Le défi de la sécurité environnementale, enjeu planétaire du XXIe siècle

Le défi de la sécurité environnementale, enjeu planétaire du XXIe siècle

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Le débat sur la sécurité environnementale émerge dans les années 1980, lorsque des problèmes environnementaux mondiaux, tels que le réchauffement climatique et les catastrophes naturelles, commencent à investir la scène politique. Si le lien entre l’environnement et la sécurité reste encore aujourd’hui un sujet contesté, l’inscription des préoccupations environnementales dans l’agenda de la sécurité est bien d’actualité. Ainsi, la notion de sécurité, traditionnellement associée à une logique militaire, a été élargie et approfondie. Le changement climatique, et plus précisément ses conséquences, est aujourd’hui considéré comme un enjeu sécuritaire et donc très souvent étudié comme un déclencheur potentiel de conflits ou comme une menace à la sécurité humaine.

La sécurisation de l’environnement remet en question et transforme les pratiques en matière de sécurité, mais implique également de nouveaux rôles pour les acteurs de la sécurité et de nouveaux moyens pour assurer la sécurité. Basée sur une logique d’urgence, de prévention et de gestion, la sécurité climatique permet de rendre compte de nouveaux enjeux ainsi que du potentiel risque de conflits et de violences que ces derniers peuvent impliquer.

Le changement climatique, présenté comme une menace pour la sécurité nationale et internationale dans les discours scientifiques comme politiques, est donc devenu un problème de sécurité à résoudre.

Investir l’environnement : la nouvelle dynamique du mandat onusien

L’intérêt de l’ONU pour les questions sécuritaires posées par le changement climatique n’est pas récent : dès la fin des années 1980, des rapports du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) entre 1984 et 1988 témoignent déjà d’une diffusion du concept de sécurité environnementale par l’ONU. Dans cette logique, le rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur le développement humain de 1994 définit la “sécurité environnementale” comme l’une des sept dimensions du nouveau concept de sécurité humaine. Le processus de changement climatique, considéré comme une menace à la stabilité étatique et à la vie humaine, devient donc un secteur investi par l’ONU et plus particulièrement par le PNUE. En effet, il contribue activement à la sécurisation de l’environnement à l’ONU, notamment avec sa branche intitulée “Post-conflit et gestion des désastres” qui  étudie les liens entre ressources naturelles et conflits, tandis que les départements des opérations de maintien de la paix (DOMP) et d’appui aux missions (DAM) cherchent à réduire l’empreinte écologique de leurs missions et projets. L’ONU, soutenue par des experts de l’environnement, de conflits et de consolidation de la paix, justifie ainsi son action dans ce nouveau champ et est déjà à l’origine de plusieurs rapports sur ce thème. Ces derniers présentent les transformations à venir de l’environnement comme une menace à la consolidation de la paix et de reprise des conflits, un enjeu de convoitise et de tensions, ou encore comme une source majeure de financement facilitant le déclenchement et la poursuite des efforts de guerre.

La prise en compte de l’environnement comme un enjeu de sécurité par les différents acteurs onusiens réside donc tout d’abord dans leur discours, qui présente les ressources naturelles et le changement climatique comme source de conflits et d’insécurité, comme source de financement de guerre, et enfin, comme multiplicateur de menaces. 

Ainsi, si l’environnement n’est pas mentionné dans la charte des Nations unies et que sa protection n’est apparue que tardivement dans les missions de l’organisation internationale, la réalisation du mandat originel de l’ONU en matière de paix et de sécurité internationales pourrait être favorisée par les stratégies de sécurité environnementale qu’elle met en place. De cette manière, le champ que constitue l’environnement est perçu comme une ressource pour l’action diplomatique onusienne en matière de consolidation de la paix et de prévention des conflits. 

L’environnementalisation de la sécurité : “environnementaliser pour sécuriser”

Si l’environnement s’est peu à peu imposé dans le discours comme un véritable enjeu de sécurité, la sécurité est aussi devenue un sujet d’intérêt pour les politiques environnementales, notamment au regard de l’empreinte écologique des activités militaires. Le concept de sécurité environnementale est donc à la fois traversé par des processus de sécurisation de l’environnement, mais aussi d’ “environnementalisation” de la sécurité. Ce processus de construction de la sécurité comme enjeu environnemental s’inscrit dans la stratégie globale des Nations unies Greening the Blue initiée en 2010. Cette dernière vise à réduire l’empreinte écologique des activités menées par l’organisation internationale, notamment après la mauvaise gestion des eaux usées par les casques bleus suite au tremblement de terre de 2010 en Haïti qui avait provoqué une épidémie de choléra. Les missions aujourd’hui menées par l’ONU doivent donc évaluer les risques écologiques et sanitaires de manière attentionnée, ce qui permet la mise sur agenda de la sécurité environnementale, c’est-à-dire le passage d’une problématique du domaine scientifique au domaine politique. 

Cette manœuvre est d’autant plus pertinente qu’elle permet finalement à l’ “environnementalisation” de favoriser la sécurisation de l’environnement. Le rapport du PNUE sur l’environnement et le maintien de 2012 intitulé Greening the Blue Helmets témoigne d’ailleurs de cette complémentarité : en effet, la première partie du rapport est consacrée à l’empreinte écologique des missions militaires tandis que la seconde concerne les ressources naturelles, les conflits et le maintien de la paix. Cette combinaison relève surtout d’un choix stratégique : le PNUE, conscient des divisions qui règnent au Conseil de sécurité, a choisi d’associer le sujet sensible des conséquences des problématiques environnementales sur la sécurité internationale et sur le maintien de la paix à un sujet moins polémique, à savoir l’impact écologique des missions. 

La question de l’environnement au Conseil de sécurité

Depuis les années 2000, différentes problématiques environnementales – ressources naturelles et conflits, environnement et maintien de la paix, changement climatique et sécurité – ont été inscrites à l’agenda du Conseil de sécurité des Nations unies. Défini comme ayant “la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale” selon la Charte des Nations unies, il s’agit du  le principal organe exécutif de l’ONU. C’est en 2007 qu’il examine pour la première fois les conséquences possibles du changement climatique sur la sécurité internationale, un enjeu qui concerne tous les États. Si quelques résolutions adoptées par le Conseil de sécurité reconnaissent l’importance des ressources naturelles en matière de conflits, les tensions internes et les divergences sur le changement climatique n’ont fait que retarder la mise en œuvre d’actions complémentaires et coordonnées. 

Plus récemment, en février 2021, les dirigeants du Conseil de sécurité se sont réunis pour débattre des implications du changement climatique sur la paix internationale. Une majorité de pays s’est accordée pour considérer ces deux sujets comme intimement liés, tout en reconnaissant la crise climatique comme une menace pour la sécurité mondiale. 

Le changement climatique est une menace pour notre sécurité collective. Quand allons-nous faire quelque chose si nous n’agissons pas maintenant ? (…) Lorsque des masses de gens fuyant la sécheresse, des feux ou des conflits pour accéder à des ressources arriveront à nos frontières ?”, a martelé le Premier ministre britannique Boris Johnson à l’origine de cette réunion, le Royaume-Uni présidant le Conseil de sécurité en février. 

La Russie, par la voix de son ambassadeur Vassily Nebenzia, a cependant remis en cause la connexion entre les problématiques environnementales et les conflits et a défendu une approche différenciée par régions pour répondre au changement climatique plutôt qu’une réponse globale. De son côté, la Chine, par l’intermédiaire de son envoyé spécial pour le climat, a déclaré que “le développement durable était la clé pour résoudre tous les problèmes et éliminer la cause des conflits”, puis a ajouté que “la coopération internationale sur le climat doit être traitée dans le cadre de la Convention internationale de l’ONU sur le climat comme voie principale”. 

John Kerry, l’ambassadeur américain pour le climat, a également confirmé le lien indéniable entre le climat et la sécurité comme l’ont fait la France et l’Allemagne, estimant que “la crise climatique est indiscutablement un sujet pour le Conseil de sécurité. Aucun pays ne peut régler cette crise seul, c’est exactement pour ce genre de problème que les Nations unies ont été créées”. La nouvelle présidence américaine sous le démocrate Joe Biden, aux vues radicalement opposées à celle de Donald Trump, devrait changer la dynamique au Conseil de sécurité dans le domaine environnemental et de façon générale. Cela a d’ailleurs été confirmé par le retour formel des États-Unis dans l’accord de Paris de 2015, et par la déclaration du président Joe Biden jeudi 18 mars selon laquelle le pays rejoindrait le groupe “Climat et sécurité” des Nations unies créé en 2018. 

L’impact du changement climatique sur les flux migratoires mondiaux

Le dérèglement climatique, qui dépasse les frontières, bouleverse les mouvements migratoires avec le poids grandissant des réfugiés climatiques. Victimes des pressions environnementales ou des catastrophes naturelles causées par le réchauffement climatique, cette nouvelle catégorie de migrants ne bénéficie toujours pas de statut juridique spécifique, alors que les conséquences du changement climatique se font déjà ressentir. En effet, le statut actuel de “réfugié” selon la Convention et le Protocole relatifs au Statut des Réfugiés de 1951 et 1967 n’inclut pas celui du “réfugié climatique”, même si cela n’empêche pas un intérêt croissant des autorités publiques et organisations internationales pour les migrations climatiques. L’Assemblée générale des Nations unies avait d’ailleurs adopté une résolution dès 1988 invitant les États à porter assistance aux victimes de catastrophes naturelles et autres situations d’urgence sans toutefois les contraindre et avait fait plusieurs déclarations sur les migrations climatiques lors de la Conférence internationale de Bruxelles en 2008, la Conférence de Bonn en 2009 ou encore celle d’Oslo en 2011. Plus récemment, l’ONU a adopté en 2018 un Pacte mondial sur les réfugiés, qui reconnaît officiellement l’élément climatique comme facteur d’exil et vient compléter la Convention de Genève de 1951. Si ce texte a le mérite de combler les lacunes des jurisprudences existantes, la redéfinition du statut des réfugiés climatiques doit être envisagée afin que les États puissent adapter leur régime d’octroi d’asile à cette nouvelle menace que constitue le changement climatique. 

Si la signature de l’accord de Paris sur le climat de 2015 et la gestion de la crise migratoire actuelle témoignent de la prise en compte croissante des questions environnementales et de flux migratoires à l’échelle européenne et mondiale, le silence des acteurs du droit international sur le statut des réfugiés climatiques constitue un enjeu de taille pour la communauté internationale. Dans ce contexte, l’impact du changement climatique sur les migrations relève encore aujourd’hui de la prévention, alors que les Nations unies estiment que le nombre de réfugiés climatiques pourrait s’élever à 250 millions d’ici 2050, un chiffre qui pourrait être revu à la hausse… Les régions les plus concernées par ce type d’émigration sont les régions côtières, les îles de très faible élévation d’Asie du Sud-Est, qui seront les premières touchées par la montée des eaux, mais aussi les régions arides et en voie de désertification d’Afrique subsaharienne. Pour faire face à ces nouveaux flux migratoires qui constituent un enjeu sécuritaire mondial, la réponse passe d’une part par la lutte contre le changement climatique, mais aussi par des politiques nationales et internationales plus favorables aux migrations. Selon Jeanette Schade, chercheuse spécialisée sur les questions environnementales, les migrations et les conflits, “c’est une question de cohérence politique et de respect des droits de l’Homme que de prendre en compte les impacts négatifs des politiques climatiques sur les migrations forcées et les droits de populations locales”. Elle insiste notamment sur l’importance des politiques publiques d’intégrer la question des droits de l’Homme et de ne pas se focaliser sur des projets de relocalisation, sans quoi elles pourraient accroître la vulnérabilité plutôt que d’améliorer les conditions de vie des populations et la résilience des communautés.

L’enjeu migratoire en lien avec le défi climatique sera ainsi central dans les années à venir et concerne tous les Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par les Nations Unies en 2015 : éradiquer la pauvreté, la faim et réduire les inégalités, assurer l’accès à une eau propre, à l’éducation et lutter contre le dérèglement climatique. En effet, les déplacements liés au changement climatique vont engendrer de fortes concentrations de populations dans des zones restreintes, accentuer la faim et les inégalités, risquant ainsi de compromettre les objectifs ambitieux de l’ONU.

Sources :

Maertens, Lucile. « Le défi de la sécurité  environnementale à l’ONU », François Gemenne éd., L’Enjeu mondial. L’environnement. Presses de Sciences Po, 2015, pp. 205-214.

Maertens, Lucile. « Entre sécurisation de l’environnement et environnementalisation de la sécurité : le défi de la sécurité environnementale à l’ONU », CERISCOPE Environnement, 2014. 

Trombetta, Maria Julia. « Environmental security and climate change: analysing the discourse », Cambridge Review of International Affairs, 2008, pp. 585-602.

Oels, A. « From “Securitization” of Climate Change to “Climatization” of the Security Field: Comparing Three Theoritical Perspectives », dans J. Scheffran et al. (eds), Climate Change, Human Security and Violent Conflict, Heidelberg, Springer, pp. 185-205. 

Schade, Jeanette. « Les migrants des politiques climatiques : nouveaux défis face aux déplacements générés par le changement climatique », Cultures & Conflits, 2012. 

Legoux, Luc. « Les migrants climatiques et l’accueil des réfugiés en France et en Europe », Revue Tiers Monde, n°204, 2010, pp. 55-67. 
« La crise climatique, menace pour la sécurité mondiale, martèlent les dirigeants à l’ONU », L’Express, publié le 23/02/2021.

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