Le renseignement : entre mythe et réalités

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Sujet romancé tout au long du XXe siècle, l’espionnage existe pourtant depuis plusieurs milliers d’années ; il figure parmi les professions les plus anciennes, ce qui ne l’empêche pas de rester dans son ensemble encore extrêmement méconnu. La vision générale, et notamment cinématographique du fonctionnement des services de renseignement semble parfois légèrement (ou pas) surjouée. Les films de James Bond sont assez caricaturaux et ne permettent pas de comprendre le réel travail et enjeux poursuivi par les organismes de renseignement.
Ces structures de renseignement peuvent être différentes selon les pays, mais les grands principes de fonctionnement restent les mêmes.

Commençons avec une définition. Le renseignement – c’est la collecte et l’analyse de l’information sur l’activité adverse. Il peut concerner des sphères d’activité différentes – politique, militaire, économique, industrielle. Le plus souvent pourtant on ne s’attarde que sur les deux premiers types, puisque ces deux types en question ont à maintes reprises changé le cours de l’Histoire.

Pourquoi existe-t-il plusieurs services de l’Intelligence?

Chaque état relativement développé possède au moins deux organismes de renseignement. Les gouvernements disposent fréquemment de plusieurs services allant de 2 (Allemagne hitlérienne) à 17 (États-Unis d’Amérique). Pourquoi une telle diversité ? Trois raisons principales. Premièrement, pour éviter l’apparition du monopole. Les monopoles sont néfastes dans tous les domaines, sauf peut être dans le cas du monopole naturel en microéconomie, mais le renseignement n’y fait pas exception. Afin de promouvoir la concurrence, les gouvernements ne se contentent pas d’avoir seulement un seul et unique grand service de renseignement dans le pays.

Le fait d’avoir plusieurs sources d’information apparait aussi assez logique, dans l’optique d’éviter d’avoir une « puissance du renseignement », et aussi d’éviter que les ennemis ne concentre leur attention que sur une source française unique. La diversité dans le monde du renseignement permet donc aussi d’y multiplier les acteurs, très nombreux, et donc particulièrement discrets et objectifs. Le directeur d’un service de renseignement ne sait pas ce que rapportent les autres directeurs, il n’est pas aidé, il est obligé de travailler le plus efficacement possible, de donner l’information la plus pertinente et objective, et surtout de ne jamais mentir ou divulguer des éléments stratégiques.

L’œil des renseignements français est essentiel puisqu’il est tout bonnement impossible pour les militaires ou les femmes et hommes d’Etat de surveiller eux-mêmes les potentielles menaces extérieures (et intérieures). Un espion français portera une plus grande attention aux détails, sera plus méfiant, et généralement apparaitra comme moins compétent aux yeux de tous. Tout est dans le jeu, la stratégie, l’attention, l’action. La discrétion est de mise, aussi bien orale que physique. On ne saura jamais qu’un espion est un espion, tout comme Daniel Cordier apprendra seulement à la mort de « Max », résistant anonyme qu’il rencontrait pourtant plusieurs fois par jour, qu’il avait affaire en réalité pendant tout ce temps au grand Jean Moulin.

 

L’organisation et la structure du renseignement

Les services de renseignement ont tous une structure assez similaire. Elle consiste en un appareil central avec des départements analytiques et des structures externes qui ont pour fonction de rechercher l’information en permanence, de manière silencieuse et infiltrée. Ces structures sont situées parfois sous les toits des ambassades ou des missions consulaires.
Mais si vous rencontrez un diplomate d’un pays ayant des services de renseignements développés, il est très peu probable que ce soit un vrai espion. Les services de renseignement sont des villes dans la ville, ceux qui les « habitent » le font à l’année, ils n’occupent pas de « hautes fonctions », ils ne sont tout simplement pas visibles.
Les travailleurs des ambassades utilisent les accords de Vienne (1815) qui leur garantissent l’immunité diplomatique pour avoir une facilité d’action, ils font souvent partie des recruteurs d’agents secrets, ce sont des « officiers traitants » embauchant des « agents »; attention un officier traitant est très loin d’être un agent du renseignement, comme on l’a dit, les fonctions ne se confondent pas, ce serait trop risqué.

Les « illégaux » constituent la partie la plus secrète, et aussi la plus productive de tout le service de renseignement d’un pays. Ce sont les agents préparés pendant plus de dix ans parfois, recevant des faux documents de leur vie, une fausse identité, ils ne s’appartiennent plus, ils appartiennent au service. Etre un agent important, c’est s’avoir s’oublier. Ces « espions » sont les plus intégrés dans les renseignements tournés vers l’extérieur notamment, ils séjournent à l’étranger, ils n’ont pas de point fixe, il est particulièrement difficile pour de potentiels ennemis de les repérer ou de les tracer. Chacun d’entre nous peut sans le savoir, avoir un espion dans son entourage, qu’il soit familial ou amical.

Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la partie analytique dans le travail des services de renseignement – recevoir l’information est relativement facile ; en revanche, il faut savoir la traiter et bien assembler toutes les pièces du puzzle. Une information crue a très peu de valeur.
Quand l’information provenant des différents pays, des ambassades et des illégaux, des réseaux en ligne et du renseignement radiotechnique, « arrive », elle prend place dans un seul centre (siège de MI6, de GRU, de CIA), et sera ensuite traitée par les meilleurs analystes du renseignement, qui analysent et dressent un panorama complet de la situation, pour ensuite le présenter aux dirigeants du pays.

Le renseignement humain – le plus important et le plus sensible

Le travail d’un officier traitant de n’importe quel service de renseignement, consiste à trouver une personne ayant accès à l’information qui intéresse les renseignements (ou qui connaît la personne qui dispose d’un accès), il faut ensuite étudier le profil de cette personne (cela peut prendre à peu près un an) et la recruter. Si une intelligence montre son intérêt et son implication, qu’elle fait ses preuves, elle sera souvent gracieusement rémunérée pour cela.
Les agents ont des motivations diverses, mais souvent ils reçoivent des sommes importantes en contrepartie du service rendu. Il ne faut pas oublier que la mission d’un espion ne gravite pas autour de l’action, du terrain, et de la confrontation ; mais aussi autour de l’observation, la minutie, et l’isolement qui font partie intégrante de sa routine. Tout n’est pas qu’action, il faut avant d’intervenir, préparer le terrain, tout comme après la fin de l’opération il faut mettre en concordance toutes les pièces disponibles.
Le renseignement c’est un genre d’enquête policière grandeur internationale, faite d’influences et de rapports stratégiques.

Mais être un agent comporte des risques énormes, tout d’abord celui de finir en prison pour le restant de vos jours dans un pays étranger, sans jamais être rendu à votre patrie mère, vous prenez aussi le risque d’être kidnappé, séquestré, torturé voire exécuté dans les cas extrêmes. Vous pouvez servir de change, vous pouvez vous même devenir une pièce de la partie, un pion, pour l’Etat adverse.

Le renseignement humain au XXI siècle

A-t-on réellement besoin d’espions humains dans notre nouvelle ère informatique?

Si l’on peut connaitre les plus petits détails avec des satellites tournoyant dans l’espace, alors pourquoi continuer de détenir de grands effectifs d’officiers ainsi que des appareils bureaucratiques de l’intelligence? 

Il est vrai qu’un satellite peut filmer le Palais de l’Elysée et même ce qu’il se passe dans son jardin. Mais il ne pourra jamais voir ce qu’il y a dans la tête de ceux qui y prennent place ni ce qu’il y a dans le coffre-fort le plus important de France. Le seul moyen de recevoir toute information dans les opérations touchant aux plus hautes sphères, reste le renseignement humain. L’espion tisse des liens, il joue, il influence, il extirpe l’information, il va la chercher dans les situations tendues ou aucun bout de métal aussi perfectionné soit-il ne réussirait

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L’espion ne va pas prendre le risque de se rendre dans le cabinet et d’y ouvrir le coffre en personne. Il trouvera la personne qui dispose de l’accès à ce coffre puis la recruter ; retirer ces documents, les recopier et les remettre à leur place comme si rien ne s’était passé. En bref, les agents sont les seuls capables de réactivité, d’adaptabilité et de sacrifice. Tout individu qui n’est pas prêt à oublier qu’il doit vivre, qui n’est pas prêt à intégrer au plus profond de lui la notion de sacrifice de sa propre existence ne sera jamais dans les renseignement au plus haut niveau de l’Etat.

Les organismes de renseignement n’ont pas besoin de savoir ce qu’il se passe dans l’instant, mais ce qu’il va se passer dans l’avenir. Par exemple, si une source reçoit l’information qu’un adversaire a commandé un nouveau chasseur, ce seront les espions et les analystes qui pourront prévoir les caractéristiques de la nouvelle avion, les matériaux dont il aura besoin, les firmes susceptibles de recevoir cette commande, son prix, les dates de sa production etc… Les satellites ne peuvent pas vous donner ces informations. C’est en réalité la combinaison entre la technologie et l’espionnage qui va produire un effet encore plus important, mais ce qu’on retiendra c’est que ces deux outils ne sont absolument pas substituables l’un à l’autre. 

Nouvelles perspectives

Aujourd’hui les conditions de vie changent, l’accès à internet, la robotisation, l’intelligence artificielle et l’automatisation technologique emboitent le pas de l’Homme, mais la discipline du renseignement secret restera une colocataire de ces avancées ; les espions humains étant cruciaux dans les décisions des pays prises face au terrorisme, à la délinquance, à la menace nucléaire etc. L’intelligence artificielle ne séduit pas, ne tourmente pas, n’intervient pas pour arracher l’information de son socle. Des enjeux nouveaux de cohabitation entre puissance technologique et humaine apparaissent, ce que nous apprendra notre conférence, le métier en lui-même évolue, ce qui nous sera également expliquer ; si tu souhaites détenir toutes les clé du renseignement, si jamais tu souhaiterais t’y engager, sache qu’aucune voie n’est fermée, mais le sacrifice t’attend au bout du chemin.

Pour tout savoir concernant la nouvelle collaboration entre intelligence artificielle et espionnage humain, retrouve nous le 12 février dans l’amphithéâtre Bachelard de la Sorbonne à 20h ! Un évènement à ne pas manquer en ce début d’année.

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