BOKO HARAM : Où en est le combat contre le groupe islamiste qui sévit en Afrique de l’Ouest ?

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Révélé à la communauté internationale par le retentissant enlèvement de 219 lycéennes en avril 2014 à Chibok (nord-est du Nigéria), le groupe islamiste Boko Haram sévit en réalité depuis 2002 dans le nord du pays à majorité musulmane. Il est intéressant de noter qu’à l’origine, le groupe ne vise pas particulièrement les populations (qu’elles soient chrétiennes ou musulmanes) et tend plutôt à se constituer en véritable mouvement révolutionnaire à l’encontre des institutions étatiques et des administrations. Fondé en 2002 par Mohamed Yusuf comme une secte prônant un islam sunnite radical proche du wahhabisme*, le mouvement devient réellement un groupe armé en 2009 après que Yusuf trouve la mort lors d’une insurrection qu’il a menée contre les autorités. Son premier lieutenant Abubakar Shekau prend alors le relais et mène le groupe vers le djihadisme, la secte devient le « Groupe armé pour la prédication et le djihad ». Ceci amène certains observateurs à considérer que c’est l’acharnement des autorités et leurs erreurs à répétition qui ont contribué à radicaliser le mouvement, et le gouvernement fédéral nigérian admet lui-même que la répression s’est avérée contre-productive (1).

Reconnu en 2014 par l’ONU comme organisation terroriste, Boko Haram prête allégeance à l’État islamique en 2015 et devient la « Province de l’Afrique de l’Ouest » de l’EI (2).

Il y a un an, on nous annonçait la fin de la secte islamiste après la prise de contrôle de la forêt de Sambissa, bastion historique de Boko Haram, par l’armée nigériane (3). Qu’en est-il aujourd’hui ?

Depuis son entrée en action, le mouvement est à l’origine de la mort d’au moins 20 000 personnes et du déplacement de 2,6 millions de personnes originaires tant du Nigeria que des pays frontaliers de la région du lac Tchad (Niger, Tchad, Cameroun).

Si la zone d’influence du groupe terroriste se trouve principalement au nord du Nigeria (État de Borno) dans lequel Boko Haram dispose ou disposait (selon les avancées des forces armées qui s’y opposent) de territoires acquis, il ne possède pas a priori de réelles bases sur le lac Tchad. De manière générale, il est très difficile d’établir un compte-rendu précis des bases du groupe armé et de faire une description précise de la situation, tant les positions sont mouvantes et les points de combat épars.

La cartographie montre bien une diminution de la présence de l’organisation terroriste au Nigeria, ce qui constitue une victoire non négligeable pour l’armée. Pourtant, la persistance des attentats nous indique que Boko Haram est loin d’être vaincu et le groupe, attaqué, se replie désormais dans les marécages du lac et dans la forêt de Sambissa [pourtant reprise par l’armée nigériane en décembre 2016, il semble donc que Boko Haram ait remis la main sur une partie de la forêt au moins].

Aujourd’hui affaibli, le mouvement terroriste se rabat sur la pratique efficace et classique des attentats-suicide qui font l’objet depuis plusieurs mois d’une recrudescence, mais qui sont extrêmement difficiles à prévenir.

Quelles forces à l’œuvre dans la lutte contre Boko Haram ?

Plusieurs forces armées luttent contre l’organisation terroriste nigériane, mais aussi de manière générale contre l’insécurité provoquée par les différentes milices et réseaux djihadistes actifs dans l’ensemble de la région sahélienne, tel que le GSIM (Groupe pour le soutien de l’Islam et des musulmans) né en mars 2017 d’une fusion de plusieurs entités dont AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique, présent notamment au Mali), ou encore l’EIGS (État islamique dans le Grand Sahara).

Afin de faire face à ces réseaux, de nombreuses réponses militaires se sont développées, mais leur action peine à s’organiser et à gagner en efficience. Les premiers dans la lutte sont bien évidemment les armées des pays touchés, avec en premier lieu l’armée nigériane qui s’investit particulièrement dans le combat (6).

Dans un deuxième temps, la mission française Barkhane (4000 hommes) présente depuis 2014 dans les pays du Sahel (notamment le Mali) pour aider à la lutte antiterroriste ainsi que la Minusma (mission de l’ONU depuis 2013 pour la stabilisation du Mali) n’apportent qu’une aide indirecte aux armées locales dans leur lutte contre Boko Haram.

Parallèlement à cela s’est concrétisée en février 2017 une initiative régionale à travers le groupe G5 Sahel (forte de 5000 militaires) auquel participent la Mauritanie, le Tchad, le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui vise surtout à appuyer puis à terme à se substituer à la mission française Barkhane (7). Dans cette visée, la France cherche à en renforcer l’organisation, et les États-Unis ont même annoncé une aide de 50 à 60 millions de dollars (8), après que le Conseil de sécurité de l’ONU avait salué l’action de la force antiterroriste dans la région lors d’une résolution du 21 juin (9).

Quelles difficultés à combattre Boko Haram ?

La méthode Boko Haram se caractérise par un grand nombre d’attentats dans des zones plutôt rurales, il n’y a donc pas réellement de front à proprement parler. Les victoires des forces militaires à l’action et des autorités locales dans la lutte se caractérisent plutôt par la reprise de villes auparavant sous le joug de la secte, ou par l’arrestation de personnes en lien (ou supposément en lien) avec l’organisation. Avec les avancées des forces armées associées dans la lutte contre la secte, le ministre nigérien des Affaires étrangères Ibrahim Yacouba affirme même que les membres de l’organisation terroriste sont « quasiment en errance et cherchent surtout la survie alimentaire ». En effet, si dans notre société les jeunes qui quittent leur famille et leur patrie pour aller mourir dans les rangs de l’État islamique le font sous le coup de l’embrigadement idéologique, les fondamentalistes présents au sein de Boko Haram sont peu nombreux, et beaucoup de combattants ne l’ont rejoint que pour des raisons financières (3).

On comprend bien que l’argent est un problème de fond, tant pour les combattants de Boko Haram que pour la lutte contre la secte. Or au Nigeria, il est difficile de soulever des fonds importants, peu importe le projet vers lequel ces fonds seraient dirigés. Si les gouverneurs de plusieurs États nigérians ont récemment approuvé le transfert à l’État fédéral d’1 milliard de dollars américains afin de procéder à l’achat d’équipements de sécurité, de surveillance et de logistique, il n’est pas du tout sûr que cet argent soit, tout d’abord, réellement affecté aux achats prévus, et ensuite que ces dépenses se révèlent utiles, les scandales de corruption et de détournement de fonds publics étant monnaie courante (10).

L’autre principale difficulté dans la lutte contre Boko Haram tient à l’impact limité de l’action des forces armées de défense. La faiblesse des capacités opérationnelles de la Minusma fait que l’ONU a un rôle très restreint dans le Sahel. Les Nations Unies n’ont en outre pas de véritable contingent affecté à la région dans laquelle opère la mouvance islamiste, si bien que l’ONU est finalement absente du combat contre la secte terroriste.

Si le G5 Sahel semble quant à lui faire preuve d’une certaine efficacité dans la région, la multitude des fronts oblige les contingents à être répartis sur certaines zones plutôt que sur d’autres en fonction des priorités du terrain. Ainsi en octobre 2017, des troupes tchadiennes affectées au G5 devaient par exemple quitter le front nigérien sur lequel elles combattaient Boko Haram afin d’en rejoindre un autre au nord du Tchad (11).


Enfin, la région du Sahel est très instable, ce qui amène le chercheur Philippe Hugon de l’IRIS à déclarer que « les groupes armés au Sahel forment une nébuleuse permettant une prolifération des mouvances. » (12) Cette nébuleuse d’organisations terroristes et autres milices de mercenaires se nourrit des instabilités locales qu’elle nourrit à son tour, et qui ne fait que renforcer les conflits ethnico-sociaux et religieux.

Quelles conséquences de l’action du groupe terroriste ?

On peut s’interroger sur l’impact de la présence de Boko Haram et des combats qu’elle engrange sur l’économie nigériane déjà en peine depuis la chute des prix du baril de pétrole et du fait de la mauvaise gestion de l’économie par les autorités publiques. L’ensemble de la situation économique nigériane s’étant fortement dégradé depuis plusieurs années, il est difficile d’attribuer à la lutte contre Boko Haram une responsabilité précisément définie dans ce contexte. Toutefois, le rapprochement avec d’autres pays eux aussi impliqués dans la lutte peut servir à se faire une idée. Ainsi pour soutenir son effort de guerre, le Cameroun a par exemple perdu 2 points de PIB (13).

Même sans donnée quantitative et statistique venant appuyer ces affirmations, il est évident qu’une telle présence a des effets négatifs sur l’économie et à plus grande échelle sur la société. Adepte des prises d’otages, cette pratique a permis à la secte d’engranger près de 11 millions de dollars. Parallèlement à cela, l’organisation a fréquemment recours à tous types de vols et notamment le vol de bétail, pourtant essentiel aux économies rurales. De manière plus indirecte, la présence de Boko Haram instaure un climat de défiance qui fragilise les relations économiques et notamment les échanges entre les pays qui ferment leurs frontières (comme le Cameroun). Les nombreux attentats, premier mode opératoire de la secte, participent progressivement à la destruction des bâtiments publics (écoles, hôpitaux…) qui prennent du temps à être reconstruits en raison de la faiblesse de l’investissement public, mais aussi de villages, d’habitations, et donc de lieux privés qui entrainent de nombreux déplacements de population et une désincitation à investir.

En cela, la présence de Boko Haram n’est pas seulement meurtrière aujourd’hui, elle est aussi extrêmement néfaste pour la capacité future des pays à se développer.

Par Louise Le Gatt

Bibliographie :

* Pour en savoir plus sur le wahhabisme : http://www.laculturegenerale.com/wahhabisme-definition-arabie-saoudite/

  1. http://www.nigeriawatch.org/media/html/NGA-Boko-Haram.pdf
  2. http://www.jeuneafrique.com/depeches/336885/politique/boko-haram-aux-origines-de-secte/ et https://fr.wikipedia.org/wiki/Boko_Haram
  3. http://www.jeuneafrique.com/388372/politique/terrorisme-boko-haram-proche-de-fin/
  4. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/02/07/boko-haram-ouvre-un-nouveau-front-au-niger_4571869_3212.html
  5. Le Monde, édition du Dimanche 17 – Lundi 18 décembre 2017, page 16 Géopolitique « Au Sahel, les guerres interminables »
  6. https://afrique.latribune.fr/politique/leadership/2017-07-31/nigeria-yemi-osinbajo-part-en-guerre-contre-boko-haram-745860.html
  7. https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Au-Sahel-mosaique-groupes-armes-2017-08-15-1200869814
  8. http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/10/31/g5-sahel-les-etats-unis-s-engagent-sans-l-onu_5208170_3212.html ; https://www.voaafrique.com/a/les-etats-unis-annoncent-60-millions-de-dollars-d-aide-pour-le-g-5-sahel/4091970.html
  9. https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/LONU-salue-force-antiterroriste-africaine-G5-Sahel-2017-06-22-1200857221
  10. http://www.foxnews.com/world/2017/12/14/nigeria-governors-approve-1-billion-to-fight-boko-haram.html
  11. http://maliactu.net/g5-sahel-redeploiement-de-troupes-tchadiennes-vers-le-nord/
  12. https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Au-Sahel-mosaique-groupes-armes-2017-08-15-1200869814
  13. https://afrique.latribune.fr/afrique-centrale/cameroun/2016-11-18/cameroun-l-addition-salee-de-la-guerre-contre-boko-haram.html

Pour aller plus loin sur les conflits au Sahel : https://www.monde-diplomatique.fr/2016/03/HUGON/54920

Louise Le Gatt

Louise Le Gatt est la rédactrice en chef du blog de l’Antenne International Security and Defense pour l’année 2018-2019. Étudiante en Master Droit international à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et diplômée de licences de droit et d’économie, elle est passionnée par les relations internationales, d’histoire et d’économie. C’est donc tout naturellement qu’elle fait partie de l’équipe de Sorbonne ONU dédiée aux problématiques des conflits armés et des processus de paix, afin d’apporter son regard à la fois économique et juridique, toujours pragmatique, sur ces thèmes complexes.
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