Compte-rendu Conférence : Le renseignement

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La conférence sur le renseignement était la troisième conférence organisée par l’antenne International Security and Defense.
L’association ​Sorbonne pour les Nations Unies accueillait :
Philippe Hayez, Alexandre Papaemmanuel, et Alain Chouet.

Il s’agira au cours de cette conférence d’évoquer les différents organes du renseignements, ainsi que de l’expérience de nos intervenants.


Les différents organes du renseignement donnent une impression de “mille-feuille” du renseignement.
Est-ce le cas ?

Réponse (P. Hayez)
On parle d’une communauté nationale du renseignement. Cette communauté existe depuis la Seconde Guerre mondiale, mais les systèmes d’organisation étaient différents. Depuis une quinzaine d’années, on commence à structurer l’appareil du renseignement. Cela passe aussi par une organisation de service. En suivant une vision simpliste, on a six services, couplés avec les services de l’intérieur, de la défense, de l’économie et des finances. Mais, en réalité, la France compte 26 services. Cela fait suite à la loi sur le renseignement du 24 juillet 2015. Il y alors une définition du terme de renseignement. Cela nécessite d’avoir accès à des techniques spéciales de renseignement. C’est un service d’État, dont les fonctionnaires sont autorisés à utiliser des choses interdites : mettre une balise, écouter des conversations. Ce n’est pas décentralisé. La loi de 2015 définit des services habilités à utiliser des techniques diverses. Les dernières en date sont la lutte contre le trafic de migrants, le renseignement pénitentiaire etc. Ces service collaborent entre eux, le pivot étant la lutte anti-terroriste.

Réponse (A. Papaemmanuel)
Le Livre blanc sous Nicolas Sarkozy évoque la création d’un conseil national de la sécurité nationale, qui illustre une certaine hyper présidentialisation, qui sera évitée par la réforme constitutionnelle. Le président Sarkozy met en place le Conseil national de la sécurité nationale, afin de permettre un équilibre entre les différentes institutions. La réforme constitutionnelle ne lui donne pas raison. On instaure des fonctions stratégiques prioritaires : connaissance et anticipation. Mais cela nécessite des investissements. Ils vont être nombreux et vont conduire à la loi de programmation militaire (capteurs souverains). On institue au moment du livre blanc, la communauté nationale du renseignement avec des batailles. Il y a derrière cette décision la volonté de pouvoir avoir des équilibres : cela se fait grâce à deux grands services, la DGSI et la DGSE.
On adjoint le renseignement militaire pour contrebalancer. Puis on observe l’arrivée du coordinateur national pour le renseignement. Il doit être la courroie de transmission : entre la volonté présidentielle, et le désir d’harmoniser. Les acteurs sont peu enclin à partager, donc la coordination est une tâche très lourde. Le coordinateur national pour le renseignement a la charge de mettre en place un plan national. Il doit trouver sa place entre un chef d’État major et un conseiller diplomatique, tous deux en place depuis bien longtemps. Il doit coordonner la production quotidienne du service des renseignements. Il doit créer des instances. C’est le cas par exemple, de la cellule inter-agence Hermès.

Réponse (A. Chouet)
Monsieur Chouet a exercé des fonctions de chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE. Le service est chargée du recueil du renseignements et de la mise en œuvre des mesures actives, en matière de contre-criminalité, d’espionnage, et d’anti terrorisme. C’est un métier qui s’exerce en dehors du territoire des compétences juridique de l’État, il s’exerce donc dans l’illégalité. Cela induit la notion du renseignement. Cela se fait en faisant violer la loi des autres par un agent. On amène quelqu’un à trahir son pays, à livrer des informations. Cela implique un risque. Cela induit un biais contre l’objet de lutte contre le terrorisme, nous ne pouvons pas rester en justice. Cela pose un problème entre la coopération des agences.
Aux États-Unis, lors du 11 septembre, les agences ne collaboraient pas. Elles ont eu recours aux téléphones personnels, car les systèmes de communication n’étaient pas compatibles entre eux. Il est donc nécessaire de mettre en place une continuité entre les services intérieurs et extérieurs : ils ne font pas le même métier. Il n’y a pas de différence géographique mais une différence de métier.
Les officiers de la DGSI agissent sous le contrôle du juge, dans le cadre de la loi (lutte anti terroriste). Pour la DGSE, le but est d’empêcher que la violence soit pensée. Il faut agir avant. Cela nécessite un ensemble de mesures diplomatiques et sociales. C’est un métier complet, l’agent doit agir en continue, il n’est jamais propriétaire d’un renseignement. Les renseignements bruts sont transmis. Il y a donc une différence entre un service de renseignement extérieur et intérieur qui agit dans le cadre de la loi avec les instruments de pression régaliens.
Cela pose le problème des sources : il faut les entretenir. Le renseignement technique est passif, on recueille ce que les gens veulent échanger. Le problème est de connaître le secret des intentions (ex : Kadhafi, et l’usage des chars). Dans le cas du Rainbow Warrior, l’ordre était de faire couler le bateau, ce qui a été fait. Le service de renseignement ne doit pas dévoiler les intentions d’un État donneur d’ordre.


Pouvez-vous nous parler du travail des agents, que cela soit en France, sur le terrain ? Quelle a été votre expérience au sein de la DGSE ?

Réponse (P. Hayez)
La communauté du renseignement est en expansion, avec le taux de croissance le plus important en France. Cette communauté comprend 20.000 personnes. Cela représente 20% de la communauté américaine du renseignement. C’est un milieu très divers, avec des personnes d’origine différente : policiers, militaires, douaniers etc. Le renseignement extérieur a une particularité : on y fait une carrière, et c’est un service composé majoritairement de civils mais aussi de personnes militaires.

Pourquoi cette communauté est-elle composée d’une population si vaste ?Dans un premier temps, il y a eu, au début des années 2000, un projet de constitution d’un centre de situation, de coordination interne, de veille. Puis, on observe la relance d’une des directions, sur les cinq existantes, qui est la direction du renseignement. D’autre part, la direction technique compte 6.000personnes, et a une triple fonction : recherche humaine (recrutement de sources humaines), direction de l’analyse, coordination de la recherche (trois modes : humaine, technique, opérationnelle).

Réponse (A. Papaemmanuel)
Il faut noter l’importance des séries. La vie des agents quotidiennement est un métier des fonctionnaires, sauf pour les agents sur le terrain. C’est savoir répondre à une question, souvent dans l’urgence, d’une demande politique, orienter des capteurs techniques ou humains, pour répondre à la demande. C’est un métier que l’on ne peut pas partager avec autrui. C’est un métier d’humilité au service de l’État.
On va commencer une analyse, en recoupant des sources, dans des bases de capitalisation. Il y a aussi une grande solidarité sur certains sujets, comme le contre-terrorisme. Le renseignement confié ne peut pas être repartagé. Ensuite, on diffuse le renseignement. C’est un métier astreignant, car beaucoup d’informations viennent bousculer l’ordre des choses. Il y a une conjonction d’informations, qui ont des impacts sur l’organisation d’un service. La région va challenger les visions faites à Paris. Les agents sont hybrides, ils manipulent les sciences humaines et sociales et les nouvelles technologies. Le métier se complexifie. On est soumis à plus d’informations.
Le deuxième impact est celui du cadre légal. C’est aussi de respecter le cadre légal encadrant les techniques du renseignement. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement dépend du Premier Ministre, et du bon usage des techniques, proportionné à la finalité. Cela implique de se questionner sur le temps nécessaire, sur les impacts, sur les liens avec la mission, sur la durée de conservation des données. Certains acteurs du numérique ont le droit de croiser les donnés d’une manière beaucoup plus faciles.

Réponse (A. Chouet)
La série “Le Bureau des légendes” est plutôt représentative de la situation sur le terrain et dans les bureaux : la sagesse de l’espion, la torture ou l’argent… Pour avoir des renseignements de qualité, il faut avoir confiance dans la source. Il faut qu’elle ait envie de donner le renseignement, sans la contraindre. Il faut développer avec la source humaine une relation, basée sur un certain attachement. Il faut une relation affective entre l’officier traitant et son agent. Cela mène encore plus loin dans la double vie.
Cela nécessite un engagement profond, absolu. On vit isolé, on ne peut pas partager les états d’âme. Il n’y a que la famille pour nous soutenir et les collègues. La force des services de renseignement, ce n’est pas l’intelligence, mais c’est le nombre, la mémoire et le temps. Les archives n’ont pas de poussière, elles sont consultées en permanence. Elles sont conservées depuis la Seconde guerre mondiale. Les services de renseignement extérieurs ne sont pas soumis à la durée de conservation des données. On est rarement soumis à des impératifs de résultats immédiats.


Quel est le processus de décision, le choix d’un objectif ? Comment opérer le tri entre les informations qui vous parviennent ?

Réponse (P. Hayez)
Il est important de ne pas avoir une vision trop mécanique. Le plan national d’orientation du renseignement donne des axes, des orientations, sur les grandes priorités à donner aux services. Ces derniers reçoivent des orientations, des commandes, de la part de donneurs d’ordres, qui sont des responsables ministériels, sur des sujets ou des problèmes à résoudre. ​Si l’on est bien positionné et que l’on peut s’aider des archives, on peut trouver la réponse immédiatement, mais parfois il faut établir un plan et une opération de recherche. On réfléchit à la manière d’employer les forces et de mobiliser la boîte à outils. C’est une manœuvre indirecte, qui passe par les capteurs et tous les processus du renseignement, des sources, de la mobilisation des relations de coopération, l’économie de troc pour avoir des éléments d’accès. On peut projeter des agents, répondre aux questions des clients, mais également voir les affaires proposées et en faire une analyse assez prudente, afin d’établir une équation entre les intérêts, les risques et les coûts. On a tous les jours des dizaines d’opérations à des rythmes variables. Il y a des crises. Les services ont une capacité d’initiative. Dans certains cas, ils sont aussi payés pour avoir une sorte d’intuition. Le fait de détecter des signaux faibles, des tendances, potentiellement porteuses d’intérêts pour la sécurité. Il sert à deux choses : à protéger les intérêts fondamentaux de la nation, et à assurer la sécurité nationale. C’est une industrie lourde, ce sont des décisions collectives prises à tous les niveaux. Les opérations de renseignement et les services gèrent un portefeuille d’opérations.

Réponse (A. Papaemmanuel)
Cela ne se passe pas de manière aussi huilée car il y a une certaine compétition. On retrouve une certaine volonté de coordonner du CNR, d’avoir un impact sur ce qui se passe dans les services. Bernard Bajolet, en tant que coordinateur national du renseignement, n’est pas le bienvenu à l’Élysée. C’est avoir un impact sur les actions concrètes dans les services. Si on fait le parallèle, aux Etats-Unis, il existe 16 agences de renseignement, comme le Director of National Intelligence mais aussi des services qui se superposent. Dans ce contexte, James Clapper a dû se battre, et refuse de prendre le poste de conseiller en renseignement sans certaines conditions, comme être avec le Président lors des réunions avec la CIA. Cela va amener à une réformation du bureau, qui va être réorganisé. Il y a une prise de conscience afin d’unifier le bureau du renseignement, de partager les même outils et de recréer des dynamiques. En France, il n’a pas été facile d’imposer ce conseil. Si Bernard Bajolet est parti, c’est aussi parce qu’il était dépassé par d’autres services, dont le président.
Le renseignement a gagné en visibilité, c’est un changement important sur la politique publique, qui marginalise le renseignement dans sa politique. Il y a ainsi un regard de l’instantanéité, un regard froid sur cette matière explosive : le temps politique ne fonctionne pas forcément avec le temps de la capitalisation d’informations.

Réponse (A. Chouet)
D’énormes progrès ont étéréalisésdanslesvingtdernièresannées,enmatière de prise en compte des problématiques du renseignement, de mise en continuité de la politique extérieure du renseignement et de la sécurité intérieure. Cela est dû à une cause profonde : la défiance des politiques par rapport à l’appareil de renseignement. L’une des premières initiatives des dirigeants russes, après l’URSS a été de diviser le KGB en deux services. En France, on retrouve une division similaire, avec une génération d’officier de la DGSE qui réalise un stage de formation en commun avec le commissaire de la DST.


Comment gérer le lien entre le terrorisme et le renseignement ?

Réponse (P. Hayez)
Il y a une intersection évidente car il existe un renseignement contre-terroriste. Le livre blanc de Sarkozy en 2005-2006 concerne la sécurité interne face au terrorisme. Face à Al Qaïda, l’effort conceptuel visait à mobiliser l’ensemble des acteurs, car la menace terroriste a changé. On fait face à une radicalisation qui reste assez éloignée, donc la lutte se complexifie car le nombre d’acteurs mobilisés est plus important. C’est une part majoritaire de l’effort, de moyen des services. Le service intérieur constitue tout de même un pivot. L’UCLAT, le service anti-terroriste de la DGSI, est démantelé en décembre 2019. Cette dernière concentre 3/4 des moyens à la lutte anti-terroriste, en effet, le renseignement est sous contrôle juridique depuis la loi de 2015.

Réponse (A. Papaemmanuel)
La pression politique exerce un certain poids sur les agences de renseignement. Parfois, on peut oublier certains sujets dans le spectre. Sur cette thématique, on ne parle que des échecs, quand l’acte arrive. Par exemple, le fait d’adjoindre la lutte anti-terroriste au CNR mobilise des gens sur ce sujet, mais on ne parlera que de leurs échecs. Or, le renseignement doit travailler sur les fractures, et dans une diversité de champs d’action. Aujourd’hui on peut aussi se féliciter de l’investissement dans le renseignement technique mais aussi dans le renseignement économique et financier.


Quid de l’intelligence économique ?

Réponse (P. Hayez)
La loi de 2015 a considéré que parmi les sept motifs de recours au renseignement, la défense et la promotion des intérêts économiques et industriels faisait partie des motifs légitimes. La promotion par les moyens de renseignement est quelque chose qui est moins évident. La France n’est pas la seule à l’afficher, c’est un discours autorisé. Le vrai sujet est l’analyse sur le segment industriel de nos concurrents, qui aujourd’hui sont les Allemands et les Américains. Les entreprises françaises n’ont pas estimé que c’était des sujets importants. Elles ont été naïves et n’ont pas compris comment gérer l’information stratégique autour de la donnée et de son partage.


Connaissons-nous une perte de souveraineté nationale dans notre utilisation des systèmes de communication au sein des services ? Peut-on considérer que la France est trop dépendante en ce qui concerne ses outils de travail ?

Réponse (A. Papaemmanuel)
Il ne faut pas confondre souveraineté et souverainisme. La France possède de vraie compétences d’ingénierie. Si l’édition de logiciel n’est pas aujourd’hui notre défi, malgré un investissement étatique dans le cyber, il faut maîtriser les couches souveraines autour d’autres logiciels, étrangers afin de développer des couches intelligentes, qui seront celle de demain.

Réponse (A. Chouet)
On retrouve tout de même une volonté de réindustrialisation. En France, cependant, cela fut rendu difficile par 30 ans d’erreurs stratégiques de certains chefs d’entreprise.

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