démographique. Mais les menaces ne sont pas qu’extérieures, il existe des défaillances en interne que nous devons (re)connaître pour s’adapter et les outrepasser. Parmi celles-ci, nos démocraties libérales doivent trouver des réponses à l’ingérence d’autres nations comme la Turquie ou la Chine qui alimentent les tensions au sein de l’Archipel français et les discordes en Europe.


[1] Maxime Calvet, Damien Appriou et Jérôme Cheyppe, La place des armes, Maison d’édition de l’Ecole de Guerre, 2018.

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