L’Allemagne, puissance civile

L’Allemagne, puissance civile

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L’histoire allemande semble être marquée en filigrane par une volonté nationale belliciste et expansionniste. Or, c’est avec cette tradition qu’ont voulu rompre la société et les élites allemandes après la Seconde Guerre mondiale et c’est cela qui a façonné la politique de défense d’une Allemagne d’abord divisée, dont les secteurs de la capitale étaient les symboles du monde bipolaire au cours de la Guerre froide, et aujourd’hui réunifiée. Comment définir le statut de puissance civile acquis par l’Allemagne au cours des dernières décennies ? 

La politique de défense allemande : choix et orientation

La nation allemande, au cours des décennies suivant le deuxième conflit mondial, a dû affronter de nombreuses difficultés pour devenir une puissance, aussi compliqué que ce concept soit à définir, sur la scène internationale. La « défaite militaire et avant tout morale » que fut la Seconde Guerre mondiale a conduit à la division de l’Allemagne et de sa population dans le contexte de la Guerre froide. Les chanceliers successifs de la République fédérale d’Allemagne, démocratique et intégrée au monde occidental mais soumise au joug des pays vainqueurs, avaient comme objectif le rétablissement de la souveraineté allemande, ayant en perspective la réunification du territoire. Mais une autre nécessité s’imposait au même moment, tant dans les discours politiques que dans la société civile : celle de rompre avec le passé militariste et de fermer définitivement la parenthèse nationale-socialiste. 

De cette manière, l’Allemagne a fait le choix d’une politique étrangère et de défense fondée sur la croissance économique et la justice sociale, sur l’adoption définitive des valeurs démocratiques et la coopération avec ses alliés, plutôt que celui d’un renforcement militaire et expansionniste. Si les Accords de Paris (1949) permettant à la RFA de retrouver une force de défense nationale, la Bundeswehr, celle-ci est contrainte par trois conditions : le Bundestag (le parlement allemand) doit approuver l’opération en question qui doit aussi l’être par le Conseil de sécurité de l’ONU; enfin, le cadre de son action est toujours multilatéral (ONU, OTAN, PESD) – cette condition a été révisée par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe en 1994. Le nombre de soldats est limité à 370 000 hommes par le Traité 2+4 signé en 1990 et qui permet la réunification des deux Allemagnes – en 2019, la Bundeswehr était composée de 191 000 hommes. La Bundeswehr a de cette manière participé à de nombreuses OPEX, en Afghanistan dans le cadre de la lutte contre les talibans et Al-Qaïda, au Mali en soutien aux forces françaises de l’opération Serval, ou encore en Syrie et en Irak pour lutter contre l’État islamique. Or, la participation allemande à ces opérations militaires relève plus de « missions de solidarité internationale » comme le formule la Bundeswehr elle-même que d’opérations de guerre. En parallèle, la RFA d’Adenauer accepte d’abord de renoncer à la possession d’armes nucléaires et biochimiques, renoncement réitéré par la ratification du Traité de non-prolifération en 1968, ainsi que de limiter son armement conventionnel.

Cette « culture de la retenue » est partagée en Allemagne tant par les élites politiques qui ont fait le choix de la diplomatie plutôt que celui de l’usage de la force pour reconstruire la puissance de l’Allemagne que par sa population, voulant maintenir la Bundeswehr au second plan de l’action internationale allemande et craignant la résurgence du militarisme allemand. Or, le statut et le rôle de puissance civile que s’est donnée l’Allemagne se heurtent parfois à son attachement au multilatéralisme et aux attentes insatisfaites de ses alliés. 

Des soldats de la Bundeswehr à Pale en Bosnie-Herzégovine lors de l’opération JOINT FORGE menée en janvier 2004 dans le cadre de la SFOR (Stabilisation Force).

La coopération militaire franco-allemande

Si la construction européenne a largement été portée par le couple franco-allemand, le projet d’une Europe de la défense semble opposer ces deux « ennemis héréditaires ». Les rangs de l’armée française comptent plus de 210 000 militaires pour environ 67 millions de résidents français contre 190 000 pour 83 millions d’habitants en Allemagne. Le budget accordé à la défense, tout juste 1,4% du PIB en Allemagne contre 2% en France, est un autre élément révélateur des divergences entre les deux pays dans ce domaine. Puisqu’ils ne sont pas des « partenaires naturels en matière militaire », ni en termes d’industrie militaire, il s’agit pour le couple franco-allemand d’instaurer un volontarisme politique fort, capable de dépasser les divergences nationales et de permettre la coopération, avant tout industrielle. En effet, les conceptions française et allemande de l’industrie de défense ne sont pas les mêmes et découlent directement des perceptions nationales de ce que doit être une politique de défense. Pour la France, le développement d’une industrie de défense a pour visée l’autonomie stratégique tandis qu’outre-Rhin, le développement de cette industrie répond plutôt aux exigences économiques et de compétitivité dans un contexte global de mondialisation. Le projet MAWS (Maritime Airborne Warfare System, avion de surveillance maritime), lancé en avril 2018 et censé porter le projet européen de défense, a été de fait annulé par l’annonce de l’achat par l’Allemagne d’avions américains Poseidon P-8A : là où la France voyait un moyen d’autonomisation stratégique face à la domination américaine, l’Allemagne a préféré renforcer la coopération transatlantique. 

L’Allemagne d’Angela Merkel, première puissance économique à l’échelle européenne et quatrième à l’échelle mondiale, a su participer au grand jeu des relations internationales selon les principes fondamentaux de la puissance civile par un engagement politique et diplomatique fort dans la résolution de crises internationales, en Europe et ailleurs. Mais la chancelière allemande semble vouloir réaffirmer la voix de l’Europe dans ce concert mondial, elle énonçait au mois de janvier 2021 dans une interview donnée au journal Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) que nous ne pouvions plus seulement discuter de ce sur quoi nous nous entendions politiquement mais qu’il s’agissait désormais d’assumer plus de responsabilités, „Deutschland ist dazu bereit, Europa ist dazu bereit“  (“L’Allemagne y est prête, l’Europe y est prête.”).

Sources :

“La politique de défense de l’Allemagne : le post-traumatique est encore loin”, Jean-Pierre MAULNY, Revue internationale et stratégique, 2009.

“L’Allemagne, éternelle puissance civile”, Hans STARK, Allemagne d’aujourd’hui, 2021.

https://www.liberation.fr/international/europe/defense-europeenne-la-difficile-cooperation-franco-allemande-20210402_VNQDJB2B3JHOZEKUUM4JANMQUA/

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