Compte-rendu Conférence : Le terrorisme

Reading Time: 10 minutes

Seconde conférence de l’année pour l’antenne International Security and Defense, les intervenants présents étaient Cyrille Bret et Floran Vadillo.


Le terrorisme est une notion omniprésente dans le débat public, qui fait l’objet de prises de parole enflammées. La notion ne fait pas consensus. Selon Raymond Aron, le terrorisme est une action qui cherche à terroriser, possédant un impact psychologique disproportionné par rapport à l’investissement dans l’action. Mais le terme possède une définition très large, sans implantation réelle dans le droit. Le terrorisme possède une réalité et des acteurs multiples. Il ne se limite pas au djihadisme, mais était présent aussi bien durant la Guerre Froide, ou était employé par le FLN en Algérie. Notion polymorphe, elle révèle un enjeu d’étiquette par l’ONU, afin d’appréhender les différentes formes de terrorisme, et donc les réponses qu’elles appellent.


Le terrorisme est un phénomène décrit comme récent, alors qu’il est assez ancien, pourquoi une telle différence ?

Réponse (C. Bret) : Monsieur Bret est en désaccord avec le présupposé de la question. C’est en 1795, que le mot « terrorisme » apparaît. Et en 1797, le terrorisme est associé à la figure de Robespierre et aux partisans de la Terreur. La Terreur est la vertu armée contre la justice. Donc, le terrorisme relève d’un phénomène ancien de deux siècles. Il s’inscrit dans un cadre historique. Le terrorisme révèle un caractère protéiforme, qui est très variable dans le temps et dans l’espace. Les modes d’opérations, les techniques et les visées ont évolués, et sont variables dans l’espace. On pensait l’Afrique immune de terrorisme, or le mouvement Boko Haram a prouvé le contraire. Il y a donc une véritable difficulté des juristes, des anthropologues, des politiques, des services de lutte contre le terrorisme, des théoriciens, à définir cette pluralité de formes. Il faut ajouter également que certains spécialistes des institutions internationales prônent un certain relativisme. Des événements importants ont entraîné un changement de paradigme dans les modes d’action. Ces événements se cristallisent au 11 septembre 2001, mais se préparent en amont, et se déversent dans les deux décennies. Ces actes terroristes se rejoignent en un point : la publicité, des médias, des vecteurs des sociétés ouvertes, sont utilisés pour répandre le sentiment de terreur, d’une vulnérabilité généralisée. Il y aussi dans les événements du 11 septembre un saut quantitatif (2 000 personnes) mais aussi qualitatif (terrorisme mondial). On se retrouve face à un changement de statut.


Quels sont les différentes acteurs de l’anti-terrorisme ? Les différents services collaborent-ils ?

Réponse : Pendant longtemps, le terrorisme a été un sujet qui nous concernait très directement, et dont on pensait que l’on pouvait agir sur les causes, car cela était une modalité d’action. C’était un conflit dont on maîtrisait l’origine et dont on connaissait les acteurs. Un changement s’opère en 1980 : la France passe de co-belligérant à victime parfois par ricochets. Cela se manifeste au sommet de Venise en 1980, avec l’assassinat de l’ambassadeur au Liban, tué pour être un représentant de l’État. C’est un cycle terroriste qui s’enclenche, notre capacité d’action est minorée. Nous sommes désemparés par rapport à ce terrorisme. Il n’existe pas d’autres moyens que la réponse sécuritaire, la décision politique, prise de position politique. On sort de cette capacité, on sort de cette rationalité. Nos sociétés ont un rapport à la violence et la mort qui est beaucoup plus précautionneux.
Norbert Elias emploie le terme de « civilisation ». Il y a un attentat tous les trois jours en 1980. Si, aujourd’hui, on avait des attentats aussi réguliers, le pays serait dans un état d’insécurité terrible, de part la fréquence et l’intensité de la menace. Et en 1995 la France connaît une ambiance de plomb car les attentats sont quotidiens. Nous ne sommes pas dans la même structure de violence, le terrorisme est plus anxiogène. Les responsables politiques sont aussi impliqués dans cette prise en compte du terrorisme. Le responsable politique choisit de toujours montrer qu’il peut appréhender le phénomène. On installe un climat dans lequel il y a une forme de rationalité dans un combat irrationnel. Cela ne fait que renforcer la virulence des attaques, car le politique met en avant la protection. Mais c’est surtout un aveux de faiblesse du politique.

Réponse : Le dispositif terroriste est un dispositif de renseignements administratifs (prévention, État) et judiciaires (répression, magistrats), avec une séparation. On a six services de renseignement du premier cercle : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire, la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD), l’organisme Tracfin, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), services auxquels s’ajoute la Direction générale des renseignements intérieurs (DGSI). La DGSI procède de l’adjonction de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et d’une partie de la Direction centrale. Il faut aussi y ajouter les services policiers (service de renseignement territorial, préfecture de police), le service national du renseignement pénitentiaire. En ce qui concerne l’aspect judiciaire, notre dispositif français a fait le choix d’une lutte contre le terrorisme judiciaire, avec une capacité judiciaire : association de malfaiteurs en relation avec des associations terroristes. Cela ne nécessite pas d’éléments matérialisés. La DGSI a aussi une compétence judiciaire, que peu de services dans le monde ont. Enfin, il ne faudrait pas oublier les services de police judiciaire, la Sous-direction anti-terroriste (SDAT). Le parquet national antiterroriste a été récemment créé.


La multiplication des services ne conduirait-elle pas à un émiettement de la lutte anti-terroriste ?

Réponse : La lutte contre le terrorisme a été un facteur de rationalisation des administrations. Les administrations ont ainsi découvert la coopération, qui n’était pas encore acquise. Le terrorisme a rasé les difficultés de travail et ces préoccupations. En judiciaire, la France possède un puissant facteur de rationalisation : les saisines des magistrats. La DGSI a pris les devants sur les autres services, même si elle fait l’objet de co-saisine, cela reste le meilleur service en matière de répression judiciaire. Globalement le paysage de la lutte contre le terrorisme est assez calme.



En Chine, la population ouïgoure est considérée comme terroriste, quelle est la différente entre terrorisme d’État et maintien de l’ordre ?

Réponse (C. Bret) : Cette approche nominaliste et relativiste est défendue dans les enceintes nationales internationales par la Russie et la Chine, qui ont une approche très restrictive, pour se simplifier la vie dans le respect ou le non-respect des droits des personnes mais aussi à l’échelle internationale pour justifier les actions. Dans les années 1970, sont qualifiés de terroristes les mouvements, les réseaux qui s’opposent à l’action de l’État. Donc il est simple de déterminer les terroristes. C’est alors un signe d’infamie décerné par une autorité souveraine qui s’arroge le monopole de la capacité à nommer le terrorisme. On peut aussi noter le rôle délétère de prolongation indéfinie des guerres. En Syrie, chaque camp se renvoie cette étiquette de terroriste. Il y a donc une nécessité de rompre ce cercle vicieux. C’est aussi favoriser la tactique des terroristes.
On retrouve alors une volonté de gouverner indéfiniment grâce à la terreur. Cette façon d’aborder le terrorisme, comme la violence de l’autre, est le gage d’une guerre perpétuelle, d’une violence qui ne pourra jamais se résoudre. Il y a donc une incapacité à sortir de ce cercle vicieux de la violence terroriste incapable de trouver sa résolution dans les instruments de droit international, de droit interne, pour réprimer/ résoudre les situations d’affrontement. Cela tient au caractère hyperbolique de la mise en scène de la violence terroriste et de la réaction des autorités symboliques. Longtemps, les autorités françaises se sont distinguées des autres par la judiciarisation et le refus d’accorder aux terroristes un statut qui les anoblit. Il y a donc un refus de porter le mouvement terroriste au rang de statut politique. Les terroristes sont alors toujours les autres.



La notion de monopole légitime de la violence, théorisée par Weber, n’est-elle alors pas suffisante ?

Réponse : Le problème d’un État désignant un groupe comme terroriste, et lui permettant de l’appeler lui-même terrorisme, est le fait que les terroristes seront toujours les autres. La violence est ainsi une partie intégrante de ce mouvement. Si l’État endosse des instruments de terroristes, le pouvoir étatique se dégrade et autorise cette accusation mutuelle.


À l’instar des attentats en Nouvelle-Zélande, des mouvements d’extrême-droite se tournant vers le terrorisme pourraient-ils advenir en France ?

Réponse (C. Bret) : Pour comprendre ces mouvements, il faut employer la théorie dite des « 3T ». Le premier T est celui de tactique, il ne faut pas ériger le terrorisme en dieu, en phénomène politique. C’est le type de tactique qui prévaut pour le terrorisme, quelque soit le bord du mouvement. Les deux autres T sont : la théorie, qui se drape dans un contexte théorique, et un aspect politique revendiqué ; et la terreur, passion collective très différente. C’est une vulnérabilité généralisée. L’État censé protéger les citoyens est alors perçu comme failli. S’instaure un climat de défiance, entre les citoyens et les pouvoirs publics, qui peuvent même être soupçonnés de susciter le terrorisme. Ces critères permettent de distinguer le crime organisé (mafia), la théorie politique de l’insurrection, de la guérilla et le terrorisme.

Réponse (F. Vadillo) : Selon l’analyse judiciaire, est terroriste toute personne poursuivie pour des faits de terrorisme. Lors des attentats à Bayonne : association de malfaiteurs, le droit pénal introduit un aspect tactique. Cela se manifeste notamment pour les évènements du 13 novembre 2014 : entreprise individuelle terroriste avec l’intention de terroriser sans un support organisé autre que soi-même. Le parquet antiterroriste ne s’est pas saisi de l’affaire de Bayonne. Cela relève d’un problème d’appréhension du droit : la justice n’est pas prête à envisager l’extension des activités terroristes autres que celles islamiques.
Pourquoi ? Déjà elle a une conception très extensive de ce qu’est le terrorisme islamiste. Il y a un régime procédural particulier et des techniques d’enquête particulières. Mais c’est aussi une difficulté juridique, comme lors des événements du 4 septembre 2016. Un détenu poignarde deux surveillants de prison dans l’intention de les tuer et pour des raisons islamistes. Il est poursuivi pour terrorisme. Au moment du jugement, la justice requalifie les faits et abandonne la charge de terrorisme pour une question organisationnelle. Le détenu n’avait pas d’autre support. Cela soutient l’idée que le terrorisme est un concept flou. Ce trouble de la justice est la preuve qu’il y a un problème de droit qui est également très politique.

Les États démocratiques ont besoin d’outils pour appréhender l’adversaire. Un régime démocratique doit stigmatiser ses ennemis. Ce trouble de la justice est la preuve qu’il y un problème de droit positif. Aussi, il y a un discours politique. Au-delà, la qualification est médiatique et politique. Est terroriste ce qui est stigmatisé comme terrorisme, ce qui appartient à nos ennemis. Le message porté n’est pas le même par l’extrême droite terrorisme, c’est un terrorisme conservateur, ou politique, pour remplacer un ordre par un autre.



Le terrorisme est-il alors considéré comme un nouveau bouc-émissaire

Réponse (F. Vadillo) : Oui. On n’a pas besoin de qualifier l’extrême droite comme terrorisme. Patrick Calvin évoque une peur d’un basculement de la société. Aussi, dans la stratégie des terroristes, on peut noter la recherche d’une confrontation avec une autre partie. Il ne faut pas minorer la fraction armée de l’extrême droite, qui s’est exprimée en France de manière virulente. Le groupe Delta, par exemple, témoigne d’une très forte prégnance d’une fraction armée de l’extrême droite dans les années 1970.

Réponse (C. Bret) : La situation est différente car elle révèle des situations que la France peine à admettre. On peut prendre l’exemple de l’attentat d’Anders Behring Breivik en Norvège : il y a une qualification terroriste. L’impact de la tribune pendant son procès a été considérable. Il a non seulement prôné le retour à un ordre pseudo-éternel fantasmé. Il est plus que conservateur, il est réactionnaire, en faveur du démantèlement. Selon lui, l’État providence trahit l’identité norvégienne et européenne.
Quelle est la différence? C’est le fait qu’elle ne trouve pas de débouchés politiques dans les élections, dans les médias valorisés. Elle se tourne vers l’action terroriste comme son dernier recours. L’histoire du terrorisme d’extrême droite ne passe pas par la France, mais dans des pays où elle pensait que la violence pouvait lui apporter des gains : l’Amérique du Sud, l’Italie. Il y a une volonté d’une fraction politique italienne de répondre aux brigades rouges. Quand l’expression politique des mouvements d’extrême droite est refusée, on réunit les conditions pour que se structurent des mouvements terroristes. La vigueur de la démocratie est une des grandes forces de la démocratie face au terrorisme d’extrême droite, qui nous immunise contre ce terrorisme.


L’espace cyber n’est pas régi par des conventions internationales, est-ce une forme de guerre non conventionnelle ? Est-ce une chance pour l’anti-terrorisme, ou est-ce dangereux s’il n’est pas régulé ?

Réponse (F. Vadillo) : C’est un lourd sujet. Il y a d’abord une difficulté concernant les attaques, et leur attribution à une personne ou à un groupe. Finalement, il existe assez peu d’attaques dont on est certain de l’attribution. Néanmoins, on observe plus une tendance des cyber-attaques de groupes criminels et d’États qu’un nouveau terrain de jeu des terroristes. Cela demande une infrastructure et des compétences importantes pour ne pas tomber facilement. Le terrorisme est une arme du pauvre. Le cyber ne terrorise personne. Par exemple, le piratage de TV5 Monde était vu non pas comme un acte terroriste mais comme un acte contre la liberté de la presse. Si les Français étaient conscients des risques, il y aurait davantage de législation. Pour le moment !

Sur les particuliers, il n’y a pas de stratégie. Moins ils tapent financièrement sur une personne (« ransomware »), plus ils peuvent augmenter les personnes touchées, car le droit sériel français n’est pas très développé. L’espace cyber a eu pour objectif, la captation d’informations, des opérations de sabotage. Mais il n’y a pas de volonté de tuer quelqu’un. Il y a en revanche un véritable risque cyber médical. Le cyber est un nouvel espace de conflictualité mais les modes d’actions sont assez communs. On peut aussi analyser le cyberterrorisme aléatoire : cela demande une volonté en acte dans le terrorisme. Pour les États et les entreprises concernés, il faut alors instaurer une automatisation de la réponse, comme une sorte de hack-back, comme une défense anti-aérienne. Il faudra penser l’aléatoire dans le cyberterrorisme.



Le système informatique de la NHS a été piraté pendant trois jours, existe-t-il un risque médical dû au cyberterrorisme ?

Réponse (C. Bret) : Le cyberterrorisme est une contradiction dans les termes au sens actuel. L’essentiel est de ne pas être vu. Dans les réseaux terroristes, la priorité est donnée au fait d’être vu et d’être manifeste. Pour le cyberterrorisme, c’est la discrétion. Il y a donc un système de visibilité politique disproportionné avec le choc violent dans les rues d’une grande capitale. Ce sont deux logiques pour le moment quasi antithétiques.



Quelle est l’influence de la sphère théorique sur le terrorisme ?

Réponse (C. Bret) : Le débat théorique très riche et la fameuse division entre les hauts fonctionnaires et les universitaires est très poreuse. L’écosystème fonctionne bien.

Réponse (F. Vadillo) : L’influence est nulle sur la sphère politique. La théorisation, le débat politique y est imperméable. Le législateur est étranger au débats doctrinaux et intellectuels sur le terrorisme. La pensée était purement instrumentale.



N’y a-t-il pas une vision paradoxale entre la place de l’État et la vente d’armes ?

Réponse (F. Vadillo) : La réglementation des ventes d’armement n’est pas un critère suffisant pour favoriser ou non le terrorisme. Il n’y a pas besoin d’avoir un libéralisme politique et économique pour que le terrorisme s’en saisisse.

Réponse (C. Bret) : La vente d’armes par l’État français est différente des filières d’approvisionnement terroristes. La logique est organiciste, il faut constituer des forces armées. On peut refuser des armes conventionnelles, pour créer un effet encore plus important. Par exemple, lors de l’attentat à Madrid en 2004, les terroristes avaient employé des bâtons de dynamite. Le but est d’envoyer un message politique différent entre armes de guerre et pas d’armes de guerre : continuité des guerres du Moyen-Orient. Il y a souvent des visées différentes en fonction de l’effet que l’on veut produire : pour fabriquer une bombe, on peut utiliser de simples engrais. Utiliser des armes de guerre envoie un message différent (comme une prolongation du Moyen-Orient et des champs de bataille). C’est un message de guerre mutuelle. Si on utilise des armes blanches, ce sont des objets du quotidien, et le message sera différent : « nous sommes parmi vous ».

Laisser un commentaire

Fermer le menu