La féminisation des armées : une question ancienne, un débat actuel

La féminisation des armées : une question ancienne, un débat actuel

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Four F-15 Eagle pilots from the 3rd Wing walk to their respective jets at Elmendorf Air Force Base, Alaska, on Wednesday, July 5, for the fini flight of Maj. Andrea Misener (far left). To her right are Capt. Jammie Jamieson, Maj. Carey Jones and Capt. Samantha Weeks. (U.S. Air Force photo/Tech. Sgt. Keith Brown)

En réponse à une question écrite d’une sénatrice, le Ministère des Armées affirme que « les armées ne peuvent aujourd’hui se permettre de se passer de la moitié des talents du pays ». En effet, si les femmes représentent plus de 50 % de la population mondiale, elles ne représentent que 15 % de l’armée française en 2019, quatrième armée la plus féminisée du monde (derrière Israël, la Hongrie et les Etats-Unis). Seules huit armées au monde peuvent prétendre à un taux de féminisation de 10 % ou plus (en plus de celles susdites, Canada, Espagne, Allemagne, Royaume-Uni) ; toutes les autres armées comptent moins d’une femme sur dix dans leurs rangs. Pourtant, de nombreux observateurs, qu’ils soient hommes et femmes politiques ou bien chercheurs, s’accordent sur une « féminisation grandissante des forces armées contemporaines ». On pourrait remonter jusqu’à la Seconde Guerre mondiale pour dater le début de ce processus. La question est encore bien actuelle, s’inscrivant dans les débats contemporains de la place de la femme dans nos sociétés.

Le métier des armes, un métier exclusivement masculin ?

Avant les années 1940, le métier des armes était exclusivement un métier masculin en France, comme l’étaient de nombreux métiers. 

« Recourir aux armes pour défendre sa patrie contre un ennemi extérieur ou défendre ses idées dans un conflit fratricide, c’est s’inscrire dans le champ du politique et, à partir de la Révolution française, se revendiquer de la citoyenneté, deux postures refusées aux femmes. » (Élodie JAUNEAU  Julie LE GAC  Yannick RIPA  Fabrice VIRGILI)

Même quand le métier des armes s’ouvrira progressivement aux femmes pendant la Seconde Guerre mondiale, l’épisode de « la mort d’une conductrice sanitaire française en Italie en 1944 rappelle que la présence des femmes au front est perçue comme une hérésie. » (idem).  

De même, les écoles de formation des officiers comme l’Ecole Polytechnique ou l’école spéciale militaire de Saint-Cyr n’accueillent pas de femmes avant, respectivement, 1970 et 1983.  L’ouverture des forces armées aux femmes s’est alors faite progressivement.

Premiers pas vers une place pour les femmes dans les armées : l’exemple de la France

En 1938, la loi Paul-Boncour relative à l’organisation de la nation en temps de guerre autorise l’engagement volontaire des femmes, bien que celles-ci ne soient pas mobilisées au même titre que les hommes. Tout au long de la Seconde Guerre mondiale, la France combattante se compose progressivement de femmes, soit à travers des groupes exclusivement féminins (Corps des volontaires françaises ; l’Arme féminine de l’armée de Terre qui devient en 1946 le service des femmes des forces armées) soit en autorisant l’appel des femmes (Comité français de libération nationale à Alger en 1944). La professionnalisation des armées a ensuite favorisé la féminisation des armées. 

Officiellement, les forces armées en France sont ouvertes aux femmes en 1972, vingt-et-un ans après le Canada mais au moins trois ans avant l’Allemagne, la Belgique ou les Etats-Unis. En revanche, l’ensemble des postes au sein des forces armées (y compris les postes de combat) leur est accessible seulement à partir de 2015, bien après le Canada, l’Allemagne et la Belgique (mais en même temps que les Etats-Unis).

Cette ouverture récente peut expliquer ce qui semble être une « lenteur des progrès » (Le Monde), bien que « la féminisation des armées semble irréversible » (Élodie JAUNEAU  Julie LE GAC  Yannick RIPA  Fabrice VIRGILI). En effet, il semble que nous ne soyons qu’au début de la féminisation des forces armées. 

Les questions et enjeux soulevés par la féminisation des forces armées

La féminisation des forces armées soulève des enjeux importants, notamment dans l’organisation du travail des armées. Exemple emblématique, la Marine nationale française a ouvert « à titre expérimental les équipages de sous-marins aux femmes à partir de 2017 ». Les femmes ne pouvaient intégrer les équipages de sous-marins puisqu’il s’agissait d’espaces fermés et relativement étroits. 

Ainsi, si le métier des armes s’ouvre aux femmes, elles ne se dirigent pas vers les mêmes carrières que leurs collègues masculins. En France, les femmes ne représentent que 7 % des effectifs en opérations extérieures en 2013. Il est d’ailleurs intéressant de voir que la féminisation des armées n’est pas la même pour toutes les armées : en France, l’armée de Terre compte 10 % de femmes, la Marine 14 % et l’armée de l’Air et de l’Espace 23 %. L’armée de Terre est la seule armée qui connaît une très légère baisse de son taux de féminisation entre 2007 et 2017 (Assemblée nationale). Le service de santé des armées fait figure d’exception, étant composé à 60 % de femmes.

Enfin, si les femmes représentent 15 % des effectifs des forces armées françaises, elles ne représentent que 8 % des officiers et officiers généraux.

En 2019, la Ministre des Armées Florence Parly a présenté son Plan mixité. Les trois mots d’ordre sont recruter, avec des objectifs chiffrés pour les prochaines années ; fidéliser, afin de ne plus voir autant de femmes quitter les forces armées par souci de conciliation avec leur vie personnelle ; valoriser l’image de la femme militaire.

Cet article n’avait pas vocation à revenir sur l’histoire de chaque armée du monde, ni même sur celle des armées les plus féminisées. Cette courte introduction visait à appliquer à un corps de métier particulier, le métier des armes, une problématique sociale très contemporaine et occupant de nombreux débats de la place publique, celle de la place des femmes. La France peut se féliciter de ses progrès, notamment au regard d’autres pays, tout en continuant à les encourager.

Bibliographie

• “Le Plan mixité du Ministère des Armées : y aller, y rester, y évoluer”, https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/le-plan-mixite-du-ministere-des-armees-y-aller-y-rester-y-evoluer

• Rapport d’information n°1337 fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur les femmes et les forces armées, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ega/l15b1337_rapport-information#P162_20036

• Question écrite n°09769 sur la féminisation des armées, https://www.senat.fr/questions/base/2019/qSEQ190409769.html

• Elodie JAUNEAU, Julie LE GAC, Yannick RIPA, Fabrice VIRGILI, “La féminisation des armées européennes”, https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/genre-et-europe/quand-la-guerre-trouble-le-genre/la-f%C3%A9minisation-des-arm%C3%A9es-europ%C3%A9ennes

• Eric SEIZELET, “Japonaise et militaire ? La féminisation des professions de défense au Japon”, IFRI, https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/seizelet_japonaise_et_militaire_2019.pdf

• “La trop lente féminisation de l’armée française”, 07 mars 2019, Le Monde, https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/07/la-trop-lente-feminisation-de-l-armee-francaise_5432494_3232.html

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