L’accès à l’eau : enjeux stratégiques autour d’une ressource vitale mais inégale d’accès

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Une inégalité de l’accès à l’eau renforcée par les changements climatiques du XXIème siècle

Le 22 mars célèbre chaque année la journée mondiale de l’eau. Cet événement, institué par les Nations Unies a pour objectif d’attirer l’attention sur la nécessité d’une gestion durable de cette ressource et de promouvoir des actions visant à égaliser l’accès à l’eau dans le monde.

L’eau semble abondante sur la planète bleue. Sous sa forme potable, elle semble aussi abondante dans les robinets des pays les plus riches. Cependant, l’eau douce non gelée représente moins d’1% de toute l’eau disponible et sa répartition creuse des inégalités entre les pays du monde, renforcées par les changements environnementaux.

L’eau est une ressource vitale qui ignore les frontières politiques. Elle fait l’objet d’usages multiples et concurrents: 8% pour l’usage domestique, 22% pour l’usage industriel et 70% en ce qui concerne l’usage agricole. L’augmentation générale du niveau de vie et la croissance dynamique que connaissent beaucoup de régions du monde provoquent inévitablement un accroissement des enjeux et tensions autour de l’eau.

Dans cet article, nous reviendrons rapidement sur les enjeux sociaux et sanitaires de l’accès à l’eau, ainsi que sur le lien entre accès à l’eau et développement dans un monde toujours plus inégalitaire. Nous porterons ensuite plus longuement notre étude sur les enjeux stratégiques liés à l’accès à l’eau, sur les risques et conflits géopolitiques qui y sont liés, ainsi que sur les conséquences des changements climatiques qui les renforcent.

L’eau : quelles nécessités?

L’alimentation, le logement et l’eau potable constituent les trois piliers essentiels de la qualité de vie. Ne pas avoir d’accès à l’eau potable c’est risquer de contracter des maladies portées par l’eau souillée, parfois des plus meurtrières, c’est aussi consacrer du temps et de l’énergie à s’approvisionner. L’eau est de ce fait liée aux inégalités de genre car ce sont souvent les femmes qui sont désignées en corvée d’eau. Elles y consacrent deux à quatre heures par jour en moyenne dans les zones rurales d’Afrique, au détriment de l’éducation.

La mortalité infantile est aussi directement liée aux conditions d’hygiènes et à l’accès à l’eau potable et 4400 enfants en meurent chaque jour. Le problème de l’eau menace également la sécurité alimentaire car la croissance démographique et les 9 milliards d’humains prévus pour 2050 impliquent une augmentation des besoins en nourriture et donc en eau. De la même façon, les changements dans les habitudes alimentaires, notamment vers des régimes plus carnés, posent la question de la viabilité de ces modèles très consommateurs d’eau.

Si l’accès à l’eau et à l’assainissement sont si corrélés, c’est parce que l’eau usée après avoir été consommée est très souvent rejetée sans aucun traitement dans les milieux naturels et participe à dégrader la qualité des ressources. Le problème est tel que 2,6 milliards d’humains ne disposent toujours pas de système d’assainissement de base, autrement dit: de toilettes. Dans un contexte d’explosion démographique dans certains pays d’Afrique notamment, garantir l’accès à l’eau et à l’assainissement demande des efforts colossaux parfois irréalisables.

Aujourd’hui 11% de la population mondiale n’a pas un accès assuré à l’eau potable, selon l’Observatoire des Inégalités. Ce chiffre était de 19% il y a vingt ans. De réels progrès sont donc mesurables mais, dans le même temps, les inégalités s’accroissent entre les différentes régions du monde et leurs populations. Si ces progrès ont été majoritairement connu par les pays d’Asie, l’Afrique reste dans une situation complexe.

L’impossibilité de garantir à sa population ses besoins en eau : une caractéristique du sous-développement?

L’accès à l’eau est un des éléments révélateurs d’un monde inégalitaire. Seuls 9 pays totalisent 60% des ressources en eau douce de la planète (Brésil, Russie, Chine, États-Unis, Canada, Indonésie, Inde, Colombie, République Démocratique du Congo). Dans les régions arides, l’eau est un réel problème au quotidien et ces inégalités naturelles sont renforcées par des inégalités de richesse.

La consommation en eau est indissociable des disparités économiques mondiales. La consommation moyenne d’un américain représente 600 litres d’eau par jour contre seulement 10 pour un africain. La question de l’accès à l’eau fait l’objet spécifique du sixième des 17 objectifs de développement durable établis par les États membres des Nations Unies en 2015. Cet objectif est central car lié à tous les autres: la mortalité infantile, l’éducation, la bonne santé… C’est donc aux autorités publiques de chaque État d’assurer la garantie de ce droit humain reconnu par l’ONU. Cependant, la volonté politique n’est pas toujours présente et les budgets alloués à l’alimentation en eau potable et à l’assainissement varient de 0,3 à 2% du PIB.

Le manque d’accès à l’eau potable et le sous-développement forment un cercle vicieux. Une population qui doit parcourir de longues distances pour accéder à cette ressource vitale, une population qui est en mauvaise santé est une population qui sera moins éduquée. On estime à 443 millions le nombre de jours de scolarité perdus chaque année à cause de ce problème. L’eau est un puissant vecteur de développement humain et d’organisation sociale et un instrument de lutte contre la pauvreté. L’accès à l’eau, à l’éducation et le niveau de richesse du pays sont donc intimement liés et un pays en manque de moyens est un pays qui investira moins dans les infrastructures de traitement ou d’assainissement. Sans accès à l’eau, aucun développement économique n’est viable, et pose la question de la stabilité politique.

L’accès à l’eau: porteur de révoltes et de conflits intraétatiques?

La mauvaise gestion de l’approvisionnement en eau représente un enjeu essentiel car peut rendre vulnérable un pouvoir et favoriser une guerre civile. Car dans beaucoup de cas, ce n’est pas la pénurie d’eau mais bien une faille dans la gouvernance qui empêche la population d’accéder à cette ressource. L’inégal accès à l’eau est donc porteur d’enjeux sécuritaires.

L’idée, exprimée par Lefebvre, que les ressources abondantes deviennent artificiellement rares dans le monde capitaliste, qu’elles deviennent un produit, est particulièrement tangible en ce qui concerne l’eau. Par exemple, en avril 2000, de violentes manifestations éclatent à Cochabamba en Bolivie. L’état d’urgence est déclaré. Cette révolte urbaine a pour objet le prix et la propriété de l’eau. En effet, en 1999, le gouvernement bolivien a concédé pour 40 ans le service de l’eau à Aguas del Turani, un consortium international. L’augmentation considérable des tarifs de l’eau qui a suivit la privatisation du service d’approvisionnement en eau potable a mené la population au soulèvement. La révolte menaçant de s’étendre à tout le pays, le gouvernement a été contraint de revenir sur la privatisation du service de distribution d’eau. L’eau n’a pas de prix mais nécessite des investissements pour être potable et disponible et l’enjeu est de la garder accessible à la population, ce qui contraint parfois les ambitions économiques des pays.

Outre le risque de révoltes, les enjeux du manque d’accès à l’eau sont aussi ceux de conflits entre plusieurs parties de la population et même, de guerre civile. Selon une étude de 2013 du World Resources Institute, 37 pays du monde connaissent un stress hydrique (plus d’eau prélevée que d’eau renouvelable) extrêmement élevé. Lorsque la ressource est limitée, une multitude d’acteurs, dont les usages de l’eau sont différents voire incompatibles, peuvent entrer en concurrence, en particulier dans les zones à forte pression démographique, désertification, pollution…

Les eaux des fleuves interétatiques: facteurs de conflits ou de coopération?

263 fleuves ou rivières dans le monde sont internationaux, c’est-à-dire qu’ils s’étendent par-delà les frontières politiques, sur deux États ou plus, ce qui représente 60% des ressources en eau mondiales. Les partages de l’eau peuvent être conflictuels en particulier entre États en amont qui sont en position de force et États en aval en position de dépendance.

Le Nil, par exemple, est un axe de développement économique et de tensions géopolitiques fortes depuis quelques décennies. Historiquement, l’Égypte, pourtant en aval, est le pays qui a exploité la plus grosse partie du débit du fleuve dont les ressources son vitales pour sa croissance économique mais aussi pour sa stabilité politique. Pays très aride, la population et les activités se concentrent dans le delta et tout au long du Nil. De nombreux barrages permettent de récupérer ses eaux et nourrir sa population grandissante au moyen d’oasis agricoles. Cependant, l’Égypte fait maintenant face à l’exploitation croissante du fleuve par les neuf états en amont et en particulier par l’Éthiopie qui s’industrialise rapidement. De même, la fin de la guerre civile et de l’instabilité politique au Soudan lui a permis de reprendre ses aménagements sur le fleuve. Entre barrages en amont, plus forte consommation de son eau et pollution du fleuve, le débit d’eau et sa qualité s’amenuisent en Égypte. Si de nombreuses tentatives de redéfinition du partage des eaux du Nil ont été élaborées, l’Égypte refuse toute remise en cause de sa part des eaux et menace régulièrement d’entreprendre des actions militaires pour défendre ce qu’elle considère comme son droit. Jourdain, Congo, Colorado…: les exemples de conflits autour des fleuves sont multiples.

Le conflit autour de l’eau ne résulte pas que du manque de ressource mais surtout de choix politiques engageant des acteurs dans la voie du rapport de force. Notamment quand un des acteurs décide de s’accaparer unilatéralement des ressources en eau sans toujours chercher à justifier son action. Les conflits pour l’eau peuvent aussi s’inscrire dans des conflits géopolitiques plus larges où la coopération est déjà difficile. L’exemple de l’Inde détournant les eaux du Gange et privant d’eau le Bangladesh s’inscrit dans les relations historiquement conflictuelles entre les deux pays. L’eau est un enjeu géopolitique tel qu’il a parfois été utilisé comme arme de guerre. L’on peut se souvenir des Serbes privant d’eau Sarajevo ou encore les populations somaliennes fuyant les combats en prenant soin de combler les puits derrière elles.

Cependant, pour certains chercheurs, des guerres de l’eau ne seraient pas rationnelles. Les pays riverains d’un fleuve international ont un certain nombre d’intérêts communs et seraient plus enclin à coopérer. De plus, d’un point de vue économique, une guerre de l’eau ne serait pas rentable. Cette idée peut s’appuyer sur le rapport 2005 de Worldwatch, qui dénombre 400 traités ou accords internationaux sur l’eau depuis 1820. L’eau serait donc davantage un facteur de coopération que de guerre. Cependant les changements climatiques actuels inquiètent quant à d’éventuels conflits autour d’une ressource vitale vouée à se raréfier dans certaines parties du monde.

L’accès à l’eau et enjeux stratégiques renforcés par la crise climatique ?

Il est prouvé que dérèglement climatique aura pour conséquence d’accentuer la distribution inégale de l’eau sur la planète: les zones tempérées vont connaître des précipitations plus importantes quand les zones arides verront les sécheresses s’intensifier. La montée du niveau marin va également détruire des terres agricoles et des ressources en eau en les salinisant. De même, en Asie, les périodes de mousson seront plus sévères et augmenteront le nombre d’inondation, ainsi que leur intensité. A cela s’ajoute les enjeux liés aux glaciers, comme ceux qui couvrent les Alpes, qui fondent à un rythme soutenu et ne pourront donc plus alimenter les fleuves au printemps. Ainsi, les conséquences futures des changements climatiques sur l’eau posent des questions de déplacements de populations et d’éventuelles nouvelles sources de conflits.

La surexploitation de la ressource accélère la dégradation de l’environnement et le manque d’eau. L’Inde a par exemple misé sur la surexploitation de ses ressources aquifères pour se développer et est maintenant confrontée à la viabilité de ce modèle face à des nappes phréatiques vidées. Le problème se pose d’autant plus que certains de ses fleuves font partis des plus pollués de la planète, en partie du fait de l’industrialisation, tel que le Gange.

Les croissances démographiques et urbaines exercent une pression toujours plus forte sur les ressources en eau et les défis posés devront trouver réponse dans un futur de plus en plus proche. D’ici 2080, il faudra pomper deux fois plus d’eau pour satisfaire les besoins de l’humanité. Dans un contexte de changements environnementaux qui accentuent les inégalités naturelles entre les territoires et les événements climatiques extrêmes, la question est de savoir comment réduire ces disparités et de préserver le monde de tensions et conflits inéluctables.

Sources

Hector DUPUY, Maie GERARDOT, Philippe LEMARCHAND, Géographie des conflits, Atlande

https://www-cairn-info.ezproxybsb.ad.univ-paris3.fr/les-100-mots-de-l-eau–9782130595571-page-78.htm

https://www.partagedeseaux.info/Le-partage-des-eaux-du-Nil-conflits-et-cooperations

https://www.inegalites.fr/L-acces-a-l-eau-potable-dans-le-monde

http://www.thinktank-resources.com/fr/thematiques/acces-a-l-eau

https://www-cairn-info.ezproxybsb.ad.univ-paris3.fr/les-100-mots-de-l-eau–9782130595571-page-78.htm

Emma Josso

Ancienne élève de la Sorbonne, j'étudie désormais les relations internationales à Sciences Po Strasbourg. Je suis intéressée par la politique étrangère américaine mais aussi par la géopolitique des pays en développement, particulièrement en Amérique latine et en Asie.

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