De plus en plus souvent, les journalistes de guerre sont pris à parti par les puissances belligérantes. Prises d’otages, bombardement d’un bâtiment de la presse à Gaza, et même attaque d’un photojournaliste en France : l’actualité ne cesse d’énumérer ces atteintes au corps journalistique. La presse serait-elle passée d’intouchable à cible privilégiée dans les zones de conflits ?
Les médias dans la guerre, un atout autrefois protégé
Il a longtemps suffi aux journalistes envoyés couvrir des conflits d’arborer leur appartenance à la presse pour bénéficier d’une protection de la part des forces impliquées dans conflits. Les voitures permettant aux membres de la presse de se déplacer à travers une zone de conflit indiquaient ainsi sur leur toit la présence de journalistes, afin d’éviter qu’ils ne soient pris pour cibles. Comme l’explique Christian Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières, le journaliste avait autrefois une utilité pour toute entité impliquée dans un conflit : « Avant, il y avait une certaine forme de protection des journalistes. Elle valait même dans les pays en guerre parce qu’au fond, n’importe quel acteur de la vie politique ou publique faisait passer ses messages par les journalistes » explique ainsi le secrétaire générale de RSF.
Le rôle des reporters de guerre est souvent remis en cause, en premier lieu par les journalistes eux-mêmes. Pourquoi prendre tant de risques pour couvrir un événement qui ne passionne qu’une petite niche d’intéressés ? Pourtant, dans un monde où les conflits s’intensifient et deviennent de plus en plus nombreux et proches de nous, le rôle du correspondant de guerre est primordial, tant pour sensibiliser les lecteurs et auditeurs aux horreurs de la guerre que pour informer, devoir premier de tout journaliste : à l’ère de la mondialisation, comprendre ce qui se passe chez nos voisins peut en effet permettre de prévenir l’arrivée de tels évènements sur notre territoire.
Ainsi, dans tout conflit international, le journaliste de guerre est protégé par le droit international humanitaire, en tant que civil. En tant que tel, il ne peut être pris pour cible, sauf en cas de participation active au conflit. Lorsqu’un correspondant de guerre est capturé, il bénéficie du droit de « prisonnier de guerre », supposé le protéger de tous traitements abusifs, jugement ou condamnation à mort. Le statut d’un journaliste accrédité par l’armée est différent, puisqu’il est considéré avant tout comme un combattant, et représente donc une cible militaire engagée dans le conflit.
Source : RSF, “Bilan 2020”
D’intouchables à cibles privilégiées ?
Depuis le début des années 2000, et avec la complexification des conflits, les médias bénéficient de moins en moins de ce statut particulier et sont de plus en plus pris délibérément pour cibles. Jean Paul Marthoz, journaliste à Bruxelles et auteur de plusieurs ouvrages sur le journalisme international, explique que les journalistes sont désormais une cible dans des conflits tels que ceux ayant cours au Proche et Moyen Orient : « les djihadistes considèrent les journalistes comme les collaborateurs du système occidental qu’ils veulent détruire ». Pour Christian Deloire, le journaliste est désormais devenu un « témoin gênant », qui « remet en cause les versions » qu’une entité au pouvoir souhaite et peut propager elle-même, grâce aux réseaux sociaux. Dès lors, le front médiatique présente presque autant d’importance que le front militaire : c’est en effet celui qui permet la propagation des idées, et son principal acteur, le journaliste, devient un enjeu majeur, de plus en plus souvent pris en otage, menacé ou exécuté. Entre 2005 et 2010 ce sont 529 journalistes qui ont été tués au cours de l’exercice de leur profession, selon l’ONG « Presse Emblème Campagne » (PEC), qui milite pour une plus grande protection internationale des journalistes. Depuis quelques années, ce chiffre est en baisse pour les terrains de guerre, bien qu’en parallèle les journalistes soient pris pour cibles dans des pays dits « en paix ». En 2020, 84% des journalistes tués l’ont été de façon délibérée, contre 63% l’année précédente. Les reporters de guerre restent toutefois de plus en plus pris à parti et utilisés comme moyen de pression.
Source : RSF, “Bilan 2020”
Quelles réponses apporter au danger croissant encouru par les médias ?
Selon Jean Paul Marthoz, « la meilleure protection (…) du journaliste de guerre, c’est la connaissance du terrain ». De plus en plus, les journalistes sont entraînés afin de faire face aux menaces présentes lors d’un conflit, ou pour apprendre à se défendre. En 2021, l’Union européenne a ainsi signé un contrat avec la société Amarante Internationale pour former quelque 6000 journalistes actifs sur le terrain. Les correspondants de guerre sont donc de plus en plus nombreux à suivre ces cours, connus sous l’acronyme HEFAT (pour Hostile Environment and First Aid Training) : ils couvrent à la fois la prise d’otage, les tirs croisés, les barrages, ou encore les émeutes et les premiers soins. Ils sont le plus souvent dispensés par d’anciens membres des forces spéciales ou pas les armées nationales dans certains pays.
Toutefois, pour de nombreuses organisations engagées pour la protection de la presse, la préparation au terrain n’est pas suffisante. Nombreuses sont les ONG, telles que la PEC, à militer pour une nouvelle convention internationale de la protection de la presse. Ces ONG mettent en avant le fait que, malgré de nombreux textes juridiques dénonçant les violences exercées en toute impunité contre les journalistes couvrant des zones de conflits, leur protection n’est pas assurée. La Fédération Internationale des Journalistes, présidée par Philippe Leruth, se dit profondément préoccupée par les obstacles rencontrés par les journalistes en raison de leur travail d’enquête et de reportages. Malgré la Déclaration de Medellin intitulée « Garantir la sécurité des journalistes et la lutte contre l’impunité » (2007), ou encore la Résolution 1738 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui rappelle l’obligation de considérer les journalistes comme des civils, et donc de les respecter et de les protéger en tant que tels, les dangers auxquels sont confrontés les professionnels du journalisme en terrain de guerre ne cessent de s’accroître. Les partisans d’une convention internationale mettent en avant le droit d’informer en temps de guerre, et appellent à ce que « la sécurité nationale, y compris la lutte contre le terrorisme, ne soit pas invoquée pour restreindre de manière injustifiable ou arbitraire le droit à la liberté d’opinion et d’expression ».
Le droit peut-il permettre d’endiguer ces violences à l’égard des correspondants de guerre ? C’est en tout cas ce que pensent les nombreuses entités engagées dans cette voie. L’ONG Reporters Sans Frontières, dans les années 1990, a ainsi mis en place le réseau Damoclès, afin d’enquêter sur les assassinats de journalistes : cette base permet ensuite d’entamer despoursuites juridiques, et ainsi de limiter le sentiment d’impunité qui domine actuellement le sujet. La question de la protection des journalistes devient si prégnante qu’en janvier 2021, l’Union africaine et l’UNESCO se sont concertés pour mettre en ligne une plateforme de suivi des attaques perpétrées à l’encontre de journalistes.
Sources :
UNESCO, « Sécurité des journalistes ». https://fr.unesco.org/themes/safety-journalists
https://news.un.org/fr/story/2021/01/1088122
Reporters Sans Frontières, « Bilan 2020 ». https://rsf.org/sites/default/files/bilan_2020_fr-tues_1.pdf
ICR, octobre 2017, « Comment le DIH protège-il les journalistes ? »
Médias de Bruxelles, « Jean-Paul Marthoz sur le journalisme de guerre ». https://bx1.be/categories/news/jean-paul-marthoz-journalisme-de-guerre-aujourdhui-journaliste-devenu-cible/
Fédération Internationale des Journalistes, « Convention Internationale pour la sécurité et l’indépendance des journalistes et des autres professionnels des médias ». https://www.ifj.org/fileadmin/user_upload/Draft_Convention_Journalists_12017_-_F.pdf
Jean-Paul Marthoz, En première ligne, 2018